Pour Nathalie Mons, professeur de sociologie, spécialiste des politiques scolaires, experte pour l’OCDE pour l’enquête PISA 2006, l’enquête PISA 2012 éclaire des aspects inquiétants de notre système éducatif. » Il est désormais difficile de dire que l’école donne davantage à ceux qui sont le plus en difficulté. Une évaluation fine de l’allocation des ressources publiques en éducation et des inégalités territoriales doit être menée ». La dégradation de l’école impacte directement le lien social. « Quand l’école se dégrade ou s’est dégradée – outre les compétences cognitives des élèves qui régressent- ce sont les fondements du lien social qui sont interrogés, ce qui n’est pas dans la société française actuelle neutre ».
On parle dans les médias de la chute de la France dans PISA, qu’en est-il ?
En effet, certains médias ont insisté ou titré sur la « chute » de la France dans le palmarès PISA 2012. Et il est vrai que si l’on considère la perspective longitudinale PISA 2003-2012, le score national moyen de la France en culture mathématique régresse : alors que sa performance globale était supérieure à la moyenne des pays de l’OCDE en 2003, son score actuel place le pays tout juste dans la moyenne. Cependant ce résultat a été mis en évidence dès 2006. Par ailleurs en compréhension de l’écrit, à l’inverse, la performance nationale moyenne progresse, cela positionne le pays au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE, là encore confirmant des premières tendances apparues lors de la dernière édition de PISA. L’évaluation de l’école est un exercice complexe.
Quels sont donc d’après vous les principaux résultats de PISA ?
Ils sont nombreux et doivent nous pousser à sérieusement réfléchir à l’école française. Au-delà de l’analyse du palmarès de PISA qui focalise toutes les attentions, la caractéristique première des résultats de cette édition, c’est que le score moyen national a de moins en moins de signification dans le cas français. Les statisticiens le savent bien. Selon les configurations, la moyenne est porteuse de sens ou non. Dans une classe, si l’ensemble des notes des élèves sont proches de la moyenne, alors la moyenne a un sens mais si, dans une seconde classe, vous avez un premier groupe d’élèves qui se regroupent, disons, autour de 6-7 et un autre groupe bien distinct autour 13-14, la moyenne de la classe nous renseigne peu sur le niveau des élèves de cette classe. Sans être aussi extrême, la France se caractérise désormais par une composition scolaire marquée par deux pôles extrêmes qui ont eu tendance ces dernières années à se renforcer : d’un côté les élèves en difficulté, dont la proportion a très fortement progressé depuis dix ans et, de l’autre, ce que l’OCDE appelle les « top performers » c’est-à-dire l’élite scolaire, dont la proportion a également progressé, mais dans une moindre mesure. C’est par exemple le cas pour cette édition de PISA 2012 en compréhension de l’écrit, le score national est tiré vers le haut par les élites. C’est une structuration de performance originale puisque nombre de pays ont fait progresser leur score national moyen en faisant progresser les élèves en difficulté scolaire. Le système français est en panne, il ne parvient plus à lutter contre la détérioration des élèves les plus en difficulté, quand il y a progrès il profite aux élites scolaires qui sont, de plus très fortement marquées socialement. C’est un second point saillant de l’enquête. Au total nous sommes confrontés à une école française qui tend à se bipolariser, entre autres sur une base sociale.
Les autres pays de l’OCDE vont-ils dans le même sens ?
Non c’est un autre point qui démarque la France d’un ensemble significatif de pays de l’OCDE. Sur les dix dernières années à la fois les politiques nationales mais aussi les recommandations de certaines organisations internationales comme la Commission européenne qui a fait du recul des élèves en difficulté scolaire l’un de ses objectifs et benchmarks en éducation ont conduit un nombre non négligeable de pays à faire à la fois progresser leur score national et à la réduire la difficulté scolaire. Les résultats de notre école se sont dégradés durant la période 2003-2012 alors que d’autres pays progressent. On retrouve ce constat en dehors de PISA par exemple sur un indicateur significatif comme celui du nombre de sorties précoces du système scolaire sans qualification. Alors que ls résultats français oscillent dans la moyenne des pays de l’Union européenne, jusqu’à récemment, ce taux a été marqué par son immobilisme alors que les autres pays développaient des politiques qui se sont révélées efficaces contre le décrochage scolaire.
