C’est une bombe que France Examens, une entreprise qui vit de la publication des résultats d’examens, vient de lancer sur l’École. Alors que la loi d’orientation s’efforce de promouvoir davantage de mixité sociale dans les établissements, le « palmarès » de France Examens va inciter les parents à fuir leur collège de secteur pour de « meilleurs » établissements. Non seulement France Examen trompe les parents en publiant ce palmarès. Mais il porte un coup funeste à une Éducation nationale qui n’en a pas besoin.
« Pour la première fois en France, un classement répertorie les collèges publics et privés selon leur taux de mention au brevet 2013« , annonce France Examen, une entreprise qui vit depuis 1986 de la publication des résultats d’examens. Le palmarès « s’appuie sur les données publiées par le ministère de l’Éducation nationale ». L’entreprise explique que « le choix du collège est une étape importante dans la vie des parents qui souhaitent offrir les meilleures chances de réussite à leur enfant ». Elle estime que le taux de mentions au brevet est un « critère plus pertinent » que la réussite au brevet. Pour appuyer ces propos, France Examens n’hésite pas à réutiliser dans ce contexte des témoignages d’enseignants, y compris récupérés dans des médias. On imagine qu’ils seront heureux de participer à la mise à mal de l’Éducation nationale !
Mais ce n’est pas le seul faux pas de ce palmarès dont il faut dire d’emblée qu’il est une gigantesque tromperie. Tromperie des parents d’abord parce que sur la plus grande partie du territoire l’offre scolaire est réduite au collège de secteur à moins de faire passer des heures en transport à son enfant. Tromperie aussi parce qu’en zone urbaine les places dans les établissements recommandés par le classement de France Examens sont limitées. France Examens a beau expliquer aux parents comment demander une dérogation, la publication du « palmarès » va surtout dresser des parents contre l’établissement de leur enfant ce qui est une bonne façon de le faire échouer. Tromperie aussi car le critère retenu n’est en rien un gage de qualité d’un établissement. Le vrai critère serait la plus value apportée par l’établissement, c’est-à-dire l’estimation des progrès des élèves, compte tenu de la composition sociale, du niveau de départ et de la gestion des élèves dans l’établissement. C’est ainsi que le Café pédagogique a publié en 2014 son propre palmarès des lycées qui mettait le lycée Romain Rolland de Goussainville en tête des lycées français. Mais France Examens ne fait même pas semblant de calculer cette plus value. Il ne fait que flécher les établissements les plus ségrégés socialement.
Le bon collège n’est pas celui qui affiche les plus forts taux de réussite au brevet ou le plus fort taux de mentions. Le meilleur collège c’est celui où son enfant s’épanouit et progresse. C’est celui où, sans trier les élèves d’année en année, une cohorte d’élèves fait de réels progrès entre la 6ème et la 3ème. C’est aussi celui qui fait mûrir son enfant et lui transmet des valeurs et un savoir-être. Or les résultats donnés par le « palmarès de France examens » sont tout autres. Ils mettent en avant les établissements privés et les collèges des quartiers favorisés et classent en dernier les établissements des quartiers populaires, y compris ceux qui sont extrêmement méritants.
L’initiative de France Examens fera d’autres victimes que les parents et les élèves. Elle risque fort de relancer la concurrence entre collèges que N. Sarkozy avait initiée en « assouplissant » la carte scolaire. On sait que cet « assouplissement » a accéléré là où c’était possible la ségrégation sociale entre collèges. Celle-ci est déjà extrêmement élevée entre les collèges franciliens comme l’a montré l’étude de M. Oberti. Concrètement elle devrait inciter les parents des catégories sociales moyennes à fuir les collèges des quartiers populaires pour demander un établissement plus favorisé. En réduisant la mixité sociale, en accélérant la ghettoïsation des collèges, déjà bien en marche, France Examens dégrade la situation de l’École. Et cette publication n’améliorera pas les résultats des élèves. En se basant sur Pisa 2012, l’OCDE a pu démontrer que » la concurrence entre les établissements n’est pas liée à une meilleure performance des élèves en mathématiques. Dans les systèmes où la quasi-totalité des élèves de 15 ans fréquentent des établissements en concurrence pour leurs effectifs d’élèves, la performance moyenne est similaire à celle des systèmes où la concurrence entre les établissements fait figure d’exception ».
Comment couper court à cette mauvaise action ? Il appartiendra au ministère de voir quelles relations il veut entretenir avec France Examens. Mais il doit d’abord aider puissamment les collèges qui décrochent. Ensuite, la loi d’orientation a trouvé la parade et le décret d’application est sorti. Le décret n° 2014-800 du 15 juillet 2014 donne la possibilité de définir des secteurs de recrutement comprenant plusieurs collèges. Cela donne à l’académie la capacité de veiller à la mixité sociale entre les collèges puisque l’enfant est orienté sur un secteur et non un établissement. France Examens vient d’inscrire au tableau des urgences la question de la carte scolaire et de la généralisation de ce dispositif.
François Jarraud
Le palmarès
http://www.france-examen.com/brevet/palmares-colleges/
Et sa présentation
http://www.france-examen.com/news/news-palmares/Dossier_Presse_Palmares[…]
L’assouplissement de la carte scolaire
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2012/02/16022012_Assoupli[…]
M Oberti étude sur les collèges franciliens
http://www.sciencespo.fr/osc/sites/sciencespo.fr.osc/files/rapport-carte[…]
Le palmarès des lycées du Café pédagogique
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2014/04/04042014Article63[…]
Ocde étude sur la concurrence
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2014/09/04092014Article63[…]
Sur le site du Café
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