Entre l’école et les parents, le courant ne passe plus. Tous les parents ? Hélas surtout ceux des familles populaires , c’est à dire ceux avec qui l’Ecole doit le plus travailler. Sociologue (Rennes 2), Pierre Perier a fait un état des lieux des relations entre familles populaires et école le 17 octobre lors de l’Université d’automne du Snuipp. Il invite à prendre conscience des enjeux. Et propose des solutions.
La coopération avec les parents : nouvel enjeu des scolarités
Cette coopération fait l’objet d’une mobilisation soutenue des politiques aujourd’hui, après avoir été fortement portée dans les années 80. La création d’un secrétariat à la réussite éducative, en 2012, témoignait de cette préoccupation du gouvernement pour les élèves de familles populaires. L’attente de l’école a évolué : désormais la participation des parents est incluse dans ce que l’on peut considérer comme une division du travail entre l’éducatif et le scolaire. Pourtant cette volonté ne permet toujours pas d’intégrer toutes les familles dans ce qui est attendu : le rôle des parents que l’institution a défini, où ils sont des alliés dont on attend complémentarité et recours. Et cela n’est pas sans poser problème…
Une fausse évidence : suivre la scolarité
En effet, on est ici dans le domaine de l’implicite, ce que P. Périer appelle la « boîte noire du partenariat » . il faudrait expliciter ce qui est attendu et possible de part et d’autre afin de lever deux types d’obstacles : pratiques (des horaires des réunions, qui pourraient convenir à tous) mais aussi symboliques (le rapport au temps, le mode de communication). Faute d’y avoir accès, des familles restent exclues et sont privées de ce droit d’information minimal. Les aider à négocier la bonne distance dans cette relation implique qu’ils aient conscience de l’enjeu et des règles du jeu, mais aussi qu’ils aient les ressources pour jouer le jeu ; c’est également la nécessité de reconnaître l’interférence entre l’espace privé (la maison, la famille) et public (l’école comme espace politique). Il n’y a pas forcément continuité entre les deux et cela est créateur de tensions. La salle réagit d’ailleurs lorsque Pierre Périer évoque l’isolement social, le repli défensif dans lesquels « se réfugient » les familles, allant jusqu’au décrochage parental. Ce constat résulte par exemple de situations où les parents sont impuissants à aider leurs enfants : la sanction alors est double, venant de l’école et de l’élève, et se soldant par la disqualification des parents !
Des effets pervers
Il faut donc ré interroger la norme pour éviter ce genre de situations où une catégorie de parents est considérée comme « déviants », pour que des inégalités ne subsistent pas entre les familles en connivence avec l’école et les autres, ces dernières pouvant se considérer victimes d’une injustice, alors même qu’elles font de réels efforts pour se conformer aux attentes. Cela s’appuie sur les paradoxes du partenariat, qui institue un rapport asymétrique, reste dans l’implicite en s’adressant à un parent idéal, se développe inégalement, jusqu’à être lacunaire là où pourtant on pourrait le juger le plus nécessaire.
Face à la difficulté, tactiques et risques
Comment passer de la confiance à la défiance ? Un témoignage vidéo illustre ce type de ressenti douloureux, et la salle semble acquiescer, à regret, quand la maman de 3 enfants affirme « l’école sait comment blesser les parents ». Si la confiance en l’institution est souvent première, elle peut vite se perdre. Placés dans le doute lorsqu’ils sont dans l’impossibilité de surmonter une difficulté, ils peuvent alors tomber dans un fatalisme qui les amènent à naturaliser la difficulté de leur enfant : c’est une manière d’atténuer le jugement scolaire, défavorable. Parce que ce jugement renvoie à la qualité éducative parentale, on aboutit à une stratégie d’évitement, les parents adoptant une posture de défense de l’identité individuelle mais aussi à un certain déni de la réalité afin de préserver malgré tout le lien familial.
Disqualification des parents et autonomisation des enfants
Mais toutes ces stratégies portent en elles un risque considérable : que les parents soient disqualifiés. Lorsqu’ils n’ont pas accès aux ressources pour aider leurs enfants, ils ont le sentiment d’être dépossédés de leur éducation et font alors reporter sur l’enfant la charge de son propre destin. Par l’affaiblissement de l’autorité symbolique qu’elle entraîne par ricochet, ce choix des familles se traduit alors par un processus de double délégation : à l’école d’une part, à l’enfant lui-même d’autre part. Pour ce dernier, survient alors une prise de contrôle de la relation avec l’école, au risque d’aboutir à une véritable solitude scolaire. Dans ce cas de figure, on peut toutefois faire quelques hypothèses sur un renforcement des effets de pairs, sur le regard de l’enseignant, encourageant cet élève, et sur une émancipation devenue possible pour lui à travers la prise en main de sa scolarité.
Quelques principes pour une coopération équitable
Pour éviter la dissonance culturelle, travailler sur la reconnaissance des parents par l’institution (sollicitude, droit et estime de soi) en tissant des liens qui autorisent une reconnaissance réciproque et en créant les conditions d’une parole prise en compte . Cela implique aussi de travailler avec des parents réels, en se défendant des préjugés, en oubliant les normes. Il faut leur faire signe sous différentes formes (réunion précoce dans l’année, explicitation des règles…), clarifier les responsabilités, créer les conditions d’une égalité entre parents, introduire une médiation chaque fois que nécessaire, et enfin discuter avec les enfants, les mettre dans la boucle.
Martha Laclairière