Un QR Code est un code barre qui permet de stocker des informations numériques (textes, images, adresses de site web…). Il peut être imprimé sur un support papier, placé dans un livre ou dans l’environnement urbain. Déchiffré à partir d’un téléphone mobile équipé d’un appareil photo et du lecteur approprié, il relie alors l’espace physique et l’espace numérique. Peut-on en concevoir un usage éducatif ? C’est la proposition de Robert Delord, professeur de langues anciennes dans la cité scolaire du Diois à Die. Aux documents de cours sont associés des liens : ils permettent aux élèves d’accéder à de nouvelles ressources (exercices, textes, contenus multimédias…) pour individualiser et enrichir leur parcours d’apprentissage. L’outil s’annonce aussi intéressant dans le cadre d’une pédagogie de projet, par exemple pour prolonger un arbre généalogique ou introduire la réalité augmentée dans un musée. Une modalité de travail susceptible d’être utilisée dans toutes les matières… Ce projet sera présenté au 7ème Forum des enseignants innovants à Bordeaux les 16 et 17 mai.
Pouvez-vous expliquer ce que sont des QR Codes ?
Un code QR, ou Quick Response Code, est une sorte de code barre nouvelle génération en deux dimensions : il permet, après lecture par un smartphone, une tablette numérique ou une webcam (c’est le même principe que la douchette de la caissière du supermarché !), d’accéder à des informations multimédias déportées en ligne ou encore de déclencher différentes actions : envoi de SMS ou de courriel, appel téléphonique, etc.
En pratique, comment utilisez-vous ce système de QRCodes avec les élèves ?
L’idée est d’ajouter sur les documents de cours distribués aux élèves des QR codes et mini-Urls qui leur permettent d’accéder en classe ou à la maison, d’une part à des tâches de mise en application du cours de nature et de difficulté variées qui vont permettre à chaque élève de construire son parcours d’apprentissage, de s’auto-évaluer et de gagner en autonomie, d’autre part à des contenus multimédias supplémentaires qui vont venir compléter et enrichir le cours et susciter la curiosité et le goût de la connaissance des élèves.
Pouvez-vous donner des exemples précis de contenus ainsi rendus accessibles ?
Ces contenus sont nombreux et variés. On peut cependant les classer en cinq grandes catégories. Les ressources textuelles : leçons écrites, œuvres littéraires, dictionnaires et encyclopédies. Les ressources iconographiques très utiles pour l’étude de l’Histoire des arts : œuvres d’art, plans, schémas, maquettes, reconstitutions 3D… Les exercices auto-corrigés en ligne, réalisés avec les nombreux exerciseurs disponibles en ligne. Les ressources audio et vidéo : leçons enregistrées, documentaires… La géolocalisation : notamment vers les sites comme Géoportail, Google Map ou Google Earth, mais aussi vers les sites de Géocaching comme Geocaching.com.
Quels vous semblent être les intérêts d’une pédagogie faisant appel à cet outil ?
Je ne reviendrai pas ici sur les possibilités quasi-illimitées d’enrichissement et de prolongement du cours offertes par cet outil. Je ferai simplement remarquer que certains élèves qui montrent parfois peu d’intérêt ou d’enthousiasme pour ce qui est présenté par le professeur en classe se révèlent souvent être les plus attirés par les prolongements qui leur sont proposés par l’intermédiaire de ces QR Codes.
Le premier avantage de l’utilisation des QR codes sur les terminaux mobiles est, me semble-t-il, qu’il permet d’individualiser les apprentissages, car chaque élève doit, en utilisant cet outil, prendre conscience de l’endroit où il se trouve dans son apprentissage pour identifier les points sur lesquels il doit faire porter ses efforts. Dans ce sens, les QR Codes peuvent être d’une aide précieuse pour l’enseignant qui souhaite mettre en œuvre dans sa classe une pédagogie différenciée.
L’adjonction de QR Codes vers des exercices d’application de nature et de niveaux gradués dans les documents de cours est également un formidable outil de remédiation à la fois dans et hors la classe. Les élèves peuvent ainsi revenir à loisir, en présentiel ou en téléprésence, sur les points qui leur posent problème. Il est indéniable également que cet outil permet une grande rapidité d’accès aux ressources multimédias et, dans certains cas, de grosses économies de papier.
