« Tu étais à New-York le 11/09/2011. Raconte dix ans plus tard ce que tu as vécu » : c’est le sujet de rédaction que Pierrick Guillot, professeur de français au collège Frédéric Mistral de Feyzin, a proposé à ses 3èmes et qui a constitué le point de départ d’un beau projet pédagogique. Les élèves y sont invités à se confronter au monde et aux images du monde, à développer des stratégies de recherche et d’analyse de l’information, à construire de vraies démarches d’apprentissage et d’écriture. Etude de l’image fixe et mobile, débats, recherches critiques sur internet, écritures collaborative et individuelle, enregistrements audio, montages vidéo, lecture d’œuvres contemporaines … : les activités, variées et stimulantes, font vivre une expérience qui rappelle combien l’enseignement du français présente aussi un fort enjeu citoyen.
Pourquoi le choix de travailler autour des attentats du 11 septembre ?
Les commémorations qui ont eu lieu dix ans après les attentats ont marqué la rentrée de septembre 2011, aussi bien dans les médias que dans les esprits de mes élèves de 3ème : si jeunes en septembre 2001, la seule présence de ce sujet dans les journaux, sur internet et à la télévision avait suscité des interrogations fortes chez certains et il m’est apparu opportun de saisir cet engouement pour le transformer en activité d’enseignement.
Pour ne pas nous empêtrer dans des polémiques stériles, j’ai décidé d’aborder en 2011-2012 uniquement l’expression des sensations dans un sujet d’écriture de témoignage d’une personne présente à New York le 11 septembre 2001. Cette approche a permis de distinguer les enjeux pédagogiques en prévision de l’année suivante : si le sujet avait convaincu l’ensemble des élèves, ce n’était pas seulement pour ses potentialités littéraires, mais aussi pour sa capacité à interroger le monde contemporain (médias, géopolitique).
Plusieurs facteurs se sont conjugués pour m’inciter à approfondir ce travail en 2012-2013 : la diversité des supports disponibles, la volonté de mes collègues de travailler en histoire des arts la ville de New York et une proposition de réflexion autour de l’éducation aux médias dans le cadre du groupe « lettres-TICE » de l’académie de Lyon. C’était une occasion unique de donner encore plus de sens à une simple séquence d’écriture en lui ajoutant un objectif en lien avec la culture numérique.
Un des objectifs était de développer chez les élèves un regard critique sur les vidéos en ligne : comment avez-vous procédé ?
Les élèves ont d’abord complété en classe un questionnaire préalable à propos de leur représentation du 11 septembre (origines des souvenirs, protagonistes, décors, chronologie, sens du mot « spectateur »). L’échange verbal qui a suivi a souligné leur expérience médiatique de l’événement, sans qu’ils parviennent pour autant à distinguer clairement les différences entre témoignage, reportage, rumeur, propagande et source officielle. Nous nous sommes rendus ensuite en salle informatique pour utiliser internet intuitivement afin de nous renseigner sur notre sujet. L’objectif était de les accompagner dans la découverte d’une source inépuisable d’informations, de connaissances, de théories,…
Une fiche de travail a orienté leur réflexion : quels sont les premiers réflexes d’utilisation ? Quels supports sont consultés en premier ? Sur quels sites ont-ils navigué (relevé des adresses URL) ? Quels sont les contenus qui retiennent le plus facilement leur attention ? Effroi, fascination, rejet, acceptation, voyeurisme : pourquoi les images du 11 septembre peuvent-elles mettre les spectateurs dans ces différentes positions ?
Ne souhaitant pas laisser la classe trop longtemps livrée à elle-même, j’ai proposé aux élèves en fin de séance de formuler par écrit des idées, des arguments, des exemples à propos de la construction, de l’économie et du pouvoir des vidéos en ligne.
Lors du cours suivant, nous avons constitué des groupes de trois à cinq élèves au sein desquels les réflexions ont été débattues avant d’être présentées à la classe entière sous la forme d’un tableau récapitulatif soulignant les arguments et les exemples les illustrant. A l’aide du vidéoprojecteur, nous avons pu mettre en évidence l’importance du montage, notamment par la présence répétée ou l’absence évidente de certains plans, comme par exemple l’impact des avions dans les tours du World Trade Center, image omniprésente dans les reportages de la TV américaine et très soigneusement évitée dans les vidéos conspirationnistes.
Je leur ai également présenté l’économie des vidéos en ligne : aucun élève de 3e ne connaissait le financement de Youtube ou Dailymotion, voire même les règles qui régissent la mise en ligne des vidéos. Plusieurs ont évoqué dès lors la question de la manipulation, du spectateur-consommateur, et tout naturellement nous avons conclu le débat sur le pouvoir des images en comparant les positions du téléspectateur et du lecteur.
Le sujet retenu est le favori de nombreux sites conspirationnistes : comment le travail a-t-il permis d’aider les élèves à s’y retrouver sur la toile ?
