Au collège Henri Matisse à Grand-Couronne dans l’académie de Rouen, les professeures de français Claire Ridel et Laurence Bot ont avec la professeure-documentaliste Sophie Bocquet-Tourneur développé des pratiques de travail collaboratif qui feraient rêver beaucoup d’établissements. Un site internet commun permet de diffuser des ressources à destination des élèves, mais aussi de publier leurs productions pour valoriser et stimuler leur créativité. Celle-ci trouve à s’exprimer à travers des projets et des supports variés : bandes-annonces de livres, marque-pages, magazine littéraire, « fakebooks » (autrement dit, faux comptes d’écrivains), défi Babelio, connaissances fixées via Twitter par la diffusion de « saviez-vous que »… Parmi les nouveautés : un grand projet d’exposition en réalité augmentée autour de la guerre 14-18 ou encore une application pour suivre l’actualité du CDI sur smartphone ou tablette. Au collège Matisse, on démontre au quotidien combien le numérique peut favoriser l’esprit de partage pour revitaliser les valeurs et les pratiques de l’École.
« Les lettres de Matisse » constituent un projet d’équipe : comment une telle dynamique collective s’est-elle enclenchée et parvient-elle à perdurer dans le collège ? Quels vous semblent les intérêts de cette dimension collaborative du travail ?
L’équipe des Lettres de Matisse est en réalité un binôme, formé par Laurence Bot et moi-même, Claire Ridel. Nous enseignons dans un petit collège REP de la banlieue rouennaise, le collège Matisse de Grand-Couronne, et avons en charge à nous deux la totalité des horaires de français cette année. Depuis 2007, notre mode de fonctionnement est un peu particulier : nous travaillons ensemble pour la totalité des projets, nos progressions et contrôles sont communs. C’est ainsi que nous élaborons ensemble nos séquences et nos leçons, afin que les élèves aient les mêmes connaissances en fin de troisième. Cela nous permet une véritable émulation dans la création de nos cours, et d’une année sur l’autre, nous pouvons nous appuyer sur ce qui a été enseigné précédemment pour éviter les redites, tout en permettant les consolidations. Nous avons créé le site « Les Lettres de Matisse » pour éviter de phagocyter celui du collège par nos publications ! J’en suis la webmestre depuis 2007, date de son ouverture. J’ai élaboré le design dans un premier temps, classé les articles, et je m’occupe de la partie technique du site. Madame Bot administre également le site. Nous publions nos activités, et parfois nos élèves rédigent des articles, des jeux de vocabulaire, des quiz.
Le site « Lettres de Matisse » propose des ressources à destination des élèves : lesquelles précisément ? comment les élèves s’en emparent-ils d’après votre expérience ?
La totalité du site est à destination des élèves ! C’est pour eux qu’il a été créé. Mais les rubriques qui leur sont les plus utiles sont celle des poésies à apprendre en classe, celle des révisions pour le DNB, et le répertoire de jeux pédagogiques. Selon la séquence que nous menons, nous publions également des ressources qui servent ponctuellement (faire la biographie de Victor Hugo, donner des consignes pour créer des panneaux d’exposition…). Nous menons parfois des séances en salle informatique, et demandons alors de passer par le site pour aller chercher les consignes. Mais nous rappelons régulièrement en classe le fait qu’il faut aller le consulter à la maison.
Le site présente aussi de nombreuses pistes pédagogiques pour développer par la créativité les compétences de lecture des élèves : pouvez-vous expliquer par exemple en quoi consistent les « bandes annonces Maupassant » ?
Le projet bandes-annonces a été créé en 2009, il permettait à l’origine d’évaluer la lecture d’œuvres de littérature jeunesse. Depuis 2012, nous axons ce projet autour de nos deux séquences sur Maupassant. Il s’agit de faire lire en autonomie des nouvelles, puis de mener un travail d’écriture autour d’un résumé concis. On visionne ensuite avec la classe diverses bandes-annonces du cinéma, surtout des adaptations de romans, pour en définir les qualités et les défauts, en comprendre la structure. Enfin, c’est la mise en image : les quatrièmes cherchent et enregistrent des images libres de droits, et une musique, afin d’illustrer leur résumé. C’est le point le plus difficile de ce projet : trop souvent les élèves cherchent des images qui représentent au pied de la lettre les phrases de leur résumé. La nature évocatrice des photos est difficile à saisir dans un premier temps. Ce projet nous permet de travailler sur la compréhension d’un texte littéraire, sur l’écriture, l’esthétisme et les compétences informatiques. Le logiciel de montage utilisé jusqu’à maintenant est Movie Maker, mais nous cherchons une alternative pour l’an prochain.
