Comme tout enseignant, je reste sensible actuellement, à tout un ensemble de symptômes qui tournent autour de « l’autorité ». Nous savons bien que le problème de l’autorité est permanent dans une classe. Pour cela d’ailleurs, beaucoup aimeraient avoir des « recettes », connaître les « bonnes pratiques », les « gestes professionnels » qui assurent l’autorité indispensable à qui veut se faire entendre sans avoir à passer une partie importante de son temps à « faire de la discipline »…
Autorité et discipline
Tout le monde sait aussi que l’autorité n’est pas l’autoritarisme ! Mais ce qu’on veut nous faire croire, c’est qu’elle résulte de la « compétence disciplinaire ». Or qui n’a pas connu un « professeur Nimbus » se faisant chahuter? Certes la compétence disciplinaire peut provoquer « l’admiration », « l’envie », « la jalousie » mais pas l’autorité. Et l’autorité du « savoir transmis » est toujours remise en cause; c’est le savoir qu’on découvre soi-même, qu’on vérifie soi-même, qu’on assimile qui a autorité pour nous. Le matheux le sait bien qui n’admet que ce qu’il a vérifié lui-même (en principe!). De plus on peut toujours dénigrer l’autorité d’un « savant », « Il est trop vieux, plus dans le coup », « il est trop jeune, sans expérience », « il ne voit qu’un point de vue », « sa discipline n’a pas de valeur scientifique »…
Cet article, par exemple, n’a aucune autorité en soi, ce n’est pas parce que j’ai été professeur d’Université en psychologie clinique que cela a autorité pour vous (peut-être même bien au contraire !). Si un point de cet article peut faire autorité pour vous c’est que brusquement ce point fait « tilt » et que vous y reconnaissez un aspect de votre expérience et qu’il met des mots sur quelque chose que vous savez déjà et qui fait autorité pour vous. Alors d’où provient l’autorité d’un enseignant et comment peut-il l’asseoir dans sa classe vis-à-vis de ses élèves?
D’où provient l’autorité?
De mon point de vue, elle a deux origines :
– D’abord une instance supérieure qui nous « investit » dans une fonction. L’enseignant n’a autorité dans une classe que parce que l’Education Nationale l’a promu « professeur » et lui a attribué cette classe.
– Ensuite de capacités qui lui sont reconnues par l’Institution ou qu’elle espère qu’il acquerra !
L’investissement de l’Institution
L’Education Nationale investit l’enseignant d’une certaine autorité. Elle espère que ce dernier s’en servira pour accomplir son métier d’enseignant au profit des élèves. C’est là que résulte la différence entre donner « un ordre » : « Prenez vos cahiers. Le devoir est à rendre pour demain »… comme venant de soi : « je vous impose cela » ou comme provenant d’un cadre (représentant de l’institution) « c’est ce qui a été fixé par une règle du cadre et c’est pour cela que vous devez le faire ». Dans le premier cas je suis face aux élèves sans intermédiaire et s’ils s’opposent c’est directement à moi; dans le deuxième cas il y a un tiers entre moi et les élèves (le cadre) et s’il y a opposition, c’est au cadre ; et je deviens alors médiateur entre eux et le cadre pour régler la question.
Cela demande qu’il existe un cadre dans la classe, c’est-à-dire que je reconnaisse que « je ne suis pas le seul maître à bord dans ma classe »! Mais qu’il existe un règlement intérieur à l’établissement et des règles propres à la classe. Ce qui exige que je reconnaisse donc l’autorité de cette Institution qui m’a investi(e) comme prof.
La conséquence est que, moi aussi, comme les élèves, je suis soumis à ce cadre. S’il a été fixé qu’un devoir remis un jour est rendu corrigé la semaine suivante je ne peux, parce que cela m’arrange, le rendre 15 jours plus tard par exemple!
Des capacités acquises ou à acquérir
Evidemment le concours de recrutement reconnaît la compétence disciplinaire. Mais deux autres capacités sont également nécessaires pour asseoir son autorité dans une classe:
– la capacité à comprendre ce qui se passe dans un groupe classe à un instant donné (résultant de la capacité à l’écoute d’un groupe)
– la capacité à organiser la vie d’un groupe pour lui permettre, au mieux, d’accomplir une tâche (acquisition d’un concept, réalisation d’un devoir…)
La capacité à comprendre ce qui se passe dans le groupe classe
Si je crois qu’on se moque de moi parce que des élèves rient alors qu’ils sont seulement en train de se raconter une blague ; si je pense qu’un problème de discipline est résolu parce que j’ai mis un élève à la porte de ma classe alors qu’il ne fait que « symptôme » de ce qui se passe à ce moment-là dans la classe, c’est que je n’entends pas ma classe et cela me fait prendre des décisions inadaptées: punition, renvoi… , les élèves s’en aperçoivent vite et mon « autorité » s’en trouve affaiblie à leurs yeux.
La compréhension de ce qui se passe dans le groupe classe conditionne les décisions que j’ai à prendre. L’autorité de l’enseignant est là dans le fait de prendre des décisions adaptées à ce qui se passe réellement dans la classe. Et ce n’est pas si évident que cela ! De même que l’écoute d’une personne donne lieu à bien des erreurs d’interprétation, l’écoute d’un groupe offre encore plus de difficultés.
La capacité à organiser la vie d’un groupe
Cela demande que l’enseignant se sente capable de garantir la solidité du « cadre », source de la sécurité dans la classe et de faciliter la tâche du groupe : stimulation du groupe, coordination des efforts, décisions sur les moyens opportuns en vue d’atteindre les objectifs du groupe. Cela demande aussi de gérer les relations internes : accroissement de la cohésion, renforcement du moral, apaisement des tensions et des conflits interpersonnels, maintien de l’unité groupale et de choisir des méthodologies d’organisation du groupe suivant l’objectif du moment : face à face, travail en petits groupes, Brain-storming, Jeu de rôle …
C’est dans la mesure où les élèves sentent que l’enseignant est capable d’organiser sa classe pour la conduire vers un objectif qu’ils désirent eux- mêmes atteindre, que son autorité sera reconnue et acceptée par eux.
Des formations possibles
Ces capacités qui assoient l’autorité d’un enseignants devraient être acquises dans la formation initiale des enseignants car elles s’apprennent et ne sont pas « données » naturellement ! Quand cela n’a pas été le cas il reste la possibilité à l’enseignant de se former lui-même grâce à des associations pédagogiques ou des associations (loi 1901) spécialisées dans ce type de formation, elles sont souvent animées par des universitaires ( voir : Pour faire une formation psychologique )
Jacques Nimier