« La question de la note ne doit pas cannibaliser les débats sur l’évaluation ». Le 24 juin 2014, Benoît Hamon avait désigné le risque, pour la conférence nationale sur l’évaluation qu’il lançait, d’un dévoiement. Mais que peut-on attendre de cet événement ministériel ? Est-il à même de changer les pratiques ? Quelles conséquences pour l’Ecole ?
La conférence nationale sur l’évaluation des élèves accueille durant deux jours les 11 et 12 décembre, environ 800 participants parmi lesquels un jury de 30 personnes composé partie d’enseignants et cadres partie de parents, tous soigneusement choisis par le ministère. Il est présidé parle physicien Etienne Klein. Durant deux journées vont se succéder des conférenciers choisis eux aussi par le minsitère. Antoine Prost évoque le 11 décembre l’histoire de l’évaluation. Il est suivi par Agnès Florin à propos de l’évaluation et l’estime de soi. Le lendemain Jean-Marc Monteil parle de l’usage de l’évaluation des élèves, Gery Marcoux des usages internationaux. PLusieurs tables rondes évoquent les pratiques d’évaluation. A Antibi et B Bajou feront le lien entre évaluer et apprendre. Pierre Ferracci, président du CNEE, entre évaluation et orientation. Le 12 décembre, V Bouysse et E Bautier parleront des pratiques de notation. Puis O Barbarant et D Favre parleront des bulletins de notes et leurs usages.
Qu’est ce qu’évaluer dans le métier enseignant ?
Pourtant il est délicat de toucher à l’évaluation tant cette activité est identitaire pour les enseignants. En salle des profs on parle plus volontiers du dernier paquet de copies et des notes du petit Z que de pédagogie ou d’avenir de l’Ecole. C’est aussi l’activité la plus chronophage après les cours et leur préparation. Les enseignants lui consacrent en moyenne 3h36 par semaine dans le premier degré et 5h48 dans le second. Ce n’est pas pour autant que l’évaluation soit stable. L’Inspection générale a publié en juillet 2013 un rapport sur « la notation et l’évaluation des élèves » coordonné par Alain Houchot et Frédéric Thollon. Il dresse un état des lieux des pratiques d’évaluation de l’école au lycée. Son principal apport c’est de montrer un système éducatif coupé en deux par l’évaluation. A l’école primaire l’évaluation chiffrée a pratiquement disparu même si le Livret personnel de compétences n’a pas trouvé sa place. Par contre dans le secondaire, les notes sont toujours là et ce sont les autres modes d’évaluation qui dérogent même s’ils progressent spontanément. Le rapport souligne aussi que « dans la plupart des écoles et des collèges, la réflexion sur l’évaluation n’a guère abouti ».
Les objectifs de la conférence
Les objectifs de la conférence nationale ont été fixés dès le début par Benoît Hamon. » Ma conviction, affirme le Ministre, c’est qu’aujourd’hui, l’évaluation peut contribuer à accentuer les difficultés de ceux qui ont le moins de capital culturel, ceux qui ne maîtrisent pas toujours les codes de la réussite scolaire », déclarait le ministre le 24 juin.S’appuyant sur l’idée d’aider els élèves en difficulté par une évaluation plus bienveillante et plus utile, il introduisait l’idée de changer l’évaluation aux examens. » La manière dont on note aux examens », disait Benoît Hamon, « en dit long aux enseignants sur la manière dont ils doivent préparer leurs élèves à réussir ». La volonté de normer les pratiques d’évaluation des enseignants en utilisant les examens était annoncée dès le 24 juin. Le ministre affirmait « je sens une vraie demande chez les enseignants. Des syndicats s’engageront derrière les propositions du jury », ce qui laissait entendre de façon assez maladroite qu’elles étaient déjà programmées..
Du reste les syndicats ont réagi différemment à l’annonce de la conférence. Le Sgen attend de la conférence « des pistes affirmées et des choix politiques ». Ce sont les syndicats de la Fsu qui s’expriment le plus sur ce sujet. Pour le Snes, « il ne faut pas se tromper de débat et faire porter à l’évaluation chiffrée le chapeau de la difficulté – voire de l’échec scolaire.. Les évaluations certificatives que sont le brevet des collèges et le baccalauréat doivent s’appuyer sur des épreuves nationales et terminales garantissant l’égalité des candidats devant l’examen… Les nouvelles évaluations imposées ces dernières années (livret personnel de compétences au collège, épreuves locales en cours d’année en langues vivantes au lycée…), au-delà du fait qu’elles n’ont apporté aucune amélioration du système, sont une charge de travail supplémentaire importante pour les enseignants, dans un contexte de dégradation des conditions de travail et de rémunération. Il ne saurait être question de poursuivre dans cette voie ». La FSU, dans un communiqué co signé avec le mouvement d’André Antibi, prévient : » il ne s’agit pas d’imposer d’en haut une modalité d’évaluation unique. Les enseignants n’attendent pas une nouvelle injonction déconnectée de leur travail et il est essentiel que les propositions ministérielles soient soumises à leur consultation. »
Des résultats déjà connus ?
