L’Ecole est-elle gouvernée par les rumeurs ? Elle n’est même pas sortie de celle sur les concours de masturbation en maternelle, que deux quotidiens, Les Echos et Le Figaro, lancent le 5 février au soir une nouvelle rumeur fracassante. V. Peillon aurait décidé de geler l’avancement des fonctionnaires pour réaliser des économies. Démentie par le ministre, la rumeur a quand même fait le tour de l’opinion. Est-ce parce que, quelque part, elle fait sens ?
Une nouvelle rumeur
« Le ministre de l’Education nationale souhaite proposer une mesure qui permettrait d’économiser 1,2 milliard par an », annonçait Le Figaro le 5 février. Après cette formulation curieuse (« souhaite proposer » ?), le quotidien donnait du concret. V. Peillon aurait fait cette proposition lors d’une rencontre discrète avec le ministre du budget et il la produirait devant le Conseil stratégique de la dépense publique le 8 février. Le détail de la mesure est bien connu. Elle reviendrait à supprimer le « glissement vieillesse technicité » (GVT), cette évolution automatique des salaires en fonction de la montée en ancienneté des fonctionnaires. Chaque année, le GVT pèse sur le budget à hauteur de 1,2 milliard. Il explique que, malgré le blocage du point fonction publique depuis des années, la masse salariale de l’Etat continue sa progression.
Dans la soirée du 5 février, le ministère publiait un communiqué disant que « contrairement à certaines affirmations, le ministère de l’éducation nationale dément formellement avoir proposé un gel des avancements et des promotions des fonctionnaires dans le cadre des discussions budgétaires ».
Les fondements de la rumeur
Cela mettra-t-il un terme à la rumeur ? Peut-être. Mais si la rumeur a vite fait le tour des esprits c’est qu’il y a bien une vraie question derrière. Cette question c’est la contribution de l’Education nationale à la nouvelle politique lancée par le président de la République en janvier.
François Hollande a annoncé une politique économique totalement nouvelle, rompant avec celle pratiquée depuis le début de la présidence. Elle se traduira par 53 milliards d’économies d’ici 2017 sans que soient fixées précisément les mesures permettant de dégager ces sommes . Si la rumeur peut fonctionner c’est déjà pour cette raison.
Ce sera le travail du Conseil stratégique de la dépense publique de les définir. Or, malheureusement pour l’Education nationale, elle ne figure pas dans la liste des ministères invités à participer au Conseil. Par contre, avec son million de fonctionnaires, l’Education est bien le premier vivier potentiel d’économies. Or c’est en prélevant sur la masse salariale, par une réduction du nombre de fonctionnaires, que le gouvernement précédent a promis (sans tenir) la réduction de la dépense publique. On a là une seconde base pour la rumeur.
On ne saura sans doute jamais qui est à l’origine de la rumeur. Mais à coup sur c’est quelqu’un qui n’aime pas Vincent Peillon. Cela concerne beaucoup de gens à droite puisque le ministre est en proie à une campagne de désinformation sur la théorie du genre. Mais il a aussi ses adversaires à gauche. Le ministre de l’éducation nationale est celui qui, depuis 2012, pompe le budget de l’Etat et condamne tous les autres ministères à supprimer des emplois afin que l’Education puisse créer les 54 000 postes promis pour la mandature.
C’est peut-être cette situation qui est la base la plus solide de la rumeur. Elle intervient alors que le ministre de l’Education nationale doit négocier son budget au regard de la nouvelle politique présidentielle. En principe, les grandes mesures de l’Education nationale sont budgetées jusqu’en 2017. Mais qui croit que ces engagements tiennent au regard du virage pris par François Hollande ? A l’évidence la nouvelle politique présidentielle ne met plus l’Education au tout premier plan de son action.
Le moment est-il venu d’une nouvelle politique ?
C’est la question du devenir du budget de l’Education nationale qui est posée par la rumeur. S’il est clairement démenti que les règles d’avancement des fonctionnaires soient touchées, par contre on ne peut que s’interroger sur les économies que devra faire l’Education nationale. L’Etat peut-il continuer à créer des milliers de postes d’enseignants tout en réduisant drastiquement ses dépenses ? Cela parait impossible. Le moment est-il venu pour l’Education nationale d’annoncer une nouvelle politique ? Peut-être.
L’Education nationale a aussi des capacités internes de redéploiement de moyens. Le ministre les évoque sans les préciser parce qu’il sait bien que c’est un terrain dangereux. Mais la nouvelle politique présidentielle pourrait bien imposer cet exercice. Après tout, faire des choix c’est aussi gouverner.
François Jarraud