La démarche d’éducation aux médias précédait l’écriture du brouillon de la rédaction dans le but d’éviter à certains élèves de faire fausse route ou de se noyer dans ce vaste océan qu’est internet. Pour aider les élèves, la réflexion, l’argumentation et la démonstration ne suffisent pas toujours, c’est pourquoi nous avons construit ensemble une fiche-conseils pour l’analyse d’une image. Nous avons convenu que n’importe quelle image nécessite un regard critique : support de publication, auteur, traçabilité, forme, montage, contenu, message, … doivent être identifiés par l’élève.
Lors d’une évaluation en salle informatique, les élèves ont appliqué ces conseils sur une image fixe et une image mobile que j’avais choisies, puis sur une vidéo en ligne à propos du 11 septembre que chaque élève choisissait librement, avec pour seul critère une durée limitée à 3 minutes. Les liens vers toutes ces images étaient intégrés au fur et à mesure dans un « pad » d’écriture collaborative centralisant les copier-coller des adresses URL consultées. Les résultats de cette évaluation ont été très parlants puisque des élèves avaient oublié la fiche-conseils ! Sans la fiche, ils n’ont pas eu le réflexe d’identifier l’auteur, le montage ou la traçabilité de la vidéo, et la réflexion sur le contenu et le message des images était plus pertinente, plus responsable dans les copies des élèves ayant utilisé cette fiche.
Les activités ont été menées en lien avec un sujet de rédaction : « Tu étais à New-York le 11/09/2011. Raconte dix ans plus tard ce que tu as vécu » : comment les élèves ont-ils utilisé les outils numériques pour développer leurs compétences d’écriture ?
Le travail d’écriture visait a priori trois compétences distinctes : la cohérence du récit, la précision du vocabulaire et la mise en page réfléchie du texte. Chaque compétence a été l’objet d’une séance en salle informatique guidée par une fiche de travail. Pour parvenir à un récit cohérent, les élèves ont prélevé des informations sur les sites internet sélectionnés à l’aide d’un moteur de recherches après un rappel des règles concernant la recherche de résultats pertinents (paramétrage du moteur de recherches, choix des mots-clés, utilisation des options de recherche) et un rappel des règles concernant la fiabilité des sources : Qui ? Quoi ? Quand ? Où ? Comment ? Pourquoi ?
Le partage et la critique des ressources ont été permis par la réutilisation de l’outil d’écriture collaborative. Vous pouvez ainsi consulter la page recensant les recherches effectuées et les commentaires des élèves : vous vous rendrez compte que les sites proposant des témoignages ou une chronologie des événements ont été privilégiés, sans forcément se soucier, malheureusement, de la fiabilité des sources. Mais mon regard permanent sur l’outil d’écriture collaborative m’a permis de faire réfléchir les élèves sur la qualité de leurs ressources de telle sorte que certains ont utilisé l’outil de « chat » -plutôt mis de côté dans ma démarche- pour mettre en avant un site officiel très pertinent vu le sujet d’écriture.
Une fois cette prise de notes effectuée, les élèves ont rédigé le brouillon de la rédaction. Nous sommes retournés en salle informatique pour une activité de recherches lexicales dont l’objectif était d’utiliser les dictionnaires en ligne pour varier et enrichir le vocabulaire de la rédaction. Habitués à consulter le site www.lexilogos.com, les élèves devaient trouver des synonymes et construire des familles de mots et des champs lexicaux en rapport soit avec le vocabulaire des sensations éprouvées par leur narrateur le 11 septembre 2001 à New York, soit avec le cadre spatial des événements.
La version améliorée du brouillon a été corrigée par la suite en tenant compte des remarques du professeur et des demandes de correction. Nous sommes alors revenus en salle informatique une dernière fois pour mettre en page le texte définitif dans un logiciel de traitement de texte et l’imprimer.
Une dernière activité avec les outils numériques a été proposée dans les semaines qui ont suivi la correction de la rédaction. Les élèves ont enregistré leur lecture à voix haute de la rédaction et les plus motivés, inspirés par quelques œuvres de littérature numérique présentées dans l’année, ont réalisé un montage mélangeant leur voix, des sons et images libres de droits, et des mots et expressions extraits de leur rédaction.
Au final, j’ai été assez surpris par leur volonté de ne pas partager leurs productions avec un public plus large. Alors que je m’attendais à une réponse positive lors de ma proposition de diffuser les travaux sur internet, les élèves ont refusé, certains ne souhaitant même pas voir leur écrit lu par la classe. Manque de confiance en la qualité de leur expression écrite ? Non, puisque les notes obtenues étaient encourageantes. En fait, je pense que les élèves s’étaient suffisamment approprié le sujet pour avoir l’impression d’une intimité avec les New Yorkais, avec les victimes, à tel point que diffuser leurs écrits au grand jour eût été une manière de rompre cela à leurs yeux. Or, mes élèves de 3e sont très sensibles à cette question de l’intimité !
Vous avez aussi confronté les élèves à certaines œuvres, littéraires, cinématographiques … : lesquelles ? comment ? est-ce que le fait d’avoir lancé le travail d’écriture préalablement à ces confrontations a stimulé et enrichi la relation des élèves à ces œuvres ?
