« La pédagogie ne peut plus être regardée au nom des discours réactionnaires. Il s’agit de vivre et mettre en actes les principes de la république (laïcité….) ». En ouvrant les 7èmes Rencontres Maternelle du GFEN, Claire Benveniste fait le lien avec les événements de janvier. Pilier des convictions du GFEN le « tous capables » et les capacités de l’humain à s’émanciper sont convoqués ici pour avancer : « Comprendre et analyser ce n’est pas justifier ni faire preuve de complaisance. Il n’y a pas de fatalité ». La portée de cette tragédie a forcément interpellé les « enseignants, les formateurs, les éducateurs. » Pour autant sans culpabiliser ceux-ci il nous faut avancer, « affirmer qu’enseigner est un métier ». Elle cite Viviane Bouysse sur les expériences de violences symboliques qui peuvent être vécues par les jeunes enfants à l’école, l’intériorisation qui peut créer des dommages. Selon elle c’est le premier point qui mérite vigilance quand on s’occupe des enfants. Sa conviction est que « le monde sera ce que nous en ferons. » « Cette responsabilité individuelle ne peut exister que dans la force du collectif. » Aussi cette 7ème édition a pour fil conducteur « les processus de socialisation. Accéder à la culture, se construire dans le savoir pour faire société collectivement. »
Une journée de rencontres ce sont des temps de conférences et d’ateliers qui alternent, des démarches qui se vivent in situ et qu’il est difficile de restituer. Ici un aperçu de quelques temps forts, les conférences de Claire Pontais et Marie-Thérèse Zerbato-Poudou, un atelier sur la pratique des sports collectifs à la maternelle. Mais il y avait aussi… « raconter des histoires en classe » avec un beau cheminement en littérature de jeunesse, « structures et engrenages » avec des constructions de ponts en kaplas, « parents enseignants, rôles complémentaires » où sont jetées les bases d’une réelle coéducation etc.
Claire Pontais explicite comment elle se retrouve là, à la tribune au début de cette journée. Sollicitée au départ pour animer un atelier sur les sports collectifs à la maternelle, elle a ressenti le besoin en préparant celui-ci avec l’équipe organisatrice d’ouvrir la réflexion, le cadre de l’atelier était trop contraint pour s’exprimer sur la socialisation. Claire Pontais cite un récent article du Monde suite au 11/01 qui préconisait : « il faut introduire dans l’école la culture du débat. » Le prof rédacteur de cette tribune proposait d’installer l’enseignement de celle-ci à la place des savoirs disciplinaires. Pour Claire Pontais c’est « ahurissant : comment débattre sur rien du tout ? Au contraire, dans la citoyenneté il y a les savoirs, leur accès pour tous. » Elle s’oppose aussi « à l’idée qu’il faudrait socialiser avant d’apprendre »,son propos visera à démontrer le contraire.
Penser les savoirs au cœur de la socialisation en maternelle.