De la même façon, qu’est-ce que le « projet marque-page » ?
Je n’ai fait le projet marque-page qu’une seule fois : c’est plutôt le domaine de Madame Bot ! Il se mène en plusieurs étapes : après la lecture d’un livre emprunté au CDI, il s’agit d’en faire le résumé, puis de réduire ce travail d’écriture à la situation initiale et à l’élément perturbateur. Le paragraphe doit s’achever sur une question qui suscite le désir de lire le roman. Sur le recto du marque-page, des éléments doivent apparaître, dont une illustration dessinée. Une fois réalisés, les marque-pages sont exposés au CDI. Voici le sujet tel qu’il est exposé sur le site : « « Sur le recto du marque-page, vous ferez un dessin en rapport avec votre livre ; vous noterez le nom de l’auteur, de l’éditeur, la collection et vous mettrez en valeur le titre. Sur le verso, vous écrirez le résumé de votre livre, sans recopier bien sûr le résumé rédigé par l’éditeur, souvent présent sur la quatrième de couverture. Vous ajouterez également votre commentaire personnel sur le livre : si vous l’avez aimé, quel passage vous avez préféré… »
Pour rendre compte de leurs lectures, les 3èmes ont aussi créé un « magazine littéraire » : en quoi consiste ce magazine ? Comment les élèves ont-ils mené à bien cette mission ? Quelles satisfactions tirez-vous de cette activité ?
J’ai mis en place cette évaluation il y a quelques semaines. Je n’avais pas envie d’évaluer les élèves avec un questionnaire de lecture, aussi leur ai-je demandé d’inventer une interview dans laquelle ils devaient interroger soit l’auteur, soit un des personnages du livre emprunté au CDI. Pour la mise en forme, nous avons utilisé un compte sur le magazine en ligne Madmagz. La mise en œuvre a été difficile, à cause de problèmes techniques, les sauvegardes ne fonctionnant pas toujours, certains élèves ont vu leur travail se perdre. Heureusement, chacun m’avait envoyé un mail avec leur rédaction dans un document, ce qui m’a permis de réintroduire leur prose effacée, cela m’a demandé, et me demande encore, un long moment ! Mais je suis particulièrement satisfaite du contenu des interviews, la majorité des troisièmes a joué le jeu et s’est donné du mal pour produire son travail, ce qui m’a permis d’évaluer très positivement les compétences. Néanmoins, il existe une frustration de la part de certaines élèves qui auraient voulu pouvoir passer plus de temps sur la mise en page de leur article. Il faudra donc que j’améliore et ajuste le concept pour la prochaine publication.
Pratiquez-vous d’autres activités autour de la lecture ?
En classe de sixième et de cinquième, nous organisons un défi-lecture. Les sixièmes planchent sur des romans sur la mythologie, et les cinquièmes sur le Moyen-âge. Chaque élève doit lire trois livres, et inventer 10 questions et réponses sur le livre. A partir du travail des lecteurs, nous préparons un quiz, et pendant 2 heures, les classes s’affrontent. La classe qui marque le plus de points a gagné ! Avec mes quatrièmes, je participe avec Mme Bocquet-Tourneur (notre professeur documentaliste) pour la deuxième année au défi Babelio, et nous utilisons Twitter pour communiquer avec d’autres classes et avec les collègues qui ont inventé ce défi. Madame Bot fait tenir à ses quatrièmes des carnets de lecture.
Vous utilisez aussi le réseau Twitter pour faire vivre le français au collège : quels usages en avez-vous en tant qu’équipe de lettres ? comment l’utilisez-vous avec les élèves (procédures, activités précises…) ? quels vous semblent les intérêts d’une telle utilisation des réseaux sociaux à l’École ?
