Le report de la réforme des programmes jusqu’à la rentrée 2016 pour le collège et l’école élémentaire, fait débat : concession au conservatisme syndical ou sage mesure de prudence ? Le Conseil Supérieur des Programmes (CSP) est en pleine controverse après seulement quelques mois de travail. Pour son président Alain Boissinot, c’est l’occasion de faire le point. Ce report est nécessaire, estime-t-il, pour un travail durable et de qualité. « Impossible en trois mois d’avoir une vision d’ensemble, dit-il. On garde les textes fondateurs qui assurent le cadrage d’ensemble, la charte des programmes et le socle commun, et dans un second temps on rédigera les programmes cycle par cycle. » Il ajoute que les » horaires existants » seront conservés. Cette réorganisation se fait en accord avec les syndicats, pas à leur demande, précise-t-il. Au risque d’être rattrapé par les échéances politiques ? « Il faut tout de même accepter l’idée que le calendrier de travail n’est pas celui du Journal de 20h !»
Où en sont les travaux du CSP à l’heure actuelle ? Avez-vous défini les modalités de passage du programme disciplinaire en programme curriculaire ?
Depuis son installation en octobre, et conformément aux commandes reçues, le CSP s’est donné deux priorités : d’abord, définir une charte des programmes : qu’est-ce qu’un programme ? Comment le prépare-t-on et le fait-on évoluer ? Il faut des principes clairs, durables et transparents. Ensuite, redéfinir le socle commun de connaissances, de compétences et de culture, à la lumière des débats que nous avons connus depuis 2005. Il faut en particulier réconcilier connaissances et compétences, et clarifier les modalités d’évaluation qui actuellement ne sont pas du tout satisfaisantes. C’est ce qu’implique une approche curriculaire, qui n’est rien d’autre qu’une démarche soucieuse de la cohérence d’ensemble, qui dessine un vrai projet d’enseignement pour tous les élèves au lieu de stratifier des approches fragmentaires, et qui met en phase les programmes et l’évaluation. La charte sera présentée en avril prochain, première étape essentielle pour fixer la méthode. Le projet de nouveau socle sera remis au ministre en mai. Il fera l’objet de consultations à l’automne prochain. Parallèlement le CSP remettra des projets de programmes pour l’école maternelle et pour l’enseignement moral et civique.
Les premières étapes prévues en 2014, en particulier la charte des programmes et le socle commun, sont loin de faire l’unanimité dans les instances syndicales. Ce sont pourtant des jalons essentiels de la réforme. Pensez-vous pouvoir les faire accepter malgré ces fortes réticences ?
Il y a bien sûr des différences de sensibilités et de priorités. Mais il me semble que beaucoup sont aujourd’hui lassés des débats manichéens et finalement stériles, et attendent un travail de fond, respectueux de la compétence et des initiatives des équipes pédagogiques, un cadre permettant d’engager une nouvelle dynamique et de se mobiliser autour d’objectifs communs. C’est bien pourquoi le CSP a proposé au ministre un calendrier de travail compatible avec les consultations et les actions de formation continue nécessaires, et permettant de fixer d’abord le cadre d’ensemble. Les syndicats l’ont bien compris, et je m’en félicite.
Il ne s’agit pas de bousculer inutilement les équilibres actuels (le ministre nous a demandé de travailler sur la base des horaires existants), mais de mieux définir l’essentiel et la cohérence des enseignements, à un niveau donné et tout au long des parcours des élèves. Par exemple, certaines compétences comme celles que le socle actuel nomme « Les compétences sociales et civiques » et « L’autonomie et l’initiative » obligent à redéfinir l’articulation entre les missions d’éducation et d’instruction qui sont celles de l’école. Elles conduisent à rechercher la complémentarité de plusieurs enseignements : le nouvel enseignement moral et civique, mais aussi, par exemple, l’enseignement du français, de l’histoire ou des sciences… Ces compétences sollicitent non seulement des disciplines mais aussi ce qu’on appelle la « vie scolaire ».
Vous rappelez l’importance d’éviter la précipitation, mais des réponses rapides sont nécessaires face aux difficultés pressantes du terrain, en particulier au collège. Que diriez-vous à ceux qui s’alarment d’un statu quo de deux années supplémentaires ? Ne craignez-vous pas que la réforme soit prise de court par les échéances politiques ?
Sur les questions de programmes et de démarche curriculaire, on ne peut se situer dans l’urgence et le temps court. De nombreux exemples étrangers en attestent. C’est en voulant aller trop vite qu’on renoncerait de fait à toute réelle ambition. L’important est d’engager un nouvel élan, avec la bonne méthode. Des ajustements permettront au besoin de répondre à des urgences, dans le primaire notamment où la consultation a montré certaines attentes convergentes. Mais rien n’est plus délétère que l’agitation permanente et les changements de cap incessants, qui discréditent l’idée même de réforme. Il faut inventer un processus d’évolution maîtrisé et géré dans la durée, autour d’objectifs clairement définis.
Propos recueillis par Jeanne-Claire Fumet