Dans la lutte contre les inégalités à l’Ecole un grand pas a été fait le 2 juillet. Pour lutter contre la ségrégation sociale et scolaire à l’Ecole il faut la connaitre. C’est le sens de l’action que mène depuis 2011 la région Ile-de-France avec l’Observatoire de la mixité sociale et de la réussite éducative. Le 2 juillet, il publiait trois études financées par le conseil régional. Pour Henriette Zoughebi, vice-présidente de la région en charge des lycées, ces études sont « un véritable apport pour des politiques publiques ».
Et si le « PISA choc » avait enfin eu lieu à Paris le 2 juillet ? Pour l’OCDE les inégalités sociales à l’Ecole sont le premier problème du système éducatif français. Elle génère notamment un échec scolaire massif et ciblé socialement qui pèse durablement sur la société française. La région Ile-de-France relève ce défi. Depuis 2011, sous la direction d’Henriette Zoughebi, vice présidente du conseil régional en charge des lycées, l’Observatoire de la mixité sociale et de la réussite éducative travaille sur ces questions. La région a financé trois études qui pour la première fois éclairent la situation et surtout les mécanismes de la ségrégation scolaire. Des études qui permettent de fonder des politiques et qui se complètent. Car c’est bien l’objectif que s’est donnée Henriette Zoughebi.
Si la ségrégation a été bien étudiée au niveau des collèges, les études de l’Observatoire abordent le territoire vierge des lycées. Elles montrent l’importance de la ségrégation. En Ile-de-France un jeune de milieu populaire a deux fois moins de camarades de famille privilégiée qu’un jeune issu des milieux favorisés (23% contre 52%). La ségrégation est plus forte à Paris que dans les académies de banlieue.
Quel impact d’Affelnet sur la ségrégation ?
Gabrielle Fack, Julien Grenet, Asma Benhenda, de l’IPP, ont travaillé sur l’impact d’Affelnet sur la mixité sociale et scolaire dans les lycées franciliens. Leur étude montre une ségrégation très importante à Paris mais en baisse alors qu’elle reste stable à Créteil et Versailles. Mais le grand intérêt de l’étude c’est de montrer les mécanismes qui l’alimentent. Pour les auteurs, « le rôle central des notes dans l’Affelnet parisien explique le maintien d’une forte ségrégation ». La règle d’affectation qui donne la priorité aux boursiers à Paris a fait chuter la ségrégation. La part des boursiers dans les meilleurs établissements a triplé depuis 2008, amenant de la mixité sociale dans les établissements (-20%). Par contre le poids des notes, qui restent le premier critère d’affectation, alimente la ségrégation sociale et scolaire. A Créteil et Versailles, c’est la faible dimension des secteurs d’affectation qui impose la ségrégation.
Comment on fabrique de la ségrégation dans les établissements
La seconde étude, menée par Eric Maurin, Son Thierry Ly et Arnaud Regert, travaille sur l’impact des politiques d’établissement sur la ségrégation. Plusieurs facteurs s’additionnent pour atteindre le haut niveau de ségrégation. Le premier c’est bien sur la ségrégation géographique. Elle est réelle quand on compare les communes. Mais l’étude montre aussi que la ségrégation existe entre établissements d’une même commune et entre classes dans le même établissement. Il faut donc faire entrer d’autres critères. Les auteurs montrent que la politique de constitution des classes est un vecteur ségrégatif. Déjà l’absence de toute politique anti ségrégation en fait nourrit la ségrégation. C’est même sa source principale. Mais il y a aussi les politiques d’établissement. Son moteur principal c’est le regroupement des élèves en fonction des options. L’allemand LV1, le latin sont utilisés pour marquer la ségrégation comme d’autres enseignements optionnels. On compte ainsi 51% de privilégiés dans les classes de latin en 5ème, 54% en allemand. La concurrence des établissements privés est aussi un autre vecteur important. Les établissements qui ont une politqiue active ségrégative sont généralement soumis à cette concurrence.
Quels leviers utilisent les lycées performants ?
