Comment manger un chapeau sans succomber à l’indigestion ? Il faut intégrer les morceaux du chapeaux dans de grandes ratatouilles distribuées au maximum de personnes possible. C’est cette recette éprouvée que Benoît Hamon suit pour le traitement des ABCD de l’égalité. Les ABCD n’existeront plus sur le terrain mais le thème de l’égalité sera tellement généralisé que peut-être on n’en percevra pas le goût amer…
Le plan Hamon
S’exprimant le 30 juin en fin de matinée, le ministre annonce « un plan général égalité filles garçons », un « dispositif sans précédent dont la France peut être fière ». « On en revient pas en arrière », affirme B Hamon. Ce dispositif qui remplace les 600 classes qui expérimentaient les ABCD de l’égalité, repose en premier lieu sur la formation initiale de tous les professeurs. « On permet à tous les professeurs en formation continue d’avoir accès à une formation sur l’égalité en priorité ceux du premier degré », ajoute B Hamon. L’égalité sera intégrée dans les futurs programmes et les conseils d’école pourront « informer les parents sur la place de l’égalité filles garçons dans le dispositif pédagogique de l’établissement ».
Et dans la classe ? « Il y aura la possibilité de faire des séquences dédiées » mais dans le respect de « la liberté pédagogique des enseignants ». Une mallette pédagogique, qui reprendra certains éléments des ABCD sera disponible. A terme « il y aura une culture de l’égalité qui ne nie pas la différence mais affirme l’égalité en droits et qui veut éliminer l’augmentation du non respect entre filles et garçons ».
B Hamon justifie ce changement. « Les modules de l’ABCD de l’égalité faisaient l’objet de toutes les polémiques. Les ABCD étaient devenus le champ de bataille des adultes sans qu’on ne puisse plus sereinement enseigner l’égalité en classe. J’ai voulu que les écoliers ne soient pas otages des querelles des adultes ».
Le rapport appelle à continuer autrement
Pourtant, le rapport de l’Inspection générale, dirigé par Viviane Bouysse, est loin de conclure à la fin de l’expérimentation. Le bilan est positif, par exemple les enseignants « développent une vigilance plus élevée que par le passé aux modalités d’organisation et de conduite de la classe. » L’Inspection invite à faire évoluer le dispositif. « Cet effort doit être poursuivi et amplifié » conclue le rapport mais en le faisant évoluer. » Il ne peut être proposé de renoncer au projet, il s’agit même de l’amplifier, mais en en faisant évoluer les modalités. L’égalité des droits entre les filles et les garçons ne peut pas relever d’un « dispositif » que les professeur(e)s auraient la faculté de choisir ou de rejeter. Il n’est pas non plus possible de penser généraliser le dispositif expérimental sous les mêmes formes et dans les mêmes termes qu’en 2013. D’une part, les acteurs de terrain sont, pour la majorité d’entre eux, dépourvus des appuis conceptuels et des outils pratiques nécessaires ; d’autre part, il faut que la sérénité revienne pour que toutes et tous s’engagent de manière active et coopérative dans cette évolution éducative à laquelle la lutte contre la transmission des stéréotypes sociaux les convie ».
V Bouysse recommande « volontarisme, prudence , clarté« . Ainsi elle établit des éléments de communication avec les parents. » Il semblerait plus prudent de ne plus utiliser l’expression « l’égalité filles – garçons » sans faire référence au droit (et afficher alors : « l’égalité des droits des filles et des garçons »), aux compétences qu’ils peuvent acquérir (et afficher alors : « l’égalité des compétences et des possibles entre filles et garçons ») et aux choix éducatifs et didactiques, ainsi qu’aux comportements pédagogiques (et afficher alors : « l’égalité de traitement des filles et des garçons »). Se référer au droit de l’éducation et donc au droit à la même éducation pour tous, c’est rassembler tous les membres de la communauté éducative – qui comprend notamment les parents – autour d’une valeur consensuelle et fédératrice ».
Le rapport recommande aussi la formation initiale et continue des enseignants. Elle définit même le contenu de la mallette idéale qui devrait être proposée : » des oeuvres d’art (en format exploitable), l’ouvrage « 50 activités sur l’égalité filles – garçons » (CRDP Midi-Pyrénées), un accès à des « défis-internet », des albums de littérature de jeunesse avec des séquences construites, des fiches sur des débats à organiser, des ouvrages de la série « goûters-philo », des fiches explicatives pour les familles avec des faits statistiques, des livres documentaires, un article de sociologie sur les statistiques révélant le poids des stéréotypes qui affectent les pratiques didactiques, pédagogiques et éducatives ».
L’inspection appelle à faire évoluer le dispositif vers l’analyse de pratiques : Sans attendre que de nouveaux programmes soient élaborés et appliqués, il s’agit d’amener les enseignant(e)s à se focaliser sur les pratiques pédagogiques, sur les conditions de la vie scolaire… Pratiquement, il convient de faire élucider en quoi des choix ou des habitudes professionnelles qui s’appuient de manière inconsciente sur des stéréotypes jouent (de manière informelle et involontaire) sur la formation et l’évaluation des enfants en situation scolaire ».
L’impact de la JRE
Le rapport souligne la violence et l’impact durable de la Journée du retrait de l’école (JRE) organisée par les traditionnalistes. « Les enseignant(e)s rencontré(e)s expriment le sentiment qu’un lien qu’ils croyaient de confiance avec les parents a été fragilisé », note le rapport. « Ce fut l’occasion pour certains parents d’exprimer des désaccords sur le sujet de l’égalité filles – garçons, d’affirmer leur conception de statuts différents des enfants du fait même de l’identité sexuelle. Les professeur(e)s n’auraient jamais imaginé que des parents puissent voir l’école comme source de danger, jamais pensé qu’on puisse suspecter l’école – et eux en même temps – d’avoir un projet organisé qui les autoriserait à attenter à la pudeur des enfants, à violer leur intimité, à intervenir sur leur sexualité, à manipuler leur conscience. Ces « journées de retrait » ont pu provoquer une salutaire prise de conscience : rien n’est jamais gagné, l’école n’a pas ou n’a plus de légitimité intrinsèque, les valeurs « s’usent » si on ne les revivifie pas régulièrement ». La leçon qu’en tire l’inspection c’est qu’il faut agir plus prudemment et en veillant à l’information des parents, un domaine où l’école n’excelle pas.
C’est en lisant ces lignes que l’on pense maintenant aux enseignants sur le terrain qui ont proposé les ABCD. Ils ont été salis par les polémiques. Ils peuvent avoir maintenant l’impression d’être lâchés par leur institution.
François Jarraud