D’abord savoir de quoi on parle et distinguer, socialisation émancipation, savoirs. « Éduquer c’est socialiser mais quelle socialisation ? » interroge avec provocation C. Pontais : « former des citoyens de la République ou des sujet de sa majesté ? Veut-on des des admirateurs de gourou ou encore du temps de cerveau disponible pour TF1 ? » Elle s’appuie sur des exemples de « dictatures » ou systèmes à pensée unique où les enfants sont soumis à une certaine socialisation « régie sur la docilité, la soumission à l’autorité ». Mais « il importe de se poser la question de quelle socialisation on veut et de quelle socialisation produit l’école ». Il s’agit ici de viser l’émancipation : « prendre les enfants pour des sujets qui pensent et non des chiens à dresser. ». « L’émancipation c’est l’affranchissement des dominations (du servage, des femmes, juridique des mineurs…). A l’échelle d’un individu : s’émanciper c’est acquérir des pouvoirs nouveaux. » Se référant à l’héritage d’Henri Wallon elle définit l’émancipation comme « acquérir le pouvoir de penser soi-même, s’éloigner des préjugés, s’autoriser libre cours à son imaginaire, développer sa penser critique » le tout permettant d’accéder à une autonomie individuelle. C’est aussi pouvoir d’agir et accéder à des techniques. En ce sens, l’EPS est un cadre où on agit en motricité extraordinaire, où on accède à des agirs extraordinaires. L’émancipation c’est aussi « le pouvoir d’agir et penser avec les autres, être capable d’avoir des controverses sans se fâcher, … s’enrichir des différences. »
La citoyenneté ainsi conçue est constructive. Elle peut s’intégrer dans la société tout en la faisant évoluer, en faisant bouger les cadres et ceci dès le plus jeune âge. Elle peut contribuer à la réduction des inégalités, voire à leur rattrapage (inégalités sociales, territoriales, garçons/filles…). « Depuis Wallon on sait que l’enfant naît social, que la socialisation ne s’arrête jamais. La socialisation est un processus très long. » précise C. Pontais. « Pour l’enfant c’est mettre de l’ordre dans ce qui n’est au départ qu’affectivité, subjectivité. C’est un combat que mène chaque enfant pour lui même avec la complicité de passeurs (les enseignants, les parents…) Ce n’est pas où l’enfant au centre, ou la société au centre. C’est un processus en même temps : en même temps que je me socialise je deviens moi. En même temps s’articulent et se concilient acculturation et individuation. » Une parenthèse sur la formule « enfant au centre » qui selon Claire Pontais a été meurtrière, et a mené à un débat stérile. Selon elle « il y a obligatoirement un rapport vivant entre les deux : l’enfant et la culture. La culture est un système de normes, de techniques, de valeurs dans lesquelles chacun doit se servir pour progresser… » « Tout être humain est équipé pour apprendre, mais l’apprentissage est coûteux en temps, en énergie, et surtout incertain, on ne sait jamais si on va y arriver. »
Dans le parcours de l’individu il y a l’école, lieu de socialisation spécifique
Ici se pose la question des contenus qu’on propose, du sens des apprentissages. Évidemment, l’enfant apprend aussi ailleurs qu’à l’école mais celle-ci est un passage « obligatoire, un lieu aux contraintes fortes, un lieu très particulier où on socialise par l’étude ». La socialisation obligatoirement médiée par la relation aux savoirs. « Cela donne un extraordinaire pouvoir d’être à égalité avec quelqu’un au travers du savoir (pouvoir s »autoriser à dire à l’enseignant qu’il s’est trompé…) La socialisation par le savoir c’est quand on montre ce qu’on a fait, qu’on peut expliquer aux autres. ». A l’inverse un enfant qui ne sait pas ce qu’on attend de lui, va être déstabilisé, va perturber… comme l’illustre le texte de Sylvie Cèbe et Patrick Picard, Ritaline ou donner du sens ?
Il n’y a donc pas de socialisation émancipatrice en dehors des savoirs et de la culture environnante.
