Véritable thinktank de l’éducation prioritaire, l’Observatoire des zones prioritaires (OZP) s’est imposé comme un endroit où se réfléchit la lutte contre les inégalités scolaires. Son président, Marc Douaire, travaille avec le ministère sur la nouvelle politique que va lancer V. Peillon en janvier. Voilà deux bonnes raisons pour l’interroger sur le devenir d’une politique vivement chahutée par les gouvernements précédents.
On est quelques jours seulement après la publication de PISA. La question de l’éducation prioritaire a-t-elle la place qu’elle mérite dans l’opinion publique ?
Le climat est bien à l’aggravation des inégalités amplifiées par l’organisation scolaire. Et on peut penser que l’énergie mise par le ministre dans la refondation de l’Ecole va dans le bon sens. Mais ce n’est pas gagné. A l’époque de la concertation nationale c’était le grand flou sur el devenir de l’éducation prioritaire. Depuis on participe à un groupe de travail au ministère de l’éducation nationale et l’orientation donnée semble aller dans le bon sens.
L’éducation prioritaire dispose-t-elle d’un budget suffisant ?
Sa priorité a été affirmée par Vincent Peillon. On aurait aimé que dans la loi d’orientation, un article affiche cette priorité. Evidemment on connait les contraintes budgétaires. On constate que, à moyens constants, l’éducation prioritaire a la priorité devant d’autres sujets. Mais on voit aussi qu’il ne faut pas toucher à l’élite, au coût des CPGE ou aux options des lycées…
Quand on a rencontré JP Delahaye, directeur de l’enseignement scolaire, on lui a marqué nos 4 exigences. La première c’est l’organisation de formations lourdes (3 fois une semaine par exemple) sur site à partir de la rentrée 2014 pour les enseignants du prioritaire. C’est vraiment une priorité. Il est nécessaire de former au travail en équipe.
La seconde exigence c’est la confirmation du développement des missions propres à l’éducation prioritaire : les coordonnateurs, professeurs référents, préfets des études ainsi que les pilotes : IEN et principal. Ils doivent être confirmés et développés.
Notre troisième exigence c’est la volonté d’un pilotage national. On demande la réactivation des CAREP, tombés en désuétude, et un pilotage national pour que les Dasen appliquent les priorités nationales. Enfin la dernière exigence c’est donner du temps au personnel.
A plus long terme on veut des assises nationales de l’éducation prioritaires. On a gardé le souvenir des rencontres de 1998 où on avait pu faire le point sur le métier. On ne veut pas d’une grande messe officielle mais un moment où les équipes puissent se rencontrer. Lors du séminaire organisé le 7 décembre, une soixantaine de collègues sont venus et ont parlé de leur isolement. Réunir les personnels c’est les reconnaitre.
Accorder des formations longues aux personnels alors que le turn over est aussi important dans l’enseignement prioritaire n’est ce pas un gaspillage de moyens ?
Ca rejoint la question de la formation des enseignants en général. Il faut que dans la formation donnée en Espé il y ait une formation qui prenne en compte le collectif. Pour en revenir au prioritaire, si on veut stabiliser les équipes, ce ne sera pas à coup de primes. Mais bien en changeant les conditions d’exercice du métier. Ainsi le 1.1 annoncé par V Peillon (chaque heure en éducation prioritaire considérée comme 1,1 heure) c’est une grande première. On verra comment c’est appliqué. Mais c’est déjà une avancée. Ce temps va permettre la réflexion collective. Il va donner du sens au métier.
Une autre piste avancée par certains c’est réduire le nombre d’élèves par classe. Qu’en pensez-vous ?
En soi ce n’est pas une garantie de réussite pour les élèves. Il faut l’articuler avec une modification des pratiques pédagogiques. On préfère des moyens pour former à la liaison école – 6ème, comme des échanges de service, la co-intervention ou encore des moyens pour les réseaux. Il nous semble plus utile de mettre le paquet sur la liaison cm2 – 6ème ou CP – CE1. Ca aurait aussi un effet sur l’attractivité des établissements.
Le ministère veut resserrer la carte de l’éducation prioritaire. Est-ce justifié ? Comment gérer les sorties des dispositifs ?
La carte des 1200 réseaux prioritaires n’est plus justifiée. Or pour certains il faudrait encore l’étendre ! Dès que l’école a des difficultés il faudrait créer des établissements prioritaires. Le gros risque c’est d’arriver à constituer deux écoles avec d’un coté les filières nobles et les CPGE pour certains et de l’autre le prioritaire pour les milieux populaires. Alors on ne serait plus dans une école démocratique.
Il faut revenir à l’idée de Savary et réserver le prioritaire aux endroits où le service public ne peut plus exercer ses missions. Il faut que ce soit un dispositif provisoire. Tout cela suppose que la refondation du prioritaire soit un élément d’une refondation générale de l’Ecole. On ne peut pas séparer l’une de l’autre.
Pour établir la nouvelle carte de l’éducation prioritaire, il faut rapprocher la carte de l’éducation nationale de celle de la politique de la Ville. Les critères de cette dernière, comme la pauvreté, sont pertinents. Mais il ne faut pas la calquer complètement pour laisser aux académies de la souplesse.
Les équipes savent bien que trop d’éducation prioritaire tue l’éducation prioritaire. Il faut donc des sorties du dispositif là où les quartiers ont évolué, se sont « boboïsés » par exemple. Et regrouper les moyens sur 300 – 350 réseaux correspondant en gros aux réseaux ambition réussite et aux réseaux de réussite scolaire pris en charge par les rectorats.
Le ministère va annoncer prochainement la réforme du prioritaire. Etes vous optimiste ?
On doit être attentif. Mais il faut se rappeler 2007 quand Sarkozy menaçait de dépot de bilan l’éducation prioritaire. Ou quand Chatel après la publication par la Dgesco de bons chiffres sur le prioritaire, a annoncé qu’il fallait individualiser et sortir d’une logique de territoire. Lors de la concertation nationale on a vu, dans les ateliers, un consensus se faire sur le prioritaire comme politique territoriale avec un pilotage national.
C’est le retour aux idées des années 1990 ?
C’était l’époque où Jospin a relancé le prioritaire en le coordonnant avec la politique de la Ville. Il y a mis des crédits et des postes. Jospin est parti et le bilan de son action n’a pas été fait. On souhaite qu’à l’avenir l’enseignement prioritaire échappe aux effets négatifs des changements de ministre.
Propos recueillis par François Jarraud
Sur le site du Café
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