Le compte n’est vieux que de quelques mois, je m’en sers pour mener une veille numérique, suivre des collègues de lettres et documentalistes, des maisons d’éditions, et des sites dédiés à l’éducation. Personnellement, cela me permet d’échanger, de voir quelles sont les pratiques des autres académies, et de diffuser notre travail auprès des collègues qui nous suivent. Par ailleurs, il nous arrive de tweeter des ressources pour nos élèves, notre compte est alors un complément au site des Lettres de Matisse, d’ailleurs le widget de Twitter est inséré sur notre page d’accueil. J’ai remarqué que quelques élèves suivent le compte, et de ce fait, des tweets leur sont destinés et peuvent les guider dans leurs révisions. De plus, je mène avec ma classe de quatrième une expérimentation autour de Twitter, c’est un projet que j’ai monté avec Mme Bocquet-Tourneur, avec qui je collabore le plus souvent possible, que nous avons intitulé « #saviezvousque … la tweetclasse ». Nous avons la chance de posséder des tablettes numériques pour mener ce projet. Tous les quinze jours, un groupe de 10 élèves vient tweeter sur le compte qu’il a créé en début d’année. Ils envoient des informations sur le contenu du cours de français, ou bien posent des questions à leurs abonnés, réagissent à l’actualité. Très rapidement, trois collègues documentalistes ont rejoint le projet. Nous avons diffusé nos idées, et désormais, les quatrièmes de @FrancaisMatisse échangent avec leurs camarades de @ChaussUlis et @BrehalUlis.
Vous avez lancé un grand projet autour du centenaire de la guerre 14-18 : quelles sont les différentes activités menées dans ce cadre ? qu’apporte un tel projet aux élèves, mais aussi peut-être aux enseignants et au collège lui-même ?
Le projet « Témoignages de la Grande Guerre » (également référencé sous le nom « Créer une exposition visuelle, sonore et virtuelle, Témoignages de la Grande Guerre » dans l’expérithèque et sur Viaeduc) mobilise les deux classes de troisième du collège. Une dizaine d’adultes s’y est également investie, il s’agit d’enseignants, de personnel technique et de membres de l’équipe de direction. Ce projet est réellement au long cours, puisqu’il a commencé en septembre et s’achèvera à l’inauguration de l’exposition, au mois de mai. Il permet de faire lire, écrire, améliorer la culture et développer les pratiques des TICE. Les activités sont menées en collaboration avec Mme Bot et en co-animation avec Mme Bocquet-Tourneur. Pour décrire le projet de façon succincte, les troisièmes ont commencé par faire des recherches sur des auteurs ayant vécu la guerre de 14, par binômes, en se connectant au Pad académique afin de créer un document de collecte. Ensuite, à partir de ce document de collecte, les binômes imaginent un faux profil Facebook de l’auteur, tel qu’il aurait pu le créer pendant la Guerre de 14. Par la suite, chaque élève a rédigé une lettre de poilu. Deux types de panneaux sont donc créés pour l’exposition : des témoignages fictifs avec les lettres de poilus inventées par les troisièmes, et des témoignages littéraires avec les panneaux dédiés aux auteurs ayant participé à la tragédie de la Grande Guerre, et qui en témoignent dans leurs œuvres. Tous ces documents vont servir pour l’exposition, qui va se trouver enrichie d’un contenu numérique, puisque la notion de réalité augmentée sera mise en œuvre : un contenu interactif sera proposé pour chaque panneau. Enfin, des objets viendront agrémenter l’exposition, certains d’une taille qui s’annonce imposante : un mur de sacs de sable factices, donnant sur un poste de tir, sera monté dans la salle. Quelques croix de bois seront disséminées sous les panneaux d’exposition, une tranchée sera montée. Les photos de cette exposition seront ensuite postées sur le site.
De manière générale, en quoi le numérique vous semble-t-il ouvrir des pistes pour revitaliser l’enseignement du français ?
Le numérique peut dynamiser le cours, enrichir les évaluations, et permettre d’ouvrir la classe sur le monde. S’il reste un moyen, et non une fin en soi, les outils peuvent donner de nouvelles idées dans l’enseignement, et créer de l’appétit dans la matière pour certains élèves. Ils sont alors réellement acteurs dans la discipline, et construisent des savoirs, des compétences, des savoir-être en produisant de l’information, en lisant, en échangeant.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Le site « Lettres de Matisse »
Le site du CDI du collège Matisse
Le compte Twitter des enseignantes
Le compte Twitter d’une classe
L’exposition virtuelle « Témoignages de la Grande Guerre »
Présentation de la twittclasse
Exemple de bande-annonce illustrant le Papa de Simon
Exemple de marque-page
L’application du CDI