Cette idée de culture, portée par le GFEN au sein du CSP, ne s’envisage que dans une conception vivante de la culture. « La culture ne se confond pas avec ses modes de transmissions classiques. La culture ce n’est pas seulement ce qui se passe au Ministère de la Culture, c’est ce que les humains ont inventé pour se donner des émotions, se dépasser, c’est des pratiques, des savoirs, des valeurs qui irriguent tout ça. » vibre Claire Pontais. Elle illustre : « la culture sportive aujourd’hui ce sont une quantité phénoménale de sports…Chaque activité va proposer une socialisation particulière. » Tous les médiums de socialisation présentent des atouts : « on ne socialise pas pareil en abordant la littérature, en ayant des expériences artistiques ou sportives… Si je fais des sports co, je vais me socialiser dans une confrontation à d’autres, une socialisation de coopération contre une opposition. Si je fais des exploits avec un ballon pour faire un spectacle c’est autre chose, il s’agit de réussir mes exploits pour ne pas montrer n’importe quoi aux spectateurs. »
Illustrant son propos en se référant à différentes activités sportives, Claire Pontais estime que l’on doit transmettre aux jeunes enfants la signification de l’activité : « comprendre pourquoi elle a été inventée, pour procurer quelles émotions, résoudre quels problèmes… » C’est donc important que l’on puisse s’identifier à différentes personnes (à des nageurs, à des acrobates, à des danseurs…) « On importe pas la culture extérieure de l’école comme ça, il faut la traiter pour qu’elle soit socialisante. » « Il faut des didacticiens qui vous aident. » précise Claire Pontais : « Afin de savoir ce qui est essentiel dans l’activité, afin de ne pas se perdre dans le formel ou l’inutile à la la maternelle. »
En fin d’exposé Claire Pontais illustre son propos avec trois façons différentes de mener une séquence d’apprentissages, un exemple concret où les différences du point de vue organisationnel vont conditionner le transfert (ou pas) des apprentissages selon le sens que pourra trouver l’élève dans l’activité, selon les savoirs à construire et du point de vue de ce que ça demande à l’enseignant comme gestes professionnels. Elle évoque un dispositif sous forme de parcours où les élèves sont surtout dans l’attente et ne savent pas forcément ce qu’ils travaillent à part une succession d’actions. Aucune référence sociale ne transparaît, le sens du progrès est difficile à percevoir et l’enseignant est centré sur l’organisationnel, doit réguler les perturbations liées au dispositif (l’attente engendre des bousculades…), doit répéter la consigne…Un deuxième dispositif « en ateliers » présente sensiblement les mêmes écueils (attente, peu de sens, et besoin induit de changer régulièrement le dispositif pour ne pas lasser les enfants), ici le lien avec la pratique sociale de référence peut être plus explicite (mais pas toujours) mais c’est souvent une répétition d’une action commandée, un entraînement mécanique sans tâche complexe associée où les progrès sont difficilement perceptibles. L’activité cognitive est peu sollicitée et ici encore l’enseignant est centré sur l’organisationnel. Claire Pontais oppose une troisième approche celle qui consiste à présenter une variété d’ateliers dans lesquels les enfants évoluent librement pour s’essayer et progresser parce que le but ultime sera la création d’un spectacle. Par cette dynamique engagée de présentation de spectacle l’enfant se motive à réaliser les exploits « les plus difficiles pendant toute la musique ». Pour l’enseignant il convient d’aménager les lieux pour favoriser les exploits. Mais cette organisation pédagogique peut être très ergonomique en étant assez pérenne dans le temps, « on peut travailler ainsi un cycle d’au moins 15 séances ! Pas à se préoccuper de changer, c’est dans la tête de l’élève que ça va évoluer. Les élèves identifient un enjeu clair (ne pas perdre son ballon par exemple) et comprennent le sens du progrès. Les enfants codent les activités, se situent : qu’est ce que je sais faire, qu’est ce que je ne sais pas faire. Les élèves s’entraînent donc. La socialisation va se faire à la fois par la confrontation à une activité sociale adaptée aux enfants et à la fois par la compréhension des règles, le tout médié par l’activité qu’on a à faire. »
Claire Pontais conclue : « Ce n’est pas miraculeux, c’est juste des enfants qui savent à l’avance ce qu’ils vont faire, qui sont donc capables de communiquer entre eux, de se partager l’espace. Ces apprentissages sont révélateurs d’une socialisation émancipatrice. »
Marie-Thérèse Zerbato-Poudou est « remontée » : elle introduit son propos : « on a beaucoup parlé de socialisation, de culture, etc, mais je ne suis pas experte en la matière. Je suis intimement persuadée que les enfants apprennent avec les autres, dans un contexte, on apprend des autres. On le sait, mais il faut se poser la question : que met-on en œuvre pour que ça fonctionne ?… »