PISA nous renseigne aussi sur les attitudes des élèves face à l’école, quelles conclusions en tirer ?
L’école n’est pas vécue comme un lieu d’inclusion et de sérénité par une partie non négligeable des élèves français de 15 ans. De nombreux indicateurs le démontrent. Les mathématiques apparaissent comme une discipline particulièrement anxiogène. Par exemple, 43% des élèves se déclarent perdus quand ils doivent résoudre un exercice de mathématiques, contre environ 1/3 dans les pays de l’OCDE. Selon le milieu social la différence est très marquée, les élèves issus de milieux favorisés ne décrochent pas nettement par rapport à la moyenne de l’OCDE, alors qu’un élève sur deux de milieux défavorisés éprouve ce sentiment d’être perdus face à un devoir en mathématiques. Les filles sont plus anxieuses, moins sures d’elles, moins persévérantes pour affronter des difficultés en mathématiques. Les élèves français doutent aussi de leurs compétences en mathématiques. Ce problème de confiance en France des élèves dans leur capacité scolaire est corroboré par d’autres enquêtes comme l’étude internationale Health Behaviour in school-aged children qui interroge sur différentes dimensions de santé des élèves de 11, 13 et 15 ans dans plus d’une quarantaine de pays.
Plus globalement, si le sentiment d’utilité de l’école est fort en France, celui d’appartenance à l’école est largement inférieur à celui de la moyenne des pays de l’OCDE. A des questions qui interpellent les élèves sur le fait d’être à l’aise dans l’école, de s’y sentir ou non étranger… moins d’un élève français sur deux répond positivement, des réponses qui dérochent notablement par rapport à la moyenne de l’OCDE. Or ces indicateurs sont très fortement corrélés aux performances des élèves dans notre pays. Une fois de plus les élèves les plus défavorisés socialement sont en retrait face à ce sentiment d’appartenance. Ces indicateurs sur les attitudes des élèves qui sont centraux doivent nous interroger sur le fonctionnement de l’école, les modalités de notation, celles du travail collaboratif entre pairs trop peu développé en France, la compétition scolaire qui s’est installée dans notre école.
Qu’en est-il des inégalités sociales à l’école ?
L’édition 2012 confirme que l’école française est devenue très fortement reproductrice. Désormais un ensemble large d’indicateurs intégrés dans PISA qui mesurent les inégalités scolaires d’origine sociale concordent alors que le tableau était moins net lors des éditions précédentes. Un des indicateurs intéressant est la progression de score quand on progresse dans l’échelle sociale. Cette progression est la plus marquée des pays de l’OCDE.
Comment expliquer ces résultats ?
C’est à la fois conjoncturel, si l’on considère la dernière décennie mais aussi structurel, ce sont les fondations élitistes de notre système scolaire qui expliquent aussi ce résultat.
Quelles réformes passées sont liées à ces résultats ?
Sur les dix dernières années, on peut bien sûr pointer un ensemble de réformes qui ont pendant un temps fortement détérioré le système éducatif. Par exemple la destruction de la formation des maîtres, la réduction du nombre d’enseignants, le recul très fort de pré-scolarisation avant trois ans sont emblématiques de ces politiques. Nous savons que les réformes qui détériorent les contextes d’apprentissage sont plus particulièrement négatives pour les élèves issus des milieux défavorisés. Pour autant, les fortes inégalités sociales qui caractérisent désormais notre pays s’expliquent aussi par des dimensions structurelles du système français qui dépassent largement les alternances politiques et les clivages droite/gauche et s’inscrivent dans une perspective plus longue que la dernière décennie. C’est pour cela que le système est difficile à réformer.
