Faut-il assouplir ou mieux enseigner l’accord du participe passé ? Le Conseil international de la langue française et l’Association EROFA souhaitent une simplification : selon eux, les procédures d’accord sont complexes, l’usage oral tend de plus en plus à ne pas respecter la norme, le temps passé pour aider les élèves à s’approprier les règles, fort long et peu efficace, pourrait être mis au service d’objectifs plus utiles. Jeanne Dion, co-auteure du livre « Faire réussir les élèves en français de l’école au collège », émet une autre proposition : enseigner une règle unique, simple et efficace, y compris pour les cas difficiles ! Au nom du GFEN, elle éclaire ici cette règle, nous fait entrer dans l’histoire tout à la fois de la langue et de l’éducation, tente de redonner saveur au savoir…
Enquête « Accord des participes passés » : voilà une question qui fait couler beaucoup d’encre !
Faute de poser les questions essentielles, les avis se succèdent dans cette enquête qui n’a guère de sens puisqu’elle ne permet pas d’exprimer un choix au-delà de l’opinion, un choix qui puisse s’opérer en pleine conscience de ce que l’on garde, de ce que l’on abandonne. Comme pour la plupart des savoirs enseignés, c’est d’emblée le contenu de savoir qu’il nous faut interroger en lien étroit avec la pratique d’enseignement … Alors seulement on sera à même de choisir si on simplifie ou non, et si oui comment on le fait, ces fameuses règles d’accord des participes passés !
Et si on faisait le pari de construire, en une petite heure, en découvrant un contenu masqué pendant des décennies et qui laisse tant de nos collègues frustrés de leur peu d’efficience à enseigner des règles inextricables qui génèrent des exceptions, LA règle, unique et efficace, rendant compte de l’accord de TOUS les participes passés, y compris ceux des fameux «verbes pronominaux », si souvent évoqués comme une des difficultés principales !
En premier lieu, il est nécessaire de dégager la notion conceptuelle que représente cette forme du mode participe, temps passé, ou plus simplement, de se demander : qu’est-ce au fond qu’un participe passé ? Ce travail, tout à fait accessible aux élèves dès le CE2, commence par la nécessité de faire percevoir la valeur adjectivale de la plupart des participes passés, – on verra plus loin que certains n’ont pas cette valeur, ne peuvent pas « qualifier » un nom – ce qui entraîne qu’à l’instar des adjectifs, ils prennent les marques de genre et de nombre du nom (ou pronom bien sûr) qu’ils « qualifient ». C’est ainsi que Marot entendait l’accord de tous les participes passés et tenta d’en instruire son bon roi !
Voilà la force que possède
Le féminin quand il précède
…tous pluriers n’en font pas moins ;
Il fault dire en termes parfaictz :
Dieu en ce monde nous a faictz,
Fault dire en parolles parfaictes :
Dieu en ce monde les a faictes
On s’empresse donc de vérifier que la règle d’accord fonctionne :
– ainsi dans « Tu jettes ces verres cassés », c’est de « verres cassés » qu’il s’agit et l’accord en témoigne,
– pareil pour « Les filles se sont maquillées », on nous parle de « filles maquillées », donc le groupe est au féminin pluriel,
– de même dans « Les nouvelles que j’ai lues me plaisent » c’est de « nouvelles lues » qu’il est question…
Mais alors pourquoi dans ;
– « J’ai cassé des verres » où il s’agit toujours de verres cassés,
– ou dans « Les filles se sont lavé les cheveux » où il est bien question de cheveux lavés, les participes passés ne prennent pas les marques du genre et du nombre du nom avec lequel ils peuvent former un groupe de sens ? L’idée germe vite que ce serait une « faute » due à la nécessité d’opérer un retour en arrière pour effectuer convenablement l’accord, le nom qualifié n’étant pas encore écrit au moment de l’écriture du participe passé. C’est le cœur même de la « règle de fonctionnement » que des élèves très jeunes sont capables d’élaborer et de mettre en œuvre dans leurs écrits.
Et, si l’on veut simplifier – au sens scientifique de ce terme, aller à l’élément simple qu’on retrouve dans toutes les situations – proposons la règle unique élaborée par une classe de CM1 au terme d’une exploration rassemblant tous les « cas » qui habituellement font chacun l’objet d’une règle :
Les participes passés fonctionnent comme des adjectifs qualificatifs : ils s’accordent en genre et en nombre avec les noms ou les pronoms avec lesquels ils sont en relation, sauf quand les noms ne sont pas encore écrits au moment où on écrit les participes passés, dans ce cas on n’accorde pas.