Elle revient sur son cheminement personnel d’ex-enseignante en maternelle à sa thèse, cite Vygotski et la puissance du langage. « Évidemment dit-elle on se rend compte qu’à côté du sens il faut aussi travailler le tracé des lettres », mais il s’agit bien de concilier les deux en même temps. Et encore… elle provoque : « il y a plein de régions du monde où on ne fait jamais de graphisme et où on apprend à écrire quand même… » Sa thèse s’intitulait « De la trace au sens » aujourd’hui si elle devait la réécrire elle titrerait à l’inverse : « du sens à la trace ». C’est sans doute de ne plus être dans une classe qui lui a permis de prendre un peu de distance. Elle assène que le sens est premier : « C’est parce que nous donnons du sens à ce que font les enfants qu’ils entrent dans les apprentissages. » « C’est parce que nous montrons notre intérêt aux progrès des enfants qu’ils progressent aussi. »
Selon elle il y a quelques points essentiels à travailler à la maternelle : l’environnement en premier lieu. Certaines choses sont structurantes pour aider à la rencontre avec l’outil. Il ne s’agit pas de viser à une expertise motrice mais à pouvoir mettre en place les processus cognitifs qui vont permettre aux enfants d’apprendre. Ce sur quoi l’enseignant doit porter son attention, c’est sur « comment ils font, et travailler l’activité perceptive (regarder le modèle, observer, chercher à comprendre) ». Ayant mené un travail sur l’histoire de l’écriture dans une classe de GS où elle intervenait une fois par semaine, MT Zerbato-Poudou décrit aussi la force de la ritualisation de l’activité, elle était attendue, désirée pour parler de l’histoire de l’écriture ». Ne pas négliger la force du symbolique. Penser l’environnement porte nos propositions pédagogiques résume MT Zerbato-Poudou.
Avec malice, MT Zerbato-Poudou montre un extrait d’un document eduscol de 2013 concernant la création de nouvelles polices de caractère cursives. Elle y est citée et on priorise dans ce document son attachement à la prédominance du sens sur la conformité aux formes. Selon Zerbato-Poudou, la construction du rapport aux savoirs est un processus qui met en scène des rapports à des objets de savoirs, à des actions individuelles et collectives, à d’autres personnes, à d’autres institutions.
Il convient pour le jeune enfant, dès son entrée à l’école maternelle, de s’approprier les « règles du jeu » de cette institution. C’est pour cela qu’il importe de soigner la mise en place du contexte. Le contexte contient non seulement les objets de savoir mais aussi les conditions du dialogue didactique ainsi que les techniques spécifiques à l’action. Le cadre de vie influence le mode de pensée et le rapport aux savoirs. La classe est donc une organisation cognitive, elle propose des cadres pour penser. MT Zerbato-Poudou s’insurge contre les pratiques de premières rencontres du tout petit avec le langage écrit quand il doit par exemple repasser sur les lettres du mot septembre ou ordonner les lettres du mot septembre… Elle s’enflamme : « le langage écrit peut provoquer un bouleversement énorme chez l’enfant, c’est un transformateur cognitif. La langue écrite ne se réduit pas à la maîtrise de la trace. Outre son usage social, ses fonctions de communication et de mémorisation, le langage écrit, qui n’est pas la traduction graphique stricto sensu de l’oral est un formidable transformateur cognitif. Il est urgent à aborder à l’école. C’est une conquête qui doit se faire. Bien sûr qu’on va apprendre le sens de rotation du A mais je l’apprendrais volontiers quand j’aurais compris le sens… »Alors tout simplement, pour cette première rencontre prendre déjà le temps avant de lui présenter son étiquette prénom bien calibrée par une impression, prendre le temps la première fois d’écrire devant lui son prénom et de commenter son action, formuler des remarques sur les occurrences de lettres…
Organiser le milieu de travail recouvre plusieurs dimensions :
– le contexte matériel (choix des outils, des supports, des affichages…), ce contexte où trop souvent on propose « aux petits des feutres (qui glissent des mains) et des feuilles A4 ou pour varier des feuilles A4 et des feutres… » Or travailler la variété des outils, des préhensions est importante. Cela induit des postures, chaque outil offre une prise particulière, une ergonomie. A propos des affichages trop abondants, MT Zerbato-Poudou cite Eveline Charmeux : « les bennes d’écrit dans lesquelles on se noie ». Alors que l’écriture est vivante et fascinante, proposons à nos élèves la variété par exemple des calligraphies d’artistes.
