L’école républicaine peut-elle être inégalitaire ? On sait que la question est posée pour les élèves. La publication du Bilan social de l’Education nationale interroge aussi les inégalités internes qui s’avèrent très fortes pour des corps enseignants où l’égalité est une quasi religion. Inégalités de genre, ruptures géographiques, fractures de qualification, les inégalités sont nombreuses. Un vrai chantier pour un ministre qui fait de leur traque sa première mission…
La géographie très particulière de l’éducation nationale
L’Education nationale peut-elle avoir ses terres d’abondance et ses territoires déshérités ? La réponse est oui. Pire : l’éducation nationale a aussi ses territoires pièges, ceux où il ne faut surtout pas entrer parce qu’on ne pourra jamais en ressortir. Pour s’en persuader il suffit de regarder les cartes des entrées et des sorties réalisées avec les données du mouvement.
Une particularité des enseignants chez les fonctionnaires c’est l’importance de leur mobilité. Le Bilan social en fait une transcription cartographique intéressante. On peut ainsi observer les territoires de l’éducation jusqu’au niveau départemental grâce au premier degré. Ainsi 5 départements réunissent plus de 20% des demandes des enseignants du premier degré : Paris, la Haute Garonne, la Gironde, la Seine et Marne et l’Hérault. Six départements comptent plus de 10 demandes d’entrées pour une sortie : les Pyrénées atlantiques, les Hautes Alpes, le Puy de Dôme, Les Pyrénées orientales et le Morbihan. Inversement dans le 93 il y a 279 demandes de sorties pour une entrée. Ainsi se dessine un croissant attractif qui va de la Basse Normandie jusqu’en Alsace, avec un coeur Paris. Inversement, apparaissent les départements pièges , ceux où les demandes de sortie ont toutes les chances d’être refusées : une large couronne autour de Paris , par exemple l’Oise.
Des inégalités de salaire criantes
En principe les écarts de rémunération entre corps d’enseignants devraient être faibles et transparents. Il n’en est rien. L’écart le plus connu concerne l’inégalité salariale selon le genre. En moyenne les enseignantes perçoivent 8% de salaire en moins que les enseignants. Cela tient au fait qu’on les retrouve plutôt dans les corps les moins bien rémunérés (par exemple elles sont plus nombreuses chez les professeurs des écoles que chez les agrégés) et avec plus d’interruption de carrière que les hommes.
Mais sait-on que les écarts à l’intérieur des corps encore plus importants ? On sait que les professeurs des écoles gagnent environ 5 000 euros de moins que les certifiés , qui ont pourtant les mêmes indices. Cela tient à la fois à l’absence d’heures supplémentaires et à des taux de promotion plus faibles. Mais qu’en est il à l’intérieur de ces corps ? Le Bilan social, qui pour la première fois a réalisé une étude exhaustive des rémunérations, montre que le salaire brut annuel peut aller de 21 900 à 29 300 euros pour un professeur des écoles âgé de 30 à 50 ans, de 24 384 à 35 210 pour un certifié. Il y autant d’écart à l’intérieur des certifiés qu’entre eux et le corps des agrégés qui a une autre échelle indiciaire. On mesure l’importance des promotions et des gratifications diverses qui peuvent être distribuées souvent de façon discrétionnaire. Plus on monte dans la hiérarchie plus les écarts augmentent. Chez les agrégés pour la même tranche d’âge l’écart atteint presque 20 000 euros !
Des inégalités éducatives
Sur les 6 années de 2006 à 2012, les gouvernements ont entrepris une politique systématique de déqualification ciblée du personnel éducatif. D’abord en supprimant massivement des postes d’enseignants. De 2006 à 2012 on a perdu 4% des enseignants du primaire, 10% des professeurs du secondaire. Par contre on a gagné 20% de personnels d’éducation et de surveillance non titulaire. Quand au nombre d’enseignants non titulaires, il a doublé sur cette période. En clair on a remplacé des enseignants par des personnels moins qualifiés et payés. Ces modifications n’ont pas touché également les établissements. C’est dans les départements où on a du mal à recruter que l’on a fait le plus largement appel aux enseignants contractuels. Ainsi le jeu du mouvement et la politique gouvernementale de l’ancienne majorité ont creusé un écart que le Bilan social commence juste à dessiner. Les établissements populaires des départements les moins attractifs ont vu le nombre d’enseignants diminuer et le pourcentage de non titulaire augmenter alors qu’ils sont déjà touchés par un turn over important..