Enfin, les QR Codes sont un formidable outil pour les enseignants qui travaillent selon une pédagogie de projet. En effet, il est possible d’imaginer de nombreuses utilisations de ces codes barres intelligents, notamment en matière de création muséographique. Par exemple, nous travaillons cette année, avec mes élèves de cinquième latinistes, sur un arbre généalogique de la mythologie grecque enrichi à l’aide des QR Codes. Au-dessous du nom de chaque divinité, personnage ou créature mythologique figurera ainsi un QR Code donnant accès à de plus amples informations textuelles et iconographiques déportées en ligne. Avec mes élèves de quatrième latinistes, nous travaillons, en partenariat avec la Municipalité de Die et le Musée Archéologique de Die et du Diois, sur un projet « Debout les morts ! » qui consiste à rendre la parole aux destinataires épitaphes du musée. Un passage de votre smartphone ou tablette devant le QR Code apposé sur la pierre tombale et le visage du défunt apparaît sur votre écran, s’anime et vous raconte son histoire. Enfin, avec mes élèves de troisième et du lycée, nous préparons pour la fin de l’année une exposition des photographies 2D et 3D qu’ils ont prises lors de leur voyage sur les sites romains d’Andalousie en février. Grâce aux QR Codes ajoutés sur les panneaux d’exposition, ce ne sont autres qu’Hadrien et Trajan, les deux empereurs romains d’origine espagnole qui serviront de guides aux visiteurs.
Non seulement l’utilisation détournée du QR Code, qui est à l’origine un gadget essentiellement publicitaire, amène les élèves à réfléchir à ce qu’est une scénographie muséale au XXIème siècle, à l’heure du tout numérique, mais elle leur montre également que l’on peut transformer un outil marketing (le QR Code) et des supports récréatifs (smartphone et tablette) en outil et supports créatifs.
La mise en œuvre de votre projet suppose j’imagine certaines conditions : une connexion internet dans l’établissement, une flotte de tablettes ou l’acceptation du BYOD … Quelles sont les (éventuelles) difficultés rencontrées ? les solutions envisagées ?
Nous faisons les choses très progressivement. L’établissement ne disposant pas de tablettes numériques, nous avons répondu à un appel à projet académique qui nous a permis d’obtenir pour commencer cinq tablettes ainsi qu’un domino 3G qui sert de routeur wifi vers les tablettes. Grâce à un partenariat de plusieurs années entre la section de latin, la municipalité de Die et son Musée archéologique, nous avons obtenu en prêt cinq tablettes supplémentaires. Nous réfléchissons actuellement à la mise en place du principe du BYOD (Bring Your Own Device) qui consiste à laisser les élèves utiliser leur propre équipement (généralement leur smartphone connecté) en classe pour les tâches scolaires, mais il reste encore à trouver une place à cette pratique dans la charte Internet de l’établissement. Le plus compliqué reste d’organiser les temps d’utilisation en cours des tablettes puisqu’il ne s’agit pas d’organiser des « séances tablettes numériques » (nous n’avons et ne souhaitons de toute façon pas avoir une tablette par élève), mais d’intégrer la tablette dans la classe comme un outil de travail à part entière, au même titre qu’un manuel, un dictionnaire, un lecteur dvd ou une mappemonde.
Cette pédagogie par QR codes suppose-t-elle qu’on ait au préalable (comme vous à travers les sites « Latine Loquere » / « Arrête ton char ») préalablement beaucoup de contenu pédagogique en ligne ? Autrement dit, vous paraît-elle aisément transférable ? si oui, selon quelles modalités ?
Il est vrai que créer ses propres ressources en ligne permet de les faire correspondre parfaitement avec les besoins de ses classes et de ses élèves. Cela diminue également le risque de conduire les élèves vers des sites peu fiables ou des pages web inexistantes parce que le site a migré ou tout simplement fermé. Le site Latine Loquere créé en 2006 et devenu « Arrête ton char ! » le 1er janvier 2014 était d’ailleurs dans ses débuts un « réservoir » de ressources créé à destination de mes élèves seulement. J’avais eu la chance de pouvoir le présenter au premier Forum des Enseignants Innovants à Rennes en 2008. Aujourd’hui, le site est devenu une plateforme multi-auctorale très fréquentée qui propose plus de 100Go de ressources pédagogiques, animée par un collectif de passionnés qui souhaitent promouvoir les langues anciennes du primaire jusqu’au supérieur.
Cependant, il est tout à fait possible, dans toutes les disciplines, d’enrichir ses cours à l’aide de QR Codes en pointant vers des ressources déjà existantes en ligne. Il ne s’agit pas non plus de réinventer tous les jours l’eau tiède. Ainsi, les enseignants de physique-chimie peuvent renvoyer en bas de leur polycopié vers la vidéo en ligne d’une expérience de chimie, ou bien (faire) créer un tableau de classement périodique des éléments enrichi d’informations supplémentaires. Les enseignants de lettres peuvent proposer à leurs élèves des lectures plus nombreuses sans grever ni le budget du CDI ni leur compte de photocopies. Ils peuvent également s’atteler avec leurs élèves à l’enrichissement numérique d’un texte d’auteur. Les enseignants de langues peuvent renvoyer très simplement leurs élèves vers des enregistrements audio et vidéo en langues étrangères. Les enseignants d’arts plastiques peuvent enfin, grâce à ses petits carrés noirs et blancs, faire accéder les élèves aux œuvres de maîtres en couleurs. Evidemment, bien d’autres usages restent encore à imaginer !
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut