Comment rebâtir une école réellement démocratique en France ? Depuis la publication de Pisa 2012, le constat du déclin de l’Ecole républicaine est établi. Bernard Hugonnier, ancien directeur adjoint de l’éducation à l’OCDE, revient, dans un petit livre publié électroniquement, sur les données qui établissent cette situation. Mais il va plus loin que beaucoup d’auteurs en indiquant les changements à apporter pour un réel redressement. Son expérience à l’OCDE lui donne une vision internationale plus à même de bousculer les idées toutes faites. Ainsi il prend parti pour une véritable prise en compte dans le système éducatif su caractère multiculturel de la société française, une base pour améliorer les résultats d’un système éducatif en total décalage avec le monde moderne.
« La France souvent se réclame de la république, qui signifie l’égalité des services publics pour tous; et notre pays pense en particulier disposer d’une école républicaine où prévaut l’égalité des chances. La réalité est tout autre ». Bernard Hugonnier établit, chiffres à l’appui , que le système éducatif français ne permet ni l’égalité des chances, ni l’égalité de qualité , ni même celle des moyens et de l’accès. Ainsi le taux de diplomation du supérieur et même du bac est lié à al situation sociale en France beaucoup plus que dans les autres pays. Le pays dépense davantage pour les établissements de centre ville que pour les établissements prioritaires. L’Etat subventionne les études secondaires et supérieures des enfants des familles favorisées à travers des avantages fiscaux. Le résultat est connu : des grands pays de l’OCDE la France est celui où les inégalités sociales sont le plus corrélées aux inégalités scolaires.
Mais ce qui fait l’originalité de ce petit livre, ce sont les solutions proposées par Bernard Hugonnier. Ils résultent de sa longue expérience des systèmes éducatifs dans le monde. Peu de personnes peuvent mobiliser autant de connaissances pour analyser ce qui fait la singularité du système éducatif français.
Pour B Hugonnier il faut une révolution pédagogique. « L’objectif pour les enseignants ne devrait plus être de terminer le programme mais de faire en sorte que tous les élèves terminent l’année en possédant des connaissances et des compétences minimales bien définies ». Pour lui l’évaluation devrait être plus formative et moins sommative. L’enseignement moins frontal. La formation des maitres devrait leur permettre de faire face à des populations pluriculturelles. La taille des classes en zep devrait être réellement réduite .
B Hugonnier appelle de ses voeux une réelle prise en compte du caractère multiculturel de la société française pour lutter contre la discrimination scolaire. « Les programmes sont généralement basés sur le fonds culturel et tous sont assujettis au même programme », écrit-il. « Ceux qui bénéficient de ce fonds culturel dans leur famille sont avantagés et inversement pour les autres. Pour compenser cette iniquité, il faut développer un programme multiculturel… Cette approche est la seule qui permette de lutter contre l’iniquité comme on peut le voir au Canada ». Pour lui, bien loin de développer le communautarisme c’en est le meilleur rempart. Mais pour que cette logique d’insertion soit réellement active, il faut aussi que les établissements aient une large autonomie.
« Ne faudrait-il pas trancher en France sur les questions suivantes », interroge-t-il. « l’élève au centre du système versus programme au centre, autonomie élevée versus système à gestion centralisée, priorité au soutien aux élèves en difficulté versus concurrence entre tous les élèves, école unique versus différenciation institutionnelle développement de compétences versus acquisition de connaissances ».
Ainsi l’ouvrage de B Hugonnier appelle à une révolution des mentalités dont on mesure la difficulté. Mais ce n’est pas tout. « Dessiner des réformes n’est pas suffisant. Il fut aussi les mettre en oeuvre et c’est à ce stade que les plus grandes difficultés se prononcent. La peur du changement et la préservation des avantages acquis constituent des freins considérables ». C’est insister sur la nécessité du consensus scolaire, un objectif insaisissable en France ?
François Jarraud
Bernard Hugonnier, Le déclin de l’école républicaine, Les Editions du Net, ISBN 978-2-312-01919-2
Commandez le en version papier ou pdf
Hugonnier : « La réforme Peillon n’aborde pas les sujets véritables »
Bernard Hugonnier éclaire son ouvrage de quelques explications franches et non consensuelles. Les enseignants en prennent pour leur grade. Les réformes de V Peillon ne l’incitent pas à l’optimisme…
Vous dressez le tableau de inégalités à tous les niveaux de l’école française. Sur quoi s’appuie-t-il ?
Il s’appuie sur les données de l’OCDE. Elles prouvent les inégalités d’accès, de moyens, de qualité et de chances. Alors qu’on aurait pu croire, par exemple, que la France garantirait au moins l’égalité d’accès à l’enseignement et de moyens on observe une parfaite inégalité. Quant à l’égalité des chances, l’OCDE a pu démontrer que la France qui était avant dernière en 2009 est devenue dernière en 2012. Je suis offusqué de voir que la 5ème puissance économique mondiale ait un système éducatif dans cet état.