On reste dans l’établissement avec la troisième étude de Marie Duru-Bellat, Vincent Chevrier, René Paul Arlandis et Linda Oulmane. Ils se sont intéressés aux facteurs de réussite scoalire en étudiant de près le fonctionnement de 14 lycées ayant une forte valeur ajoutée. L’étude met en avant 4 facteurs de réussite : la stabilité des équipes, une vision cohérente de l’établissement et de l’éducation, une ouverture sur l’environnement culturel et des moyens matériels. En effet il faut des équipes pédagogiques stables, assidues et motivées. » Les professeurs sont impliqués. Il est possible de leur poser des questions en fin de cours. Ils sont disponibles », témoigne un élève du lycée J Prévert de Boulogne (92). Le rôle du chef d’établissement et du CPE sont nettement soulignés. » J’ai jamais eu de CPE comme ça : je les adore. Ils sont sympas. Ils s’impliquent. Ça se voit qu’ils s’intéressent à nous. Ils aiment leur métier », déclare un élève du lycée Nobel de’ Clichy. » Personne ne vient au lycée avec la boule au ventre. On est à l’aise avec les professeurs, les CPE, le principal : ils nous mettent à l’aise, ils sont gentils », dit une élève de L Michel de Bobigny. Cette cohésion dans l’établissement , basée sur une forte identification à l’établissement, semble aussi importante.
Pourquoi lutter pour la mixité sociale ?
Mais pourquoi faudrait-il assurer plus de mixité sociale et scolaire dans les établissement ? Pour Eric Maurin plusieurs études montrent que les classes de niveau peuvent être positives au primaire. Au collège, « favoriser la mixité amène de meilleurs résultats globaux mais faiblement », affirme-t-il. « Pour Julien Grenet les effets ne sont pas les mêmes selon son niveau scolaire. La mixité aide les plus faibles mais n’a pas forcément d’effet sur le splus forts. H Zoughébi apporte un autre éclairage : « Sans mixité sociale on ne fait pas société », dit-elle. Améliorer la mixité pose aussi la question de son admissibilité sociale. « Il faut aussi que ce soit accepté par les enseignants », explique F Robine, directrice générale de l’enseignement scolaire (dgesco). Elle doit donc être accompagnée par des formations.
Quelles politiques mettre en oeuvre ?
Cette réserve faite, sur quels vecteurs s’appuyer pour lutter contre la ségrégation ? Il y a à l’évidence un travail à faire sur la sectorisation : avoir des secteurs plus importants en banlieue en jouant sur les lignes de transport par exemple. Pour le lycée cela concerne l’Etat. F Robine signale la publication prochaine d’un décret imposant au moins 2 collèges dans chaque secteur pour l’affectation en 6ème.Le décret va paraitre mais les conseils généraux vont eux disparaitre…
Second levier : réduire le poids des notes dans l’affectation. La question c’est par quoi remplacer ce critère d’affectation. Julien Grenet pencherait pour une loterie mais comment les parents verraient -ils cela ? Au niveau local, construire les classes en se fixant un objectif de mixité serait efficace ou au moins les sensibiliser à la question.
Pour le conseil régional, Henriette Zoughebi avance deux autres leviers. » Le développement de la polyvalence dans les établissements, par agrandissement des lycées existants, est une piste comme le développement de passerelles entre filières », explique-t-elle. « Les études montrent qu’il y a une vraie concurrence avec le privé et ça augmente l’entre soi.. En travaillant avec les établissements privés, on pourrait envisager quelles obligations mettre en place pour qu’ils ne jouent pas en faveur de la ségrégation ».
On le voit toutes ces études mènent à des décisions qui dépassent le cadre d’un collectivité territoriale. » Il faut une politique volontariste. On ne peut pas laisser faire le local. Il faut du politique », dit H Zoughebi. » On n’est pas responsable de la sectorisation ni des affectations. Il faut travailler ensemble avec l’Etat ». Florence Robine, Dgesco, » ne tire pas des conclusions au dela du périmètre particulier francilien » de ces études. « Mais j’en tire », ajoute-elle. » Il y a une absolue nécessité de la coopération » avec les collectivités territoriales. Mais justement l’Etat est en train de redistribuer les compétences entre elles.
François Jarraud