« Je ferai de la lutte contre les inégalités mon leitmotiv » dit volontiers Benoît Hamon. Finalement il a un ministère à la taille de ses ambitions.
François Jarraud
Bilan social
http://www.education.gouv.fr/cid74482/bilan-social-2012-2013[…]
Les syndicats ont-ils raison d’appeler les enseignants à faire grève le 15 mai avec les autres fonctionnaires pour obtenir une revalorisation salariale ? « Arrêtons de plaindre les profs », explique Slate.fr qui juge les enseignants bien payés par rapport à des journalistes ou des avocats débutants. Mais si l’on comparait des choses comparables ? Enseignants français et enseignants européens, enseignants et autres fonctionnaires. Et si les enseignants avaient des raisons spécifiques d’avoir des exigences salariales ?
Des salaires particulièrement bas en Europe
Globalement les salaires de début des enseignants français sont parmi les plus bas d’Europe de l’ouest. Selon l’OCDE, la rémunération brute d’un enseignant du premier degré en début de carrière est en moyenne de 21 077 € quand elle est de 26 512 dans l’OCDE et de 26 472 en Europe. Les enseignants français touchent 20% de moins que leurs homologues des autres pays développés. Cela n’empêche pas qu’on exige du professeur des écoles français d’effectuer 918 heures de cours par an quand leurs collègues de l’OCDE n’en font que 782 en moyenne… L’écart salarial est encore de 15% avec 15 ans d’ancienneté. Dans le second degré le salaire de début moyen en France est de 23 966 € contre 28 262 € dans l’OCDE soit 15% de moins. L’écart atteint même 18% au lycée.
Mais la principale particularité de la rémunération des enseignants français c’est son évolution. De 2000 à 2010, les enseignants français et japonais sont les seuls de tous les pays de l’OCDE a avoir régressé. Partout ailleurs les enseignants ont gagné en niveau de vie, en général autour de 20% parfois beaucoup plus comme en République tchèque où les salaires ont doublé.
Dans son rapport sur la gestion des enseignants, la Cour des comptes a estimé à 8% la perte de pouvoir d’achat des enseignants français depuis 2000, « alors que le pouvoir d’achat des enseignants des autres pays serait en moyenne en hausse, dans l’OCDE, comme dans les pays européens ».
Les enseignants défavorisés par rapport aux autres fonctionnaires
Ce gel frappe toute la Fonction publique. Mais il n’y a en réalité pas d’égalité de traitement. Car la situation des enseignants est très spécifique. En effet, selon la Cour des comptes, les salaires des enseignants, à catégorie égale, sont inférieurs à ceux des autres fonctionnaires. La rémunération annuelle nette des enseignants est de 30 129 € alors que les cadres non enseignants de la Fonction publique gagnent 46 345 €. Cet écart très important (-35%) est essentiellement dû à l’absence de primes chez les enseignants. En clair, quand le gouvernement gèle le point Fonction publique, il bloque le salaire des seuls enseignants. Dans les autres ministères le jeu des primes vient modérer la rigueur…
La question de l’attractivité
Le dernier point remarquable des salaires des enseignants français c’est leur écart avec le salaire moyen d’un diplômé de l’enseignent supérieur. Il y a des pays où être enseignant permet de gagner plus que ce que l’on obtiendrait dans une entreprise. C’est le cas en Espagne, en Allemagne, en Angleterre par exemple. En France, quand on est diplômé du supérieur, on perd en rémunération en devenant enseignant. A diplôme comparable, le master, choisir d’être enseignant est une décision économiquement aberrante. Selon l’OCDE l’écart de rémunération entre le salaire d’un enseignant et celui du titulaire d’un diplôme équivalent est de 20%. Même si « on ne devient pas enseignant pour devenir riche », choisir délibérément ce métier devient chaque année davantage un choix irrationnel qui ne peut se justifier que pour un revenu d ‘appoint.
François Jarraud
Rapport de la Cour des comptes
http://www.ccomptes.fr/index.php/content/download/55807/1446179/version/[…]
OCDE
http://www.oecd.org/fr/edu/rse2012.htm
Eurydice
http://eacea.ec.europa.eu/education/eurydice/documents/key_data_series/151EN.pdf
Sur le site du Café
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