Vincent Peillon présentera officiellement le 9 septembre la nouvelle « Charte de la laïcité ». Mais que peut faire se nouveau texte , même simple et facile à lire, pour répondre aux difficultés rencontrées sur le terrain ? Pour Jean-Louis Auduc, co auteur de « Pédagogie de la laïcité », la charte doit être accompagnée d’une formation des professeurs principaux.
Le rédacteur de la charte de la laïcité a pensé à la Déclaration des droits de l’Homme. Comme elle , la charte compte 17 articles et fixe des principes dans une langue claire. « Les enseignements sont laïques. Afin de garantir aux élèves l’ouverture la plus objective possible à la diversité des visions du monde ainsi qu’à l’étendue et à la précision des savoirs, aucun sujet n’est a priori exclu du questionnement scientifique et pédagogique. Aucun élève ne peut invoquer une conviction religieuse ou politique pour contester à un enseignant le droit de traiter une partie du programme ». Ces deux articles de la Charte de la laïcité rencontreront probablement une forte adhésion chez les enseignants.
Présentée par Vincent Peillon au CSE du 10 juillet, la charte sera affichée dans tous les établissements. Elle semble viser en priorité les familles pour faire baisser les atteintes à la laïcité. « Le texte veut sortir de la laïcité violente qui exclut les élèves trop souvent », nous a dit Claire Krepper, secrétaire nationale du Se-Unsa. Le texte précise également que « les personnels ont un devoir de stricte neutralité : ils ne doivent pas manifester leurs convictions politiques ou religieuses dans l’exercice de leurs fonctions ».
Jean-Louis Auduc : Un bel outil à faire vivre
A quoi peut bien servir une charte de la laïcité ? Que peuvent en faire les enseignants ? Ne risque-t-elle pas de stigmatiser davantage les minorités ? Ancien directeur d’IUFM, Jean-Louis Auduc suit les questions de laïcité depuis des années. Il a participé à la rédaction de l’ouvrage « Pédagogie de la laïcité » préfacé par le ministre en 2012. Pour lui la charte de V. Peillon est un texte accessible qu’il va maintenant falloir faire vivre à travers une formation des enseignants.
La charte compte 17 article comme la Déclaration des droits de l’Homme. A quoi peut-elle être servir ?
C’est bien d’avoir un texte qui montre la laïcité au quotidien et qui insiste sur le fait qu’elle est un outil de liberté. D’ailleurs ce mot est celui qui revient le plus souvent dans la charte. Cette charte casse l’image réductrice d’une laïcité d’interdiction et met en avant la liberté de conscience, de la personne, l’enjeu de la culture commune et partagée. La charte est bien équilibrée entre les 3 principes de la laïcité : la primauté de l’Etat avec ses programmes d’enseignement, la liberté de conscience et d’expression, l’égalité de traitement des croyances et des incroyances. Ce texte vulgarise bien la laïcité. C’est un bel outil pour une laïcité de conviction et non de contrainte. Par exemple, la laïcité c’est aussi les jours protégés comme Roch Hachana et Yom Kippour en ce moment. Ils sont dans la loi de 1905 (article 42). On a trop souvent aujourd’hui une vision d’une laïcité d’exclusion. Avec cette charte on est dans une laïcité de conviction. Et surtout devant un texte qui vulgarise.
Certains articles semblent un peu irréalistes comme celui qui affirme qu’il « appartient à tous les personnels de transmettre aux élèves le sens et la valeur de la laïcité » ou celui qui dit que « les personnels ont un devoir de stricte neutralité : ils ne doivent pas manifester leurs convictions politiques ou religieuses dans l’exercice de leurs fonctions ». Il ne suffit pas de l’écrire pour que ce soit respecté.
Ces articles, c’est simplement la loi. Je conseille aux enseignants d’expliquer aux élèves qu’ils ne sont que des musiciens qui interprètent des partitions qu’ils n’ont pas écrits. Souvent l’élève ou ses parents croient que quand le professeur choisit telle ou telle oeuvre c’est un choix personnel qui reflète ses idées. La neutralité s’appuie sur le fait que l’enseignant doit appliquer la partition décidée par l’Etat qui seul détermine les programmes.
Concrètement, le professeur est face à des situations où souvent il ne sait pas quoi faire. Par exemple des refus d’aller à la piscine ou des problèmes de longueur de robe.
C’est pourquoi il faut décliner la charte par discipline dans des documents d’accompagnement avec des fiches pédagogiques par rapport aux disciplines et aux espaces scolaires pour les CPE et les enseignants.
Il y a un vrai enjeu de formation continue des enseignants pour qu’ils expliquent cet outil aux élèves. On a eu dans le passé une charte de la citoyenneté dont les personnels ne s’étaient pas emparés. J’espère que le ministre lancera une grande action de formation dans les semaines qui viennent auprès des professeurs principaux.
Le ministre a annoncé un kit pédagogique de complément. Il faut aussi des réunions où on donne des indications, où on présente le kit. Il ne faut pas se limiter à l’envoyer si l’on veut une véritable appropriation. Je souhaite qu’elle soit présentée par les professeurs principaux lors de l’élection des délégués élèves et, pourquoi pas, aux élus lors de la réunion du conseil d’administration du collège ou du lycée.
On est dans un pays laïc où l’Etat finance des écoles catholiques de façon importante. Comment empêcher que ce texte ne soit pas pris comme anti musulman devant le fait qu’il y a deux poids deux mesures ?
Le texte ne s’applique qu’aux écoles publiques. Les articles 13, 16 et 17 ne s’appliquent pas aux écoles sous contrat dans le cadre du caractère propre. Leur seule obligation en ce qui concerne la laïcité c’est le respect des programmes nationaux. Mais la situation que vous évoquez n’est pas aussi simple. On en a peu parlé mais dans le palmarès des lycées établi par l’Education nationale c’est un lycée sous contrat musulman qui est premier au niveau national. Il fait partie de la quinzaine d’établissements musulmans sous contrat. Il y a 5 ou 6 ans il y avait une querelle sur ces établissements. Maintenant il y en a 1 ou 2 de plus chaque année. Et ça ne pose pas de problème.
Le moment est venu d’une pédagogie de la laïcité. V. Peillon avait promis une vulgarisation et une charte. Il l’a fait.
Propos recueillis par François Jarraud