Richesses et fragilités de la pédagogie Freinet, c’est ce qui a été débattu durant ces deux jours à Lausanne, à l’occasion du colloque organisé par la Haute école pédagogique (HEP) du canton de Vaud les 19 et 20 février. Il a mis en évidence l’étendue des perspectives et des réussites de la pédagogie Freinet, au regard des multiples atteintes qu’elle subit. La modernisation de la pédagogie Freinet ainsi que ses capacités adaptatives lui offrent des perspectives novatrices, alors que des visions catégorielles tendent à stériliser, ou à repousser vers la marginalité.
L’expérience « La classe en acte »
Près de 130 personnes originaires de Belgique, de Suisse et de France se sont réunies durant 2 jours à Lausanne pour débattre de l’actualité de la pédagogie Freinet (et de la pédagogie institutionnelle). Il y a eu 12 ateliers pour débattre de l’actualité des recherches internationales dans le mouvement Freinet. Il y a eu 4 groupes d’échanges autour de thèmes privilégiés de la pédagogie Freinet: école et société – Valeurs – Pédagogie – Didactique, et nous avons pu assister à 5 conférences plénières.
L’originalité de ce colloque a été de réunir en un seul lieu : un colloque, une exposition sur Freinet, et une expérience pédagogique : la classe en acte. Pour cette dernière une expérience de mises en réseau internationales de classes par skype étaient réalisées avec des classes suisses. Le mercredi, une classe d’enseignement spécialisé correspondait avec une école de Liège en Belgique. Pendant qu’ils échangeaient, un autre groupe de jeunes était en charge de filmer et de photographier les échanges.
S. Connac : Freinet et la personnalisation
La conférence de Sylvain Connac a porté sur : de la pédagogie Freinet à la personnalisation des apprentissages. Sylvain Connac a abordé sa conférence par ce qu’il a appelé: les limites de la pédagogie Freinet. Parmi celles-ci, on y retrouve ce qu’un nombre déjà conséquent d’analyses qui ont déjà été produites à propos de l’Education Nouvelle comme : les limites de l’autonomie. Cela pourrait révéler une vision naïve du phénomène éducatif : a contrario est-il possible de rentrer dans les apprentissages par injonction du maître? Est-ce que les débats piagétiens sur l’éducation morale seraient-ils clos? De la même manière, « la liberté » (relative) des classes Freinet n’aboutit-elle pas à un désordre, et une anxiété liée à la réduction de la guidance des enfants? (surtout parmi les enfants plus fragiles, les plus éloignés de la culture scolaire !) Fort heureusement le conférencier est aussi praticien, et aller dans une classe Freinet nous permet de confiner ces conduites à risques; et la conférence d’Yves Reuter le lendemain, a bien montré que la pédagogie Freinet parvenait de manière puissante à emmener tous les élèves vers une meilleure réussite scolaire, y compris les plus fragiles. Mais une dérive mérite notre attention : celle de la primarisation des apprentissages, dont il faut sortir, parce que les buts de l’école évoluent. S. Connac a montré qu’il était nécessaire d’entrer dans la secondarisation, pour tous les élèves.
Secondarisation : Ce terme renvoie au rapport au langage. Cela n’est pas à mettre en lien avec les niveaux d’enseignements primaires et secondaires. Le langage de genre premier est le langage de l’échange verbal spontané lié à l’expérience personnelle et attaché à un contexte particulier. Le langage de genre second ou secondarisation retravaille le langage de genre premier pour sortir du sens ordinaire et quotidien, pour décontextualiser, pour convoquer des univers de savoirs et en faire des ressources d’apprentissage en vue d’adopter un point de vue réflexif sur le monde et les objets du monde.
Pour dépasser ces limites, S. Connac propose d’évoluer vers une personnalisation des apprentissages, forme évolutive de la différentiation pédagogique, ce pour laquelle la pédagogie Freinet déploie un nombre conséquent d’outils, de techniques, d’institutions ! La personnalisation des apprentissages requiert une intervention volontaire de l’enseignant qui vise à prendre en compte l’hétérogénéité des classes sans se noyer ou se disperser dans une individualisation systématique.