Comment devrait être un bon système éducatif ? Il serait construit sur quelles finalités ? Quelles valeurs ?
Un système éducatif doit permettre à tous les citoyens, quelque soit leur origine , de réussir leur vie personnelle, sociale et professionnelle. Il ne doit pas être utilitariste. Il est aussi important de réussir sa vie sociale que professionnelle.
Le système français ne permet pas de réussir sa vie personnelle à égalité ?
Dans Pisa on demande aux jeunes de répondre à des questions correspondant à des compétences de la vie de tous les jours. Or on voit trop de jeunes Français qui non seulement n’ont pas de bonnes notes dans le système éducatif mais qui en plus n’ont pas de bons résultats dans ces tests Pisa. Ils n’acquièrent pas les connaissances des programmes et donc ca pèsera sur leur vie professionnelle. Mais ils auront aussi du mal à régler les problèmes de la vie courante. En France cela représente 22% d’une génération. Ca fait beaucoup ! En fait ça correspond aux 150 000 jeunes qui chaque année quittent l’Ecole sans diplôme. Il faut ajouter que ces personnes vont être souvent au chômage. Ils produiront fort peu. Si on fait la calcul, comme un élève coute environ 7000 euros par an, augmenter les moyens sur ces jeunes là d’environ 30% cela représente 2000 euros d’investissement supplémentaire par an. C’est une somme. Mais elle est sans rapport avec la charge sociale que ces jeunes vont représenter. L’intérêt économique, en terme de rentabilité, pour la société c’est de faire cet investissement.
Quelles compétences doivent acquérir les jeunes dans un bon système éducatif ?
Il y a les compétences fondamentales (lire, écrire, compter, les compétences académiques (littéraires, scientifiques…), les compétences professionnelles. Mais il y a aussi les compétences transversales, par exemple els compétences sociales. Ces 4 niveaux doivent être acquis. Si un manque, par exemple l’estime de soi, c’est très préjudiciable. Or le système éducatif français permet difficilement d’acquérir les compétences transversales et professionnelles. Le système éducatif sait bien transmettre des connaissances avec une pédagogie frontale où les élèves se taisent. Il ne fait pas appel à une pédagogie de petits groupes où les élèves acquièrent l’estime de soi, la négociation, la résolution de problèmes.
Comment en est-on arrivé là ?
Quand le ministère a essayé de transmettre des compétences il a rencontré le scepticisme des enseignants. Les enseignants français ont deux tropismes. Ce sont d’anciens bons élèves et ils ne comprennent pas les « mauvais » élèves. Leur formation pédagogique est limitée et pas assez constructiviste. Donc ils enseignent comme on leur a enseigné. Ceux qui veulent changer de pratiques pédagogiques doivent faire un gros travail de préparation. On voit bien que les professeurs fuient autant que possible les classes où il y a beaucoup de contraintes, les cours préparatoires par exemple. Enfin qui veut vraiment la réussite de tous ? Et si les enfants des autres prenaient les places des enfants de profs ? Les professeurs ne sont pas responsabilisés par la système. Si on veut que les choses changent il faut mettre en place vraiment le socle commun. Mais il faudrait aussi remplacer les programmes par un curriculum.
Dans votre livre, vous dressez un tableau très sombre pour l’Ecole française. Peut-elle encore s’en sortir ?
Il y a une réaction très forte de Vincent Peillon qui veut montrer que sa réforme est la dernière chance de l’Ecole française. Va-t-elle réussir ? J’en doute car il n’aborde pas les sujets véritables. On se contente finalement des 20% d’élèves en échec. Or tant qu’il n’y aura pas de prise de conscience collective de la gravité de cette situation, rien ne changera. En Allemagne, en Finlande, au Japon, il y a eu cette prise de conscience. Ceux qui doivent bouger ce sont les enseignants. Il faut d’abord changer leur formation. V Peillon établit les Espé mais ce sera long pour changer les choses en supposant qu’elles fonctionnent bien.
Pourquoi ce choc n’existe pas en France ?
Dubet dirait que l’Education nationale est une théologie. Tout le système est infantilisé. Or ce qu’il faut c’est au contraire responsabiliser les enseignants. Il faudrait réussir à réunir les différents syndicats et avoir un discours vrai pour trouver un consensus dans le système. Il faut plus de liberté dans le système. Les chefs d’établissement en ont trop peu. Il leur faudrait davantage d’autonomie. Selon Pisa c’est plus efficace. Il faut développer l’auto évaluation, l’évaluation par les pairs et les chefs d’établissement, un peu d’évaluation externe. C’ets ce que font les autres pays. Il faut inciter les enseignants à avoir des relations entre eux, développer de vraies communautés. Or je ne suis pas optimiste car les réformes mises en oeuvre ne sont pas celles que j’appelle de mes voeux.
Propos recueillis par François Jarraud