Le risque d’une normalisation plus poussée du métier enseignant est donc perçu. La méthode est aussi annoncée : conférence préprogrammée dite « de consensus » suivie d’une modification des examens pour imposer des changements dans la classe. Sur cette normalisation, le rapport remis le 9 décembre par le CNESCO est éclairant.
A vrai dire tout est déjà dans la circulaire de rentrée. Elle fixe clairement comme objectif de « faire évoluer les pratiques d’évaluation des élèves ». Elle explique qu’il « s’agit d’éviter que l’évaluation ne soit vécue par l’élève et sa famille comme un moyen de classement, de sanction, ou bien réduite à la seule notation… Il ne s’agit, en aucun cas, d’abaisser le niveau d’exigence requis par les prescriptions des programmes d’enseignement, mais de faire de l’évaluation une démarche, et non seulement une mesure, afin que l’élève se sente valorisé et encouragé à prendre confiance en ses capacités et puisse progresser ». Elle rappelle que la loi d’orientation « appelle à faire évoluer les modalités d’évaluation des élèves vers une évaluation positive, simple et lisible, valorisant les progrès, encourageant les initiatives et compréhensible par les familles, pour mesurer le degré d’acquisition des connaissances et des compétences ainsi que la progression de l’élève. » Selon le texte ministériel, les contenus évalués devront être » précisés à l’avance, les objectifs et les critères de l’évaluation sont énoncés et explicités ». La communication des résultats de l’évaluation devra être « accompagnée de commentaires précis mettant en évidence non seulement les erreurs, les insuffisances, les fragilités, mais aussi et surtout les réussites et les progrès de l’élève afin de lui permettre d’en tirer le meilleur profit ». A l’école comme au collège l’évaluation s’appuiera sur les compétences du socle commun. « Dans cette perspective, la notation chiffrée peut jouer tout son rôle dans la démarche d’évaluation dès lors qu’elle identifie les réussites comme les points à améliorer et indique à l’élève les moyens pour améliorer ses résultats », précise la circulaire. C’est dire qu’elle n’est plus jugée suffisante. La circulaire invite fermement les enseignants à associer note et évaluation des compétences. « Au collège, les évaluations sont restituées sous deux formes compatibles et complémentaires : notation chiffrée et renseignement des compétences ».
Deux bonnes raisons de changer l’évaluation
Il y a deux bonnes raisons de changer les modes d’évaluation. La première c’est que la notation ne récompense pas le mérite mais participe au maintien des inégalités sociales à l’Ecole. Les études docimologiques le montrent. Mais la croyance dans le mérite est un des derniers ciments qui tiennent l’Ecole et son rapport avec les parents. Qui osera s’y attaquer ? Celui qui réussira à rendre crédible une politique éducative en faveur des plus démunis. C’est un autre dossier ministériel urgent pour la ministre.
La seconde c’est qu’il n’est pas possible d’installer le socle commun sans introduire l’évaluation par compétences. Or l’expérience du Livret personnel de compétences a laissé un souvenir inoubliable aux enseignants… Il faudrait de la finesse, de l’accompagnement aux équipes qui s’emparent de la question sur le terrain, de la formation continue pour que l’évaluation sur le terrain aille dans le sens du législateur. Mais l’Education nationale a-t-elle cela ?
Peut-on changer l’évaluation ?
Le beau scénario imaginé rue de Grenelle est il susceptible d’impulser un changement ? On peut en douter. D’abord parce qu’il n’y a pas de consensus dans la profession sur la question de l’évaluation. Pour la créer et faire évoluer en profondeur les méthodes d’évaluation, il faudrait des efforts de formation que le système ne peut mettre en place. Or tout ce qui se passe dans la classe est pris très au sérieux par les enseignants. Ils adapteront l’évaluation administrative pour respecter les règlements d’examens tombés du ciel. La récente étude du Céreq sur l’évaluation en bac pro montre leur capacité à modeler des instructions à leurs usages. Ce n’est pas pour autant qu’ils changeront en profondeur leur conception de l’évaluation.
Pour que de réelles évolutions existent il faudrait qu’il y ait une demande sociale. Or celle-ci n’existe ni chez les enseignants ni chez les parents. C’est même là que se trouve le risque pour la ministre. Le rapport du Cnesco a bien montré le lien entre alternance politique et modes d’évaluation. Dans une France qui se droitise, l’opinion publique pourrait bien donner tort aux efforts ministériels.
François Jarraud