« Je suis la ministre des 12,3 millions d’écoliers, de collégiens et de lycéens. Je serai tout particulièrement celle, aux côtés des équipes pédagogiques et éducatives, des 20% d’élèves en grande difficulté dès la fin de l’école élémentaire et de tous ceux qui subissent le poids des déterminismes sociaux ». Ces propos volontaires de N. Vallaud-Belkacem sont-ils encore d’actualité ? Il y a sans doute urgence à manifester cette sollicitude pour les bacheliers professionnels.
Quand la ministre n’est pas là, ça se voit. Les 18 et 19 décembre, lors de deux événements importants pour l’enseignement professionnel, l’absence de la ministre ne passait pas inaperçue. Le 18 décembre, deux ministres avaient fait le déplacement pour signer la convention des Olympiades des métiers, un événement phare pour les jeunes issus de l’enseignement professionnel. L’éducation nationale n’était pas représentée. Le lendemain, alors que la ministre de l’enseignement supérieur annonce une nouvelle orientation pour les bacheliers professionnels, la ministre est aussi absente.
Pourtant ce qui se met en route est important. L’enseignement professionnel c’est une histoire de succès. Car les enseignants de la filière réussissent des exploits. Ils ont su développer des pédagogies particulières pour reconstruire une relation entre ces jeunes et l’Ecole et arriver à leur donner un métier. Ils ont su, avec des élèves en difficulté, passer d’un bac en 4 ans à un bac en 3 ans Ce qui se fait au quotidien dans les établissements est magnifique. Mais toute l’histoire de l’enseignement professionnel a aussi à voir avec la domination et la relégation des classes populaires. Les enseignants le savent bien. C’est bien parce qu’ils sont les oubliés de la maison qu’ils sont les seuls à être bivalents dans le secondaire. Les élèves le savent encore davantage. Souvent ils arrivent dans l’enseignement professionnel sans le vouloir. Et ils voient bien que leur bac « égal en dignité » ne leur ouvre pas les mêmes portes qu’un bac général ou technologique.
Le projet de filière post bac réservée aux bacs pro renvoie à cette longue histoire. Sous prétexte de garantir la réussite dans le supérieur de ces élèves, on choisit une formation pratique avec un diplôme spécifique. Plutôt que faire le pari de les amener à un diplôme reconnu quitte à adapter le cursus, on continue à les mettre à part avec tous les risques de stigmatisation qui guette aux alentours. Ajoutons que c’est fait à la va vite. Conférence de presse emballée en une trentaine de minutes sur un dossier pas très bien maitrisé. Rapport et décision fabriqués en tout petit comité en 6 mois maximum pour décider l’avenir de 150 000 jeunes.
Les gens qui décident cela connaissent-ils seulement ces jeunes ? Avant de mettre ne place une formation en alternance ont ils une idée des discriminations dont sont victimes déjà une partie des lycéens professionnels ? Ont-ils une idée de ce qui se fait en lycée professionnel ? Ont-ils vu ces jeunes progresser aussi bien sur le plan social que scolaire ? Alors que la sélection à l’entrée du supérieur semble à nouveau à la mode, ne manifestent-ils pas avec ce projet un retour à l’exclusion et au réflexe de classe ? Est-ce le coût de l’accueil de ces jeunes dans le supérieur qui semble injustifié et qui pousse à ne leur offrir qu’une formation en alternance prise en charge par les entreprises ?
En l’absence d’un ministre en charge de l’enseignement professionnel, la ministre de l’éducation nationale qui aime à mettre en avant ses sentiments populaires a là un beau terrain d’exercice pur passer des mots aux actes.
François Jarraud