Qui veut vraiment lutter pour la mixité sociale à l’école ? On peut poser la question au vue des résultats de l’Ecole française. Dans un nouveau livre, à paraitre le 8 avril, Choukri Ben Ayed, sociologue, professeur à l’Université de Limoges, étudie de façon précise l’histoire de la notion de mixité sociale dans le monde éducatif depuis les origines de l’école républicaine. Sans concessions, il analyse les mesures prises ces dernières années pour la mettre en pratique qu’il s’agisse de « l’assouplissement » de la carte scolaire voulue par Sarkozy ou de la circulaire de janvier 2015 sur la sectorisation des collèges. Ce qu’il observe c’est le décalage considérable entre les discours et les actes avant ou après 2012. Il indique des pistes pour sortir des ornières où la question s’enlise.
Lutter pour la mixité sociale à l’école semble consensuel. Mais en réalité qui veut vraiment cette mixité ?
Je ne pense pas du tout que ce soit consensuel. C’est annoncé come une politique publique. Souvent on assiste à une approche compassionnelle sur cette question. Mais quand on regarde de plus près et qu’on regarde les conséquences qu’aurait une vraie politique de mixité sociale comme la réduction de la concurrence entre établissements, on se rend compte que la question reste conflictuelle. Par exemple, il faudrait réduire la liberté de choix de l’école pour aller vers la mixité sociale. Mais le système éducatif y est-il prêt ? Et les familles ?
Vous pouvez donner des exemples de politiques locales qui affichent l’intention de la mixité sociale mais qui la contournent ?
On a des contextes où la question n’est même pas posée. D’autres où il y a une réelle volonté mais désarmée. Car ces politiques locales sont faible spar rapport au poids des politiques nationales comme l’assouplissement de la carte scolaire voulue par N. Sarkozy. Il y a aussi des contextes locaux où la mixité sociale n’est pas pensée, où on veut juste éviter les migrations entre établissements et où on obtient des effets de mixité sociale.
La mixité sociale et la mixité ethnique c’est la même chose ?
Non pas exactement. Mais la question ethnique en France a un statut particulier ne serait ce que parce que les enfants des minorités sont français et leur famille là depuis des générations. La mesurer pose problème. Mais on a des indicateurs qui permettent de le faire. Disons pour simplifier que si on arrivait à résoudre l’ampleur de la ségrégation sociale, on aurait fait beaucoup pour réduire la ségrégation ethnique.
Vous faites dans votre livre l’historique de la politique d’assouplissement de la carte scolaire lancée par N. Sarkozy en 2007. Elle a été présentée comme une politique de mixité sociale. A-t-elle atteint cet objectif ?
Aujourd’hui il n’y a plus de débat chez les chercheurs. Cette politique a produit des effets inverses. Ces effets d’accroissement de la ségrégation ne sont plus contestés. On sait d’ailleurs que les logiques de libre choix de l’école sont toujours défavorables à la mixité sociale. Pondérer ce libre choix en favorisant les boursiers est un leurre. Car les familles ne sont pas égales pour le choix de l’école. Cette politique est plutôt un bel exemple de ce qu’il ne faut pas faire…
Depuis 2012, l’objectif de mixité sociale a été rappelé. On a de nouvelles politiques. Qu’en pensez vous ?
Je reste très sceptique. Entre 2012 et la circulaire de janvier 2015, qui donne la possibilité de créer de nouveaux secteurs avec plusieurs collèges, il s’est passé 3 ans. C’est long par rapport aux discours volontaristes qui ont été prononcés ! Certes la loi de 2013 mentionne la mixité sociale. Mais les dispositions de la loi de refondation sont limitées car elles renvoient aux conseils généraux la responsabilité de la mixité sociale sans changer le fonctionnement du système scolaire. Le niveau local reste prisonnier des règles nationales. Les conseils généraux n’ont pas la main sur l’affectation des élèves ou le curriculum scolaire. Dans ces conditions , comment imposer de la mixité sociale ? La loi de 2013 n’abroge pas les dispositions de N Sarkozy sur l’assouplissement de la carte scolaire. Je crains qu’on ait une inflation de discours, de bonnes intentions mais qu’on reste loin de la réalisation de la mixité sociale.
Pour vous, pour cela il faudrait revoir le fonctionnement du système éducatif ?
La mixité sociale est pour moi un bon analyseur du fonctionnement du système éducatif. Après la publication des résultats de Pisa 2012, qui montrent le poids des inégalités sociales sur les résultats scolaires en France, on voit bien que ce n’est pas une question secondaire. Elle reste le prix à payer de notre logique de concurrence exacerbée dans le système scolaire. L’Ecole fonctionne sur une alliance entre hiérarchisation et méritocratie. Il y a donc forcément ségrégation . Lutter contre elle signifierait s’attaquer aux défauts du système éducatif.
Récemment le ministère de l’éducation nationale a publié des données sur les résultats du brevet, immédiatement récupérés par des médias pour faire un « palmarès des collèges ». En même temps le ministère tient un discours en faveur de la mixité sociale. Comment expliquer cela ?
Ce n’est pas nouveau que le ministère tienne un double discours. Dans l’ouvrage « Les pièges de la concurrence » j’ai fait l’historique des palmarès scolaires. Le ministère devrait faire un choix entre mise en concurrence et promotion de la mixité sociale. Il y a d’ailleurs une controverse sur les données elles-mêmes, leur prétention à isoler le poids de l’établissement dans la réussite de l’élève.
Ce serait intéressant d’ailleurs de savoir comment les enseignants vivent la publication de ces palmarès. Ca fait quoi de travailler dans un mauvais lycée ? Cette publication déstabilise l’ecole. Elle pousse à l’instabilité des enseignants. Finalement cette publication en agissant sur les enseignants et les familles finit par contribuer à réduire la mixité sociale.
Si on veut agir efficacement pour la mixité sociale à l’école, il faut agir localement ou nationalement ?
Il faut dépasser cette opposition et penser les articulations. Par exemple, la circulaire de janvier 2015 invite les conseils généraux à se rapprocher des rectorats. Mais où est le relais ? Il n’y a pas d’instance de pilotage, pas d’expérimentations lancées pour observer ce qui se passe. Il y a juste une circulaire, sans valeur contraignante. La prescription est vague. Le niveau attendu de prise en main est illusoire. Le local ne peut pas faire ce que le national devrait faire. Il faut penser à des régulations qui ne laissent pas le local livré à lui-même et le national se donner le beau rôle en constatant les carences du local. Il vaudrait mieux moins de textes mais plus suivies d’effet…
Propos recueillis par François Jarraud
Choukri Ben Ayed, La mixité sociale à l’école. Tensions, enjeux, perspectives. Armand Colin, 2015. Parution le 8 avril 2015.