Si s’exprimer est un élément essentiel de l’éducation de tout humain, produire en est un des compléments. En effet comment penser une éducation à l’expression si l’on ne dispose pas des moyens de produire. Dans la tradition scolaire produire c’est principalement de l’écrit et de l’oral (sauf dans les domaines de l’EPS et de l’enseignement technique et professionnel) : dossiers, exposés, devoirs, leçons sont la plupart du temps les modalités de production demandées aux élèves. Cette tradition s’appuie d’abord sur le fait que les modes d’évaluation sont fondés sur ces moyens : on passe l’examen à l’oral ou à l’écrit. Si dans les métiers dits manuels, on a largement introduit la production de gestes professionnels accompagnés de produits liés au champ disciplinaire, dans les métiers considérés comme moins manuels, on a peu exploré d’autres possibilités, hormis dans certains options en fin de scolarité comme musique, danse, théâtre ou encore cinéma.
L’arrivée du numérique, avec ses moyens nouveaux mis à portée de chacun, permet pourtant d’envisager de nouvelles possibilités que nombre d’enseignants ont exploré très tôt mais qui n’ont pas été instituées. Certains enseignants ont exploré le multimédia pour rendre compte des stages en entreprise en classe de 3è par exemple. D’autres ont développé l’écriture avec les blogs ou les réseaux sociaux. Cependant on a, par exemple, vu certaines académies interdire, à certaines époques, la soutenance des TPE avec l’aide d’un support type présentation assistée par ordinateur. Autrement dit les productions numériques souffrent d’une sorte de méfiance ou de rejet au nom de plusieurs arguments comme la facilité – le numérique met plus facilement a portée les documents et les moyens de leur traitement -, la copie – avec le numérique on n’est pas sûr que c’est bien l’élève qui produit -, l’apparence – on produit rapidement un document esthétiquement réussi et donc séduisant. Reconnaissons toutefois que les choses évoluent lentement et que l’on commence à utiliser davantage les moyens numériques de production dans des cadres académiques.
Au-delà de cette méfiance, de cette distance culturelle, il y a surtout les moyens pour y parvenir. Quels sont les outils de production qui peuvent vraiment aider ? En premier lieu, et les enseignants l’utilisent eux-mêmes souvent, le traitement de texte. Comme les autres outils bureautiques (tableurs, présentation assistées) le traitement de texte est une sorte de couteau suisse de la possibilité de produire. En fait on trouve, dans le contexte actuel réglementaire, de quoi faire de vrais travaux de production avancées en utilisant simplement les outils bureautiques. En effet, ces logiciels ont depuis longtemps intégré le potentiel multimédia que les systèmes d’exploitation et les matériels, ont permis depuis maintenant bientôt vingt ans (le multimédia émerge réellement dans le grand public à partir des années 1990- 1995). Utiliser les images fixes et animées, les sons est devenu un moyen ordinaire de production, il suffit de regarder la production de vidéos sur les serveurs grand public pour s’en rendre compte. De plus le modèle linéaire de production textuelle est largement bousculé par les possibilités offertes par les hyperliens que l’on peut ajouter aux documents textes ou images, permettant ainsi de nouvelles « profondeurs de lecture, d’exploration active ».
Le développement des équipements massifs des élèves en terminaux mobiles connectés de toutes natures a transformé la donne. Quand l’accès au matériel était difficile dans les établissements (pas de libre service élève, salles à réservé, pas de chariot mobile etc..), ce qui est encore le cas dans de trop nombreux établissements, produire restait annexe, en dehors du papier crayon. Dès lors que l’accès à ces appareils s’assouplit, les projets se multiplient. Certains CDI-CCC ou encore certaines permanences équipées (chariots mobiles, netbooks…) ont participé à cette dynamique. Avec l’arrivée des équipements personnels des élèves (fournis, ou amenés – byod) on rejoint alors la souplesse du papier crayon (un élève faisant partie d’une expérimentation d’iphone en classe déclarant qu’au moins on l’avait toujours dans la poche alors qu’on n’a pas toujours de papier crayon). Du coup se pose la question des logiciels de production utilisables. Apple avait tapé fort, avec « ibooks author » et ouvert un chemin. Mais c’est sans compter sur les habitudes des jeunes qui avec les moyens du bord sont fort habiles à produire des documents, en particulier vidéos, comme on peut le voir sur de nombreux sites de distribution de ces vidéos en ligne. Or la proposition d’Apple est trop lourde et suppose, à coté de la tablette, de disposer d’un ordinateur de la marque…
Avec les tablettes et les smartphones, la demande en outil de production augmente, l’offre aussi. Du logiciel de montage vidéo, à celui de fabrication d’animations sonorisées avec des marionnettes ou encore celui qui simule l’écriture à la main (Videoscribe (c) cf. la célèbre présentation de Sir Ken Robinson http://vimeo.com/17439081#at=0) en passant par les logiciels qui permettent de créer des productions multimédias de toutes sortes : Explain everithing, creative book builder, ebook maker, smartbooks, create a comics etc… les offres se multiplient. Plus simplement il y a tous les produits de prise de note comme Evernote, l’un des plus connus mais aussi tant d’autres qui permettent la saisie multimédia (clavier, texte, photo, vidéo, son). Et aussi pensons à la multitude de logiciels pour faire des schémas heuristiques ou des cartes conceptuelles. Enfin parlons des logiciels de production collaborative comme ceux présentés récemment à la semaine de l’UNESCO (wecollabrify).
Il y a pléthore d’offre de logiciels permettant de produire. Que manque-t-il alors pour que l’on assiste à un véritable usage dans les classes : que les pédagogies s’emparent des projets de production, mais pas uniquement. Plus simplement que l’on donne plus d’importance à ce que produit l’élève (tablette, netbook, etc..) qu’à ce que produit le professeur (vidéoprojecteur, tableau blanc interactif, etc.). Dès lors le travail de l’élève s’inscrit aussi dans la formation à la maîtrise des outils du quotidien. Et le crayon papier alors ? La question de son opposition au numérique est une fausse question. Il ya une continuité, mais aussi un rééquilibrage. Présenter un document fini en public, ou à destination d’une personne est toujours mieux perçu quand l’apparence est soignée. Or l’un des apports essentiels des moyens informatiques c’est justement de permettre cette qualité, cette lisibilité. Pourquoi faudrait-il s’en passer ? Au nom d’une histoire ? Non la question du papier crayon est une fausse question. Produire un document de qualité renvoie chacun à des références « idéales ». Avec la vidéo c’est la télévision, avec le film le cinéma, avec le multimédia, le web et sa diversité. La différence est que les standards de qualité ne sont plus basés uniquement sur des professionnels aguerris et détenteurs d’un savoir spécifique. Chacun peut parvenir à des produits de niveaux de qualité inimaginables il y a vingt ans. Du coup produire est de plus en plus exigeant. Les élèves, spectateurs du web par ailleurs, sont de redoutables critiques de ces productions. Aussi dès lors qu’ils s’y mettent ils incorporent cette exigence qui n’est plus en premier scolaire, mais sociale. Or c’est pour cela que produire avec le numérique est un levier important pour permettre aux apprentissages de prendre forme et fond en même temps.
Bruno Devauchelle