Secrétaire général du principal syndicat de personnels de direction, Philippe Tournier a une vision précise et globale des établissements et des valeurs républicaines. Il répond à nos questions sur la ségrégation dans l’école française et la volonté d’instaurer davantage de mixité sociale.
La ministre a lancé des consultations dans le cadre de la « grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République ». Qu’en pensez vous ?
On peut travailler sur les valeurs et le programme d’enseignement moral et civique. Mais on s’aperçoit qu’une partie des jeunes est déjà en marge de ces réalités. Ils ne sont pas forcément contre mais ils s’estiment marginalisés et se sont construits une autre société. Pour eux, le discours sur les valeurs c’est comme de l’eau sur une toile cirée.
Il faut comprendre que tant que la réalité vécue par ces jeunes et leur famille est le contraire de ce qu’on dit, il ne sert à rien de parler de valeurs républicaines. On parle de vivre ensemble mais une partie de la population voit bien qu’elle ne vit pas avec les autres.
Vous proposez une solution avec le PALME ?
Le Snpden propose que la carte scolaire rompe avec une logique de territoire pour se baser en zone urbaine sur le réseau de transport. On peut regrouper des établissements échelonnés sur un axe de transport et créer ainsi des conditions pour une mixité sociale. Cela à condition que le privé sous contrat soit obligé de se plier à la même carte scolaire. Sinon rien n’est possible. Donc ca suppose que les acteurs soient d’accord pour se fixer des objectifs raisonnables et acceptables socialement. Si on n’agit pas sur ce terrain il ne faudra pas s’étonner que les gens qui sont relégués continuent à nourrir du ressentiment.
Vous trouvez qu’on ne met pas assez de moyens dans les REP ?
On a mis beaucoup de moyens dans l’éducation prioritaire. Mais est ce certain que mettre des moyens va permettre à ces populations de rattraper le niveau des autres ? Ce que souhaitent les habitants de ces quartiers c’est fuir ailleurs. On peut toujours améliorer les conditions d’apprentissage. Si les élèves d’une zone reléguée restent entre eux, même avec des classes de 15 élèves, on ne réglera rien.
L’école participe-t-elle à cette ségrégation d’après vous ?
Elle n’en est pas à l’origine. Mais son fonctionnement ne l’empêche pas. De surcroit on observe un déni de cette réalité qui gêne. On sait bien que compte tenu de leur niveau, très souvent on va orienter les européens en série générale, les maghrébins en technologique et les subsahariens en professionnel. Ce n’est pas l’école qui construit cela. Mais c’est son résultat.
Avez vous évoqué ces questions avec la ministre ?
On a parlé de cela avec elle. Mais la tonalité générale de cette rencontre c’est de faire plus de formation continue et de travailler sur les programmes. On n’a pas abordé les questions de carte scolaire. D’ailleurs l’éducation nationale seule ne peut pas changer cela. Pour changer les choses il faudrait une politique bipartisane et de long terme. Or on assiste à un zigzag politique sur le dossier de l’intégration comme vient de le montrer la question de l’accompagnement des sorties d’élèves. Cette politique devrait aussi concerner la politique urbaine et pas que l’école.
Propos recueillis par François Jarraud