C’est justement pour favoriser une écriture plus intime que j’ai évité de confronter au début les élèves avec des œuvres traitant du 11 septembre. Plus nous avons avancé, plus nous avons étudié des œuvres dont le contenu et/ou la forme se rapprochai(en)t de notre sujet d’écriture. Ainsi, j’ai d’abord proposé en lecture analytique un extrait d’Extrêmement fort et incroyablement près, un roman de Jonathan Safran Foer publié en 2005. Le passage étudié insistait sur la mémorisation des événements par un narrateur enfant ayant perdu son père lors des attentats. Les élèves ont repéré l’intérêt d’une chronologie précise, le narrateur connaissant par cœur les horaires des derniers messages laissés par son père sur le répondeur téléphonique familial ce jour-là. Ils ont pu aussi imaginer les différentes réactions possibles face aux événements, leur irruption brutale dans le quotidien des New Yorkais et leurs conséquences à moyen terme.
Ensuite, la classe a étudié 2 planches de la bande dessinée autobiographique d’Henrik Rehr, Mardi 11 septembre, publiée en 2003. Cette étude placée dans le cadre de l’histoire des arts a permis de présenter le vocabulaire et les codes de la bande dessinée. Elle a offert un autre regard sur l’événement, graphique et intime. Les élèves ont saisi les bouleversements du décor, mais aussi dans la vie des New Yorkais dans les mois qui suivirent les attentats.
Puis, sachant que mes collègues avaient travaillé en physique-chimie et en histoire-géographie la Statue de la Liberté, en éducation musicale l’œuvre du compositeur Steve Reich, j’ai voulu ajouté une analyse cinématographique avec une séquence du film documentaire de Michael Moore primé à Cannes en 2004, Fahrenheit 9/11. Si des recherches sur internet m’ont signalé immédiatement l’utilisation de la séquence à propos de la matinée du 11 septembre comme objet d’étude validé par de nombreux collègues, j’ai préféré me concentrer aussi sur le début du film afin de travailler la notion de point de vue, le réalisateur ne dissimulant pas son parti-pris anti-Bush, bien au contraire !
Enfin, pour conclure cette séquence, une évaluation type-brevet a été proposée à partir d’un extrait des premières pages de L’Homme qui tombe, roman de Don DeLillo publié en 2007. Sur un conseil de ma libraire, j’étais tombé pendant l’été 2012 nez à nez avec un texte correspondant à une version très littéraire du sujet d’écriture proposé à mes élèves. J’avais pensé n’en faire qu’une lecture en complément de la correction de la rédaction, mais l’intérêt de la classe ne s’étant pas estompé, j’ai opté pour une activité de lecture plus approfondie avec des questions et une dictée soulignant le récit d’un cataclysme, la perception du décor et le trouble de l’humanité, points essentiels de la rédaction initiale.
Au final, quel bilan tirez-vous de l’expérience ? quels profits en ont tirés les élèves ? vous semble-t-elle susceptible d’être transférée, prolongée, enrichie ?
La séquence s’avère globalement positive. Les élèves ont apprécié le travail d’écriture en rapport avec le monde contemporain, ainsi que l’exploitation des images pour favoriser une expression à la première personne à la fois réfléchie et précise. Même des élèves en grande difficulté à l’écrit ont produit des travaux satisfaisants, portés par l’émotion que suscitait le sujet.
En revanche, les séances d’éducation aux médias n’ont pas toujours été sereines, quelques élèves profitant du sujet pour ouvrir des parenthèses géopolitiques et religieuses, non pas dangereuses, mais éloignant la classe des objectifs fixés. Selon le tempérament et la maturité des élèves, il est utile de déconstruire les nombreux amalgames avant même de débuter la séquence, je pense.
C’est la raison pour laquelle nous étudions à l’heure actuelle la pièce de théâtre de Michel Vinaver, 11 septembre 2001, écrite en 2001 et jouée par des lycéens de Seine-Saint Denis le 11 septembre 2011 au théâtre de la Ville de Paris. Cette œuvre nous permet de voir que les événements new yorkais, dans leur traitement artistique, ne sont pas si éloignés que cela de mythes plus anciens comme la guerre de Troie, à l’historicité beaucoup plus controversée…
En définitive, les programmes de français en 3e offrant la possibilité d’étudier des textes porteurs d’un regard sur le monde contemporain, je suis convaincu que cette séquence est transposable à n’importe quel sujet traité à la fois par les médias et les artistes. Les commémorations du centenaire de la première guerre mondiale ont par exemple déjà suscité des idées similaires, comme le compte Facebook d’un Poilu alimenté par le musée de la Grande Guerre du pays de Meaux. Il n’est pas exclu non plus de pouvoir travailler selon des modalités proches sur les thèmes de l’école, de la banlieue ou de l’adolescence, tant les œuvres artistiques et les reportages sont nombreux sur ces sujets.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Sitographie établie et commentée par les élèves via outil d’écriture collaborative