Donc une règle, et une seule qui peut avantageusement remplacer le labyrinthe inextricable qui en a perdu et en perd encore plus d’un !
Plus de souci même avec « les jeunes gens qui se sont parlé ou qui se sont tu » pas plus qu’avec « les jours qui se sont succédé » car aucun de ces participes passés n’a de valeur adjectivale : les groupes les jeunes gens parlé ou tu ou les jours succédé n’ont pas de sens !
En cherchant dans l’histoire, l’orthographe qui par le passé, n’était pas haïe de tous, comme elle l’est aujourd’hui par de nombreux écoliers et adultes, y compris par certains écrivains, on découvre qu’elle n’a pas toujours été matière à exercices et qu’il n’y avait aucune injonction à en respecter les règles. Les variations orthographiques furent donc nombreuses dans les siècles passés, et pour ce qui concerne les participes passés, leur graphie était très aléatoire y compris chez nos auteurs classiques comme en témoignent les écrits de Corneille ou La Fontaine !!
Alors, que s’est-il donc passé en cette fin de XIXème siècle qui vit l’institution de l’école publique, gratuite et obligatoire prenant en charge l’instruction de tous les petits Français en même temps qu’elle érigeait des contenus programmatiques à leur inculquer ? Pourquoi les instituteurs de la 3ème république ne purent-ils pas tout simplement enseigner à tous les enfants que c’est la pratique basée sur l’oubli du retour en arrière pour accorder, qui devenait la règle en vigueur pour tous ? Etait-ce si dangereux de leur faire découvrir que « les fautes d’hier pouvaient devenir les règles d’aujourd’hui » ? N’a-t-on pas plutôt préféré inculquer en même temps que les savoirs, le respect de l’ordre établi à tous ces enfants de paysans émigrés dans les villes et qui seraient les ouvriers qu’on voulait formater à l’obéissance à la règle. Aussi, plutôt que d’initier le jeune citoyen à l’évolution de la langue en prenant en compte ses nombreuses variations, il a fallu démultiplier des règles – qui se révèleront vite inapplicables à tel point qu’une loi proposait, dès 1905 de ne pas accorder les pp avec avoir ! – pour justifier l’injustifiable !! Et c’est A Chervel qui précise dans son histoire de l’enseignement du français, que l’on instaura fin 19ème les « régimes », direct ou indirect, du complément d’objet qui servirent à élaborer la fameuse « règle avec avoir » !
C’est bien dommage de priver ainsi les jeunes de cette dimension anthropologique des savoirs qui les implique dans une véritable aventure humaine. Et la règle unique que nous proposons ne vise pas moins qu’à remplir un double objet :
– Simplifier considérablement l’accord incriminé
– Tout en restituant au savoir toute sa saveur !
Alors, oui, on simplifie en remplaçant les règles existantes par UNE SEULE !
La pratique relatée ci-dessus est issue des recherches de l’éducation nouvelle, en l’occurrence du GFEN (Groupe Français d’Education Nouvelle) mouvement pédagogique qui anime des stages de formation en mettant en partage ces pratiques analysées, en lien avec la recherche. De nombreux enseignants y découvrent, à la faveur de vécus souvent émouvants, qu’il y a quelque chose à comprendre, qu’il s’agit bien moins de se contenter d’enseigner des procédures qui n’impliquent ni construction de sens ni posture de recherche, donc ne crée aucune motivation chez les élèves – pas plus que chez les profs d’ailleurs ! C’est sans aucun doute introduire la dimension citoyenne au cœur du savoir et de l’apprentissage qui fait vivre le pari du « TOUS CAPABLES » en privilégiant la recherche du « pourquoi » qui éclairera le « comment ».
Ce travail, bien peu diffusé si on en juge par les premières contributions à enquête, fait partie des nombreuses démarches décrites et analysées en grammaire, conjugaison, orthographe, lecture, production écrite qui constituent l’ouvrage de Marie Serpereau et Jeanne Dion paru en 2009 chez Delagrave Faire réussir les élèves en français de l’école au collège ».Pour les personnes intéressées, je tiens également à disposition un PP qui donne à revivre l’aventure des participes passés avec irruption des voix de Clément Marot et de Voltaire ! Bien cordialement à tous et une pensée particulière à tous les collègues qui œuvrent au plus près des difficultés de nos jeunes, en souhaitant leur avoir donné envie de réussir en faisant réussir tous les élèves !
Jeanne Dion
GFEN Ile-de-France
J Dion, M Serpereau, Faire réussir les élèves en français de l’école au collège, Delagrave.
Le livre de Jeanne Dion et Marie Serpereau
La proposition de réforme