– le contexte didactique et pédagogique (choix des tâches, le dispositif pédagogique, les consignes…),
– le contexte social (le travail en groupe, le dialogue pédagogique, les acteurs éducatifs),
– le contexte culturel (l’histoire de l’écriture.), l’écriture s’inscrit dans un processus évolutif, c’est de la matière vivante et « quand j’apprend si je veux que cet objet soit vivant je dois m’intéresser à son histoire et c’est passionnant. » Il suffit de montrer différents alphabets aux enfants, qu’ils cherchent ce qu’ils connaissent ou reconnaissent, des abécédaires, des broderies…contre les exercices de recopiage sur pointillés…
« Peut-on rencontrer la culture en traçant des lettres ? Oui mais à certaines conditions : insérer cet apprentissage dans un contexte signifiant, miser sur l’entrée par le sens, ne pas miser sur le transfert spontané des acquis réalisés en graphisme. »
Concluant son propos tout aussi énergiquement qu’elle l’a introduit, MT Zerbato-Poudou clame : « à l’époque des ordinateurs, des tablettes, des smart phones alors que l’écriture se réalise à l’aide des deux mains, pourquoi se crisper encore sur le sens de rotation du « o » ? »
Elle a choisi son camp : celui qui consiste à ce que les enfants considèrent qu’ils accèdent à une conquête, plus que de tourner le « o » dans le bon sens.
Un atelier sur les sports collectifs à la maternelle, comment ça se passe ? Claire Pontais note que contrairement à ce qu’on croit de prime abord les règles des sports co ne sont pas forcément immuables. Elles varient parfois selon certains contextes. Le détour par l’histoire originelle de la discipline sportive peut expliciter bien des règles. Il s’agit de ne pas les appréhender selon les interdits, mais construire avec les élèves ce qui va faire le jeu. Si l’on cherche à définir les sports collectifs on détermine qu’il y a toujours une équipe qui attaque, une qui défend. Pour que le jeu ait un intérêt il faut qu’il y ait égalité des chances entre les deux équipes. Toutes les règles sont aussi faites pour que le jeu soit plaisant à regarder, évolutif et qu’il n’y ait pas d’empêchement au jeu. »
Les participants à l’atelier sont amenés à verbaliser quels jeux collectifs ils proposent et ce qui leur pose problème dans ces pratiques. Reviennent souvent la nécessité de comprendre qu’on tient un rôle et de le tenir jusqu’au bout du jeu, l’engagement dans le jeu, la difficulté d’accepter de perdre et de gagner ou tout simplement de maîtriser ses émotions…Au niveau didactique on se demande comment faire évoluer les jeux proposés.
Claire Pontais reprend la main et indique d’abord que « Les émotions ça fait partie du jeu collectif, il faut les accepter. Si on ne se fait pas peur, si on ne hurle pas de joie alors il n’y a aucun enjeu. Un gamin qui pleure parce qu’il a perdu ça fait partie de l’apprentissage. » Il s’agit de voir à présent ce qu’on apprend dans le jeu.
Premier écueil : le fait qu’il faut que tout le monde puisse jouer et son corollaire le problème des jeux traditionnels basés sur l’élimination. Là il y a un bug, par rapport à l’éthique de l’école. Il y a des jeux qui intrinsèquement contiennent l’élimination, il faut y trouver des solutions. Proposant une situation classique de jeu : le loup et les cochons en PS, Claire Pontais explicite les enjeux des jeux collectifs d’opposition et de coopération à l’école :
-tenir un rôle dans un certain temps ;
– prendre des décisions.