Quelles sont ces dimensions structurelles ?
La France est marquée structurellement par la faiblesse des politiques de prévention de l’échec scolaire. Nous attendons que les élèves, surtout issus de milieux défavorisés soient en grande difficulté scolaire pour les aider. Au cours des décennies se sont développés de nombreux dispositifs de remédiation, qui se sont empilés et dont l’efficacité n’est pas démontrée. C’est un suivi plus rapproché de tous les élèves qu’il faut développer, pour prévenir l’échec scolaire. Une attention portée à chaque enfant au quotidien à travers des dispositifs d’enseignement plus individualisé, comme cela se pratique dans certains pays nordiques, permettrait de faire reculer la difficulté scolaire et se substituerait à la pratique du redoublement dont PISA et d’autres recherches ont montré à la fois l’inefficacité et le fort marquage social. A niveau scolaire équivalent, les élèves issus de milieux défavorisés redoublent davantage et s’en trouvent davantage stigmatisés tout au long de leur carrière scolaire. Dans PISA plus d’un tiers des élèves français sont considérés comme en retard, ils sont encore en troisième, et nombre d’élèves en grande difficulté se recrutent dans cette population.
Des tentatives de suivi plus rapproché des élèves pour lutter contre l’échec scolaire sont réalisées aujourd’hui à travers le dispositif Plus de maîtres que de classes, dont il faudra suivre avec vigilance la mise en œuvre. Dans une réforme la mise en œuvre est aussi importante que l’encadrement légal des dispositifs. La reconstruction de la formation devra également être suivie.
L’école française offre-t-elle encore aujourd’hui les mêmes chances à tous ?
Les inégalités scolaires fortes s’expliquent aussi par des écarts marqués dans les contextes scolaires en termes de ressources. Derrière l’affichage de la politique d’Education prioritaire, des inégalités d’allocation des ressources publiques ont vu le jour qui sont souvent occultées. Certes les établissements d’Education prioritaire bénéficient par exemple de classes allégées mais y sont aussi affectés les enseignants les moins expérimentés. Nos dernières recherches montrent également que l’offre scolaire notamment au collège est aussi très inégale. Les classes d’excellence – les classes européennes, bi-langues, de théâtre…, se sont plus particulièrement développées dans les établissements socialement les plus favorisés. Le concept du collège unique tend à disparaître et à céder la place à une offre scolaire inégalitaire. Il est désormais difficile de dire que l’école donne davantage à ceux qui sont le plus en difficulté. Une évaluation fine de l’allocation des ressources publiques en éducation et des inégalités territoriales doit être menée.
Sans compter que les familles favorisées ont aussi recours au soutien privé qui a bénéficié d’une compensation fiscale depuis 2005, compensation qui, malgré l’évolution légale de 2007 a été peu utilisée par les familles défavorisées. Cela signifie que notre collectivité nationale a payé pour que ces familles aient recours à une aide privée pour leurs enfants. C’est l’ensemble de ces dimensions qui se conjuguent aujourd’hui pour détériorer le niveau d’inégalités scolaires sociales. L’organisation actuelle de l’école n’est plus en capacité de contrarier les inégalités dont elle hérite. Réformer notre système est d’autant plus nécessaire que l’étude récente de l’OCDE – PIAAC – sur les compétences des adultes – qui sont entre autres partiellement issus du cycle de formation initiale – montre que la population adulte française présente des compétences très faibles. Or ces compétences sont directement corrélées à une série d’indicateurs économiques évidemment sur l’emploi mais aussi sociaux – comme la perception de sa santé – et politique – l’engagement politique, associatif ou la confiance dans autrui. Quand l’école se dégrade ou s’est dégradée – outre les compétences cognitives des élèves qui régressent- ce sont les fondements du lien social qui sont interrogés, ce qui n’est pas dans la société française actuelle neutre.
Le diagnostic de Pisa 2012
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2013/12/03122013Article63[…]
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