Des ateliers
L’après midi, les conférences étaient suivies de 2 séries d’ateliers. La première série avait pour thèmes : Une méthode naturelle d’apprentissage des mathématiques ; Procédure pour l’enseignement de l’histoire géographie au CLEF de la Ciotat ; qu’en est-il de l’expérimentation au collège lycée expérimental Freinet de la Ciotat après 5 ans de fonctionnement ? ; Le réseau d’écoles Freinet au sein de la ville de liège ; Pédagogie Freinet : pédagogie du travail, Enfant auteur… une réponse aux violences scolaires ? ; (et mon atelier) Recherche et formation en pédagogie Freinet. La deuxième série d’atelier avait pour thèmes : Méthode Naturelle de Lecture et d’Ecriture ; Freinet dans le secondaire (WAHA) ; Se (trans)former comme enseignant(s) ; Une évaluation formatrice : les ceintures de couleur ; La participation démocratique des enfants dans les institutions éducatives ; la pédagogie de projet et la posture d’auteur de l’élève.
Reuter : Freinet et les classes populaires
La conférence d’Y Reuter a porté sur : La mise en œuvre de la pédagogie Freinet en milieu populaire. Y. Reuter est venu éclairer de nouveau ce qui représente, dans l’histoire de la France, la recherche scientifique longitudinale la plus importante qui ait été effectuée par une équipe universitaire conséquente. Cette école est installée dans un environnement populaire particulièrement défavorisé.
Le conférencier a rappelé les principes originaux qui dirigent l’école Freinet:
1-Il faut constituer l’élève en sujet apprenant.
2-L’élève apprend et nul autre ne peut le faire à sa place. (passer par la diversification des chemins d’apprentissage). C’est une rupture par rapport à la scolastique.
3-L’élève apprend à partir de ses questionnements.
4-L’élève apprend en faisant (faire authentique).
5-L’élève apprend parce qu’il est sécurisé.
6-L’élève apprend parce qu’il se situe dans une histoire de ses apprentissages.
Dans l’école de Mons en Baroeul, aucun destin d’enfant n’est figé. Une volonté affirmée est celle de forger une culture commune dans l’école. Le point le plus important abordé par Y. Reuter a été celui des différentes logiques mises en oeuvre dans ce projet, et les tensions qu’elles créent. En effet, chaque acteur de ce projet avait, et a toujours sa logique propre : l’inspection, les enseignants, le collectif de recherche, le Ministère, les syndicats. De fait, les logiques de pensée et d’action de ces différents groupes ou individualités sont incompatibles, et menacent en permanence l’existence même du projet.
Ce qui amène à mettre à jour un paradoxe alarmant: si l’expérience de Mons en Baroeul a montré la pertinence et la réussite du projet, comment se fait-il en France que l’innovation pédagogique soit systématiquement repoussée aux frontières du système (vers les lieux « de la dernière chance » ceux où l’on traite « l’échec scolaire »), alors qu’elle pourrait justement éviter en grande partie d’en arriver là !
La conférence de clôture a porté sur « La pédagogie Freinet : une pédagogie imaginée par un fondateur charismatique mais retravaillée – depuis plusieurs génération – par une sorte d’intellectuel collectif. » Henri Peyronie a de nouveau éclairé une dimension singulière de la pédagogie Freinet : celle-ci est ancrée dans une histoire longue qui l’a fait passer d’un fondateur charismatique à un mouvement pédagogique, qui peut s’apparenter à une antinomie: un intellectuel collectif, si bien caractérisé par P Bourdieu parlant de Maurice Halbwachs : « j’ai la conviction que l’entreprise scientifique qui a été interrompue par la mort d’un savant tel que Halbwachs (Freinet!) attend de nous sa continuation ».
Olivier Francomme
S Connac : La personnalisation des apprentissages
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