« Journalistes et enseignants semblent entretenir des relations souvent difficiles… » Xavier Pons est maître de conférences à l’université Paris-Est Créteil, ses travaux de sociologie des politiques éducatives portent principalement sur l’évaluation des systèmes éducatifs, les réformes des administrations scolaires, les transformations des États éducateurs en Europe et les modes de structuration du débat public en éducation. Concernant ce dernier domaine, il a étudié la question de l’identité professionnelle des journalistes en éducation français.
Comment avez-vous fait pour étudier l’identité professionnelle des journalistes de l’éducation ? Vous les avez interviewés, en mode arroseurs-arrosés ?
J’ai interrogé 30 journalistes en éducation de la presse nationale, tous types de médias confondus. Je les ai interrogés sur leur parcours, les contraintes de leur travail quotidien, leur vision du journalisme et de l’éducation… J’ai également utilisé d’autres travaux sur la couverture médiatique de l’enquête Pisa pour voir comment pouvaient s’opérer certains choix professionnels au moment de relayer cette enquête, et enfin quelques documents de l’Association des journalistes en éducation.
Il ne s’agit donc pas d’interviews en mode arroseurs-arrosés…
Il s’agit d’entretiens sociologiques. D’ailleurs j’ai pris garde à ne pas tomber dans ce jeu là justement, celui de la complicité sur le mode « on se comprend bien entre intervieweurs », car il aurait pu me faire rater mes entretiens. Souvent quand deux personnes croient se comprendre, elles ne se comprennent pas vraiment et en procédant ainsi, j’aurais pu laisser plein d’éléments dans l’implicite. Je ne crois pas que mes interlocuteurs l’aient vécu comme ça non plus. Je l’espère en tout cas.
Avez-vous découvert différentes catégories de journalistes spécialisés en éducation ?
Oui, ça a été une première découverte importante de ce travail. De manière générale, je me suis engagé dans ce travail car j’ai été surpris de découvrir qu’aucune enquête pratiquement n’avait été faite sur les journalistes en éducation alors qu’ils sont des acteurs essentiels de la construction des débats publics dans ce domaine. Je m’attendais donc à découvrir plus de complexité que l’image, souvent négative d’ailleurs, qu’on en a dans le milieu enseignant ou la recherche en éducation. Mais malgré tout, c’est bien la vision d’un groupe professionnel très fragmenté qui ressort de ce premier travail.
Les journalistes interrogés sont-ils des spécialistes, voire des experts du système éducatif ou des paparazzis qui préfèrent les faits-divers dans les collèges en crise ou les marronniers de la rentrée et du baccalauréat ?
Alors justement, cela dépend de la catégorie de journaliste retenue. Pour répondre à votre question, aucun des journalistes que j’ai interrogés préfère les faits-divers ou les marronniers ! C’est très clair, il s’agit de sujets perçus comme ennuyeux et peu professionnalisants. Très peu assument le terme d’experts. Certains reconnaissent détenir une expertise, une connaissance spécialisée, notamment une connaissance institutionnelle du champ (du ministère, de son fonctionnement, des différents syndicats en présence, des débats en vigueur…) mais plusieurs, parfois les mêmes, refusent de trop se spécialiser ou de s’enfermer dans une position de « sachant ». J’utilise quand même le terme « expert » pour désigner une catégorie de journalistes en éducation, qui se sont spécialisés très tôt dans ce secteur et y sont restés, qui publient des ouvrages (essais, enquêtes) sur l’école et qui tentent de structurer et professionnaliser le journalisme en éducation (en créant une association comme l’AJE, en organisant des rencontres professionnelles, en lançant des médias spécialisés etc.).
À côté des journalistes experts il y a d’autres catégories de journaliste de l’éducation ?
Oui. Les trois autres catégories de la typologie que j’ai construite sont les « convertis », des journalistes expérimentés venus à l’éducation après une première carrière professionnelle, qui se sont longuement spécialisés dans ce secteur et qui produisent une information qu’ils veulent factuelle et principalement orientée vers les acteurs de l’éducation (et pas forcément du grand public). Les « polyvalents » au contraire couvrent l’éducation depuis des rédactions généralistes et tentent de s’adresser au plus grand public possible. Ils entretiennent donc un rapport ambivalent vis-à-vis de leur spécialité journalistique : il faut se spécialiser pour saisir les enjeux mais pas trop pour garder la « fraîcheur » d’analyse nécessaire à leur volonté de vulgariser certains sujets. Les « outsiders » enfin désignent une dernière catégorie de jeunes journalistes, le plus souvent des femmes trentenaires, dont le poste éducation constitue le premier emploi stable après plusieurs années d’instabilité professionnelle.
La rubrique éducation, école, enseignement… dans un média n’est-elle pas la moins noble, loin derrière la politique intérieure, l’international, l’économie, la santé, le sport… ? En l’occurrence les journalistes de l’éducation ne sont-ils pas vus comme professionnels de second ordre ?
C’est en effet ce qui se dégage de beaucoup de témoignages, mais aussi de choix éditoriaux (unes, formats, distribution du matériel etc.) ou de certains agencements de locaux. Dans certaines radios par exemple, les locaux des journalistes en éducation peuvent être très éloignés du cœur de la rédaction que constituent le direct et les studios, contrairement aux services « politique » ou « international » situés à proximité. On voit là physiquement la hiérarchie des rubriques à l’œuvre.
D’après l’enquête, l’une des principales raisons à cela est la ténacité de certaines représentations au sein des rédactions (et de leurs chefs ou directeurs) qui contribuent à faire de l’éducation une rubrique de moindre importance. C’est une rubrique « féminine » avec ce que cela véhicule comme représentations stéréotypées. C’est un domaine que tout le monde pense connaître pour avoir été élève, pour être parent d’élève ou pour avoir des enseignants dans son entourage. Les journalistes en éducation doivent donc constamment lutter contre ces représentations, mais c’est parfois difficile car à l’inverse, la technicité de certains sujets rebutent ou irritent parfois. Comment parler de la mastérisation de la formation des enseignants dans un média grand public ?
Les journalistes de l’éducation ont-ils une influence sur la politique éducative du pays ? Certains vous ont-ils donné des exemples vécus en ce sens ?
De mémoire, ils ne m’ont pas donné d’exemple précis sur ce point. Quand ils évoquent leurs relations avec les décideurs, c’est plutôt pour parler du poids de la communication politique qu’il faut décrypter, en particulier sous le quinquennat précédent. Mais de manière générale, les situations où un acteur isolé peut par sa seule production influencer une politique sont rares. La méthode de l’entretien auprès d’un seul profil d’acteurs n’est d’ailleurs pas forcément la plus adaptée pour étudier cette influence. Si on se situe au niveau de l’action publique dans son ensemble, les journalistes en éducation ont indéniablement une influence sur les cours des débats qui entourent une politique éducative, et donc sur ses nombreuses adaptations. Ils contribuent à rendre visibles certains problèmes, à construire ceux qui méritent l’attention des décideurs et à en définir les termes. Regardez par exemple le sort réservé à ce dispositif expérimental de lutte contre l’absentéisme qu’on a appelé la « cagnotte » après l’article du Parisien en juin 2009 et les polémiques qu’il a entrainées…
Selon votre étude, peut-on comparer informer et enseigner ? Le travail d’un journaliste s’apparente-t-il à celui d’un enseignant ?
Je vois en effet deux actions de transmission qui supposent, pour être effectives, de s’enquérir un minimum des conditions de réception de ce qui est transmis, donc d’user d’une pédagogie et de connaître son « public ». Mais sur un plan conceptuel, je crois que la comparaison s’arrête là. En revanche, sur un plan plus pratique, journalistes et enseignants semblent entretenir des relations souvent difficiles. Il faudrait vérifier ce point avec une enquête auprès des enseignants mais les journalistes que j’ai interrogés évoquent par exemple le fait qu’ils sont souvent mal reçus par les enseignants. Certains leur demanderaient leur parcours scolaire, les renvoyant ainsi à leur condition d’élève et à une hiérarchie des formations dont ils ont souhaité s’émanciper. Ils ne sentent pas estimés pour le travail qu’ils effectuent et que les enseignants dévaloriseraient au motif qu’il ne s’agit pas d’un « vrai travail intellectuel ».
Et de leur côté les journalistes jugent sans doute les profs…
Certains journalistes reconnaissent volontiers éprouver une lassitude vis-à-vis de la « complainte » enseignante, visible dans les manifestations ou communiqués réguliers qu’ils doivent couvrir, l’opposition syndicale au ministère ou dans le lot d’essais critiques sur l’école publiés à chaque rentrée éditoriale. Si je me fais l’écho de ces discours, ce n’est pas parce que je les crois forcément fondés empiriquement. Peut-être cela ne se passe-t-il pas comme cela du tout. Mais on voit bien qu’on a affaire à des cultures professionnelles très différentes.
Propos recueillis par Gilbert Longhi
Xavier Pons, Les journalistes en éducation français : une exploration typologique. Education et Sociétés, n°33, ISBN : 9782804189921.
Voir aussi : L’école dans les médias
Comment les médias parlent-ils de l’école ? Comment aussi n’en parlent-ils pas, c’est à dire quelles différences entre l’image qu’ils en donnent et la réalité ? Quelles conséquences les médias ont-ils au final sur les politiques éducatives et sur l’école ? Ces questions se retrouvent dans le numéro 66 de la Revue internationale d’éducation de Sèvres. Dirigé par Xavier Pons, il fait le détour par l’Angleterre, le Sénégal, l’Allemagne, le Canada, l’Australie, les Etats-Unis et la Belgique pour décrypter les contes fantastiques des médias sur l’école. Alors que les médias sont souvent accusateurs envers l’école, cette fois ci c’est l’école qui médiatise les errances et les tares des médias.