Présenté par le premier ministre et les ministères de l’éducation nationale et de l’emploi le 21 novembre, le nouveau plan anti-décrochage articule une bonne idée, de bons sentiments, avec fort peu de mesures concrètes. Est-ce parce qu’il fait presque l’impasse des relations avec les collectivités territoriales ? Car encore une fois ce sont elles qui auront à faire face.
Une bonne idée
En reprenant l’idée québécoise des Journées de la persévérance scolaire, l’éducation nationale est très bien inspirée. D’abord parce que ça marche. Au Québec, les Journées mobilisent effectivement les communautés éducatives. Chacun arbore un ruban vert qui matérialise le souci de la réussite scolaire. En organisant chaque année, une « Semaine de la persévérance scolaire » dans tous les établissements, le ministère peut impulser un vrai changement. Le changement c’est qu’on ne parle plus de décrochage mais de persévérance scolaire, un concept plus positif, plus engageant et davantage tourné vers les difficultés de l’Ecole.
De bons sentiments
Cette bonne idée est accompagnée de bons sentiments pédagogiques. On nommera des référents dans chaque établissement et on confiera aux professeurs principaux la mission de lutter contre le décrochage. Ils ont déjà le dos tellement large ! » Une démarche globale visant à impliquer les parents dans le parcours scolaire de leur enfant et dans la vie de l’établissement sera mise en place », annonce le ministère. » L’évolution des pratiques pédagogiques sera poursuivie afin de renforcer la prévention et le repérage du décrochage dans la classe… La dimension éducative aux punitions et sanctions disciplinaires sera renforcée : elles devront systématiquement être expliquées et les parents pleinement associés au processus décisionnel ». On en trouverait encore d’autres dans le document officiel.
On ne peut que souscrire à ces recommandations. La question c’est évidemment comment on les met en place. Le dossier évoque la formation initiale avec un module consacré au repérage du décrochage ce qui est déjà peu précis. On promet de la formation continue mais sans engagement précis. Ou plutôt si : il y a une décision : celle de lancer un MOOC sur le décrochage. On nous pardonnera de ranger cela dans les bons sentiments…
Quelques mesures faussement concrètes…
Il y a quand même quelques mesures pédagogiques plus concrètes. La généralisation des Conseils de vie collégienne (CVC) sur le modèle des conseils de vie lycéenne , est une bonne chose. Mais les CVL ont beaucoup de mal à exister. Ils ne vivent vraiment que là où les collectivités territoriales leur donnent des moyens d’action, à l’exemple de ce que fait la région Ile de France. coté éducation nationale il y a un grand flou sur le budget consacré aux CVL. Le nouveau plan n’en parle pas plus..
La généralisation de la mallette des parents est une mesure qui pourrait être intéressante. La mallette facilite l’intégration des élèves en 6ème et l’acceptation des décisions d’orientation en 3ème. Elle coute quasiment rien. Mais elle consomme beaucoup de temps du principal. C’est là où est le point délicat : il faudra mobiliser et former les principaux sur qui reposent déjà beaucoup de responsabilités.
Les classes passerelles au lycée sont une idée déjà ancienne présente dans la réforme Chatel. Elle est aussi ambitieuse. Car jusque là on n’a vu ces passerelles ne fonctionner que dans le sens du toboggan. C’ets d’ailleurs ce qu’envisage le plan officiel : » Les passerelles de la 2de générale et technologique vers 1re professionnelle seront davantage anticipées, afin de préparer les élèves à un changement de cursus et de sécuriser leur passage, notamment en réservant une part des capacités d’accueil en 1re professionnelle ». Rien n’est dit sur les compétences professionnelles que les jeunes acquièrent en seconde professionnelle. Là aussi les professeurs se débrouilleront avec les jeunes envoyés par en haut…
Des inquiétudes
Une mesure simple aurait pu être prise : l’allongement de la scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans. Elle aurait ouvert des droits clairs aux jeunes. Cette mesure est étudiée mis pas acceptée.
A la place le plan propose deux dispositifs. D’abord un « droit au retour » dans le monde scolaire. « Les jeunes sortant du système éducatif sans diplôme pourront bénéficier d’une durée complémentaire de formation qualifiante Cette mesure s’adresse aux jeunes âgés de 16 à 25 ans qui ne possèdent aucun diplôme ou, au maximum, le diplôme national du brevet ou le certificat de formation générale. Elle vise l’acquisition soit d’un diplôme (général, technologique ou professionnel), soit d’un titre ou certificat inscrit au répertoire national des certifications professionnelles. Pendant la durée de la formation qualifiante, le jeune peut relever de différents statuts : salarié sous contrat en alternance (contrat d’apprentissage ou contrat de professionnalisation), stagiaire de la formation professionnelle, statut scolaire… La durée complémentaire de formation qualifiante peut consister en un droit au retour en formation initiale sous statut scolaire. Ce droit peut être exercé dans les deux années qui suivent la sortie du système éducatif. La durée de la formation est d’une année scolaire, qui peut être prolongée en fonction du bilan de la formation qui aura été effectué ». D’une part ce droit se limite à une année ce qui peut empêcher d’accéder à un diplôme préparé en 2 ou 3 ans (le bac par exemple). D’autre part, on voit mal comment en l’absence de financement (le document n’en parle pas) on pourrait accueillir ces jeunes dans des établissements où déjà on manque d’enseignants.
Alors c’est l’autre dispositif qui pourrait bien devenir la règle. » Un parcours aménagé de « stagiaire de la formation initiale » sera mis en place pour les 15-18 ans risquant de sortir sans diplôme ou sans qualification d’un établissement du second degré. Le jeune conservera le statut scolaire et bénéficiera d’un parcours de formation sur-mesure et d’un accompagnement personnalisé. Ce parcours permettra au jeune de disposer d’un temps de réflexion mais aussi l’opportunité de sortir de l’univers scolaire tout en intégrant des activités encadrées (ex. de type service civique, stages de découverte en entreprises, etc.). Le jeune sera suivi par un tuteur au sein de l’établissement en vue d’intégrer une solution de formation adaptée ». Là le risque de régler des problèmes d’intendance en dirigeant vers des dispositifs très allégés des élèves est bien réel. Nous avons vu cette année cette méthode mise en place dans le 92 pour les redoublants de terminale sans se soucier du fait que ces formations allégées ne préparent pas au post bac.
Des absents
Le premier absent c’est le financement. Les mesures s’accumulent. Certaines sont très ambitieuses comme changer la pédagogie et les relations dans les établissements scolaires. Mais le plan ne prévoit que 50 millions que l’Etat irait chercher auprès de l’Europe. Si pour le gouvernement le coût du décrochage se chiffre à 30 milliards par an, alors le plan présenté le 21 novembre par le premier ministre et les ministères de l’éducation nationale et de l’emploi, n’est pas à la hauteur des enjeux financiers et relève de la mauvaise gestion.
L’autre absent ce sont les collectivités territoriales. Ce sont elles qui doivent coordonner les politiques de lutte contre le décrochage. Or le plan gouvernemental parle très peu des relations à construire avec elles. Et ce n’est peut- être pas sans lien avec la remarque précédente. Qu’ils s’agisse des micro lycées, des structures particulières ou des plateformes de lutte contre le décrochage , on attend des collectivités territoriales qu’elles fassent les efforts nécessaires.
François Jarraud