Alors dans ce jeu du loup, quelles sont les stratégies ? Regarder son adversaire, être imprévisible, regarder partir les autres,… Ce qu’il y a à enseigner dans un jeu de loup c’est par où je passe, comment j’observe les attitudes du loup. Apprendre à prendre des infos dans le jeu : où suis-je par rapport au loup ?, le loup est-il loin ?, est-ce qu’il me regarde ?, est-ce qu’il me regarde dans une posture dynamique ou pas ?
Revenant sur un exemple d’évolution de jeu proposé par un participant (le jeu des des déménageurs avec l’introduction d’une variable qui consiste à porter des objets de plus en plus gros) Claire Pontais montre qu’on peut perdre l’objectif originel du jeu. Pourquoi le jeu de loup est un jeu collectif ? C’est apprendre à se situer dans le collectif (regarder où sont les loups, etc.), c’est moi au sein d’un collectif. Pas possible de déjà faire du coopératif. Si je veux travailler cet aspect, je choisis un autre support par exemple, la danse folklorique.
Quand on choisit un jeu il faut s’en tenir à son objectif de développer les stratégies. Comment faire pour ne pas éliminer les perdants ? Au tableau Claire Pontais dessine deux camps de cochons qui ont des légos à transporter (petits objets qui n’empêchent pas de courir): si le loup m’attrape il prend mon légo et non ma vie, je peux retourner en chercher un autre. Une équipe de loups. Pour qu’il y ait équilibre des chances il n’y a pas forcément autant de cochons que de loup… Comment évolue le dispositif ? A la première séance, le loup c’est l’enseignant, il arrive presque à prendre tout le monde mais pas tout à fait, il lui faut donc prendre des auxiliaires loups… (de 3 à 6). Dans ce premier essai de jeu, les cochons peuvent choisir…de se jeter dans la gueule du loup. Il faut beaucoup de temps pour identifier les rôles. Alors, comment aider les loups endormis ? Ou bien le loup décide d’attraper un seul cochon et se focalise sur lui, apprendre à développer sa vision périphérique.
Recourir à des exercices périphériques : par exemple le défi une minute dans un petit espace : un loup doit attraper le maximum de cochons. Progressivement l’enseignant s’efface. On constate qu’au bout du jeu il y a une équipe avec beaucoup de légos et d’autres peu… L’enseignant se préoccupe de ceux qui sont timorés ou timides. Montrer que la seule chose qui nous intéresse c’est ce qu’ils font pour attraper l’autre. En classe on peut revenir sur l’activité et faire dessiner les enfants sur leurs stratégies : « comment font-ils pour ne pas se faire attraper ? » Au départ le jeu est proposé avec un minimum de règles et quand il y a un problème on explicite celui-ci et le besoin d’énoncer une règle.
Avec un tel dispositif, en petite section, on peut tenir facilement 12 à 15 séances explique Claire Pontais, son évolution, la suite logique chez des enfants un peu plus grands, sera un jeu un peu plus difficile avec toujours la même optique centrée sur la stratégie. Le jeu des gendarmes et voleurs par exemple…
Claire Pontais propose des remédiations pour raccrocher au jeu les enfants timorés ou timides, ceux qui ne jouent pas, leur donner un statut particulier dans le jeu (une invincibilité temporaire) qui leur permettra par exemple d’aller oser délivrer leur camarade. Quand ils auront pris le goût du jeu, ce sera gagné. Toute la subtilité est de repérer ces enfants-là, de ne pas décider trop vite qu’ils sont faibles, de faire comprendre aux autres que ces joueurs-là vont avoir un rôle qui leur permet de progresser et qui ne soit pas perçu comme une injustice.
Claire Pontais conclue, selon elle en matière de jeux collectifs, si à l’issue de la maternelle les jeunes enfants sortent en en ayant déjà beaucoup joué au loup, aux gendarmes et voleurs, on aura déjà fait beaucoup et également contribué à réduire certaines inégalités.
Lucie Gillet
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