« Marre de l’école ». Une étude réalisée auprès de 1200 jeunes décrocheurs montre que les raisons du décrochage sont variées. Mais la condamnation de l’école revient systématiquement dans leurs déclarations. « Ces résultats soulignent surtout la forte condamnation du système scolaire considéré par les décrocheurs comme inadapté, sélectif et injuste. »
Qu’est-ce qui amène des jeunes à décrocher, au sens de l’éducation nationale, c’est-à-dire à quitter toute formation initiale sans avoir obtenu de diplôme ? L’étude écarte donc les décrocheurs passifs, ceux qui dorment au fond des classes, pour ne s’intéresser qu’à ceux qui ont rompu. Pierre-Yves Bernard et Christophe Michaut, maîtres de conférences au CREN, Université de Nantes, ont enquêté auprès de 1155 jeunes.
La première caractéristique, qui reste inexploitée par les auteurs, est sociale. Ces jeunes décrocheurs appartiennent aux couches sociales populaires. Un tiers ont des parents ouvriers, un tiers employés. On ne compte que 10% d’enfants de cadres. Quel est le lien entre cette situation sociale et les motifs du décrochage ? La piste reste à creuser.
Interrogés par les auteurs, les décrocheurs mettent en avant des motifs différents. Mais les trois quarts disent d’abord « en avoir marre de l’école ». Un quart est en grande difficulté scolaire , difficulté relationnelle souvent car pour eux « l’école ça me saoule ». Un cinquième n’a pas de difficultés avec l’école mais la juge totalement inutile. 14% sont totalement découragés à l’idée de préparer un examen. Un tiers décroche parce que attiré par un emploi ou la vie active.
L’étude montre qu’il y a bien une prévention à mener dans l’école pour lutter contre le décrochage. Elle pose la question de l’orientation en fin de collège, moment clé de la rupture. Mais elle met aussi en évidence des ruptures anciennes dès l’école primaire : 77% des décrocheurs ont redoublé, souvent en CP ou CE1. Une conclusion qui rappelle le rapport d’Anne Armand et Claude Bisson-Vaivre : « à l’approche administrative qui a longtemps prévalu, notamment dans la lutte contre l’absentéisme, notre conviction est qu’il faut ajouter une démarche pédagogique et éducative globale seule en mesure de porter des fruits durables ».
François Jarraud
L’étude
http://www.cren.univ-nantes.fr/1395048641542/0/fiche___actuali[…]
Un dossier du Café
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/leleve/Pages/2014/149_2.aspx
Armand : CHanger l’école pour réduire le décrochage
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2014/02/060220[…]
Le dialogue avec les parents est déterminant dans la lutte contre le décrochage. C’est le principal enseignement de l’étude de Dominique Goux, Marc Gurgand et Eric Maurin (Paris School of Economics) que vient de publier l’IZA. Reprenant une expérimentation menée dans l’académie de Versailles, sur laquelle un rapport intermédiaire avait été publié cet été, le rapport met en évidence l’impact d’un échange régulier entre les principaux des collèges et les parents des élèves susceptibles de décrocher en fin de troisième. Si le dialogue n’a pas d’impact sur le niveau scolaire des élèves, il facilite leur maintien dans le système éducatif jusqu’à l’obtention d’un diplôme professionnel court. Pour autant il ne règle pas tous les handicaps de l’éducation prioritaires.
Testé sur plus de 4000 élèves de troisième de l’académie de Versailles, le dispositif évalué par l’Ecole économique de Paris a un coût fort modeste : celui des vidéos qui sont projetées aux parents par les principaux. Car l’essentiel du dispositif est porté par les principaux des collèges. Ce sont eux qui doivent sélectionner les élèves « à risque » de décrochage. Ce sont eux encore qui appellent au téléphone leurs parents pour les inviter à assister à des réunions. Ce sont encore eux qui animent, en suivant les conseils et en utilisant les documents de l’expérimentation, les deux réunions prévues.
Mais leur intervention porte ses fruits. En comparant le devenir des collégiens de troisième à risque de décrochage avec des groupes similaires qui n’ont pas bénéficié de ces réunions, les auteurs mettent en évidence des changements significatifs. Le premier c’est qu’un pourcentage significativement plus élevé de parents viennent assister aux réunions auxquelles ils sont invités (+24% selon l’étude). L’impact de ces réunions est attesté. A leur issue, les parents se forgent des espoirs plus réalistes sur le devenir scolaire de leur enfant. Les réunions n’ont pas d’effet sur le niveau scolaire de ces élèves à risque qui reste très faible et ne s’améliore pas. Mais les parents abandonnent davantage (+8%) le rêve d’un bac ou la demande d’un redoublement pour se tourner vers un CAP. Les choix d’orientation des familles s’en trouvent affectés. Les demandes d’entrer en CAP augmentent d’un tiers et les voeux pour une filière bac diminuent en proportion. Le taux de décrochage diminue de 36%, celui des redoublements, souvent improductifs, de 34%.
Les chercheurs ont pu suivre le devenir des élèves et évaluer les effets durables du programme. Deux ans après leur orientation en fin de troisième, la proportion de ces élèves qui a redoublé ou quitté la filière de CAP est sensiblement la même que pour les élèves qui n’ont pas suivi le programme.
On touche là aux limites du programme. Si ce dispositif aide les familles à éviter un décrochage brutal en fin de troisième et une sortie du système éducatif sans diplôme, ce qui n’est pas rien, il ne remédie pas aux difficultés scolaires de ces jeunes. Il ne leur donne pas de chances supplémentaires de tirer parti de leur présence en classe.
Le dialogue avec les familles peut-il malgré tout améliorer les résultats des élèves ? Pour cela il faut qu’il soit plus précoce qu’un simple baisser de rideau de fin de collège. Dans une intervention devant la Mission d’information sur les relations école – parents de l’Assemblée nationale, le 27 février, Eric Charbonnier, analyste à la direction de l’éducation de l’OCDE, a pu montrer à partir d’exemples (Pays Bas, Irlande, Portugal) comment améliorer les relations parents – école peut avoir un effet en faveur de davantage d’égalité sociale à l’école. Ainsi au Portugal, le fait d’améliorer les rapports entre enseignants, cadres sociaux et familles permet d’aider davantage les élèves, quitte à ce que les éducateurs les accompagnent en classe.
Mais ces meilleures relations avec les parents doivent aussi être accompagnées de réformes plus structurelles. Ainsi Eric Charbonnier insiste sur la nécessité d’une formation des enseignants à enseigner devant un public populaire et d’un recrutement prenant en compte d’autres aspects que la formation académique. Le dialogue avec les familles doit aussi avoir ses limites. Laisser par exemple un libre choix des établissements aux familles, a des effets ségrégatifs attestés. Le nouveau dialogue avec les familles que l’Ecole envisage n’est qu’un élément d’une refondation plus globale.
François Jarraud
Etude IZA
Bilan intermédiaire (en français)
http://www.experimentation.jeunes.gouv.fr/IMG/pdf/Note_d_etape_201[…]
Intervention d ‘Eric Charbonnier
http://videos.assemblee-nationale.fr/video.5266.relations-ecole—pa[…]
Sur le site du Café
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