Le livre et le numérique ont chacun le pouvoir d’abattre bien des murs, y compris entre les classes, les cycles, les âges, les structures… : c’est ce qu’illustre le projet de Marie-Butey-Laborel et Anne De Bois, professeures de français en collèges dans les Deux-Sèvres. Un blog de « jeunes lecteurs curieux », « Tulalu & Kilitou », réunit élèves de 6èmes et élèves de CM2 du secteur autour de lectures partagées et d’écritures variées. Les objectifs sont de stimuler la lecture en lui donnant un destinataire, d’améliorer la maîtrise de la langue, d’appréhender les règles et les enjeux d’une publication sur internet, de réduire les distances entre établissements de milieu rural. Dans cette interview à deux voix, les architectes de l’expérience témoignent de leurs démarches et livrent de précieux conseils pour qui serait tenté, à leur exemple, de construire des ponts et d’ouvrir des fenêtres.
Comment et pourquoi est né ce projet de collaboration CM2-6ème ?
D’abord une volonté personnelle de travailler ensemble, nous deux documentalistes dans deux collèges proches mais différents dans le recrutement, le fonctionnement,… Suite à une expérience de collaboration très agréable et riche l’année précédente : deux classes de 4èmes lancées dans un projet de lecture à voix haute de poèmes de Pablo Neruda, assistées d’un lecteur professionnel, et enregistrement à la radio locale pour clore le projet.
Puis une demande de la DSDEN et du conseiller pédagogique du secteur, comme c’est l’habitude dans les Deux-Sèvres : s’inscrire dans un « projet fédérateur » autour du conte, en liaison école collège. La DSDEN proposait les partenaires, lançait l’offre auprès des collègues du premier degré, et l’on bénéficiait d’un financement DSDEN-CG pour les interventions de professionnels notamment et la formation des enseignants. L’inscription dans ce projet nous a néanmoins contraintes à proposer le travail à deux classes, donc à deux collègues de chaque collège, associées à deux classes de primaire, ce qui s’est avéré lourd et au final assez peu concluant…
Le blog articule différents projets : pouvez-vous expliquer en quoi consiste et comment fonctionne celui des « lectures partagées » ?
Marie Butey-Laborel (collège de Saint Maixent l’Ecole) : « Lectures partagées » existe depuis 2009. Le projet est né d’une volonté de faire du lien entre le 1er et le second degré, au-delà la traditionnelle visite du collège par les cm2 en fin d’année, mais surtout d’un besoin de renforcer le lire, le dire et l’écrire chez des élèves en désamour avec leur propre langue, peu familiers du livre.
7 classes de cm2 et 7 classes de sixième, Segpa comprise, découvrent tout au long de l’année des textes variés (conte, BD, album, roman, nouvelle) préalablement choisis par les enseignants. Le blog devient alors un espace d’échanges entre écoliers et collégiens : avis, commentaires, devinettes, charades, coups de cœur sont validés par les enseignants de chaque classe avant publication. En fin d’année la fameuse visite se transforme en défi-lecture, au CDI.
Le blog accueille aussi un projet collaboratif autour des contes : comment le blog aide-t-il à l’appropriation du genre, voire aide-t-il à l’écriture ?
Les approches et ressentis ont été différents d’un collège à l’autre, c’est pourquoi nous apportons chacune notre réponse :
Anne De Bois (collège de La Crèche) : la connaissance du genre « conte » abordée en cours de Français a été réactivée grâce au blog lors du travail d’écriture notamment. Mais auparavant, les lectures communes de contes, et de contes détournés, les écoutes proposées au CDI ont permis aux élèves de retrouver et d’asseoir leur connaissance des contes « traditionnels ». Mme Quanarie, la conteuse qui est intervenue 3 heures dans chaque classe, a également incité les élèves à entrer dans l’écriture et a ainsi, réactivé le schéma narratif du conte et ses contraintes. Au moment de l’écriture de leur propre conte, en relation avec les élèves de primaire, les élèves ont été obligés de se souvenir de ce schéma pour élaborer leur scénario et éviter de partir n’importe où. Le blog en lui-même n’a sans doute pas été le lieu de cette appropriation, mais le fait de revenir sur les textes écrits, de compléter, a permis d’ajouter ou de retirer des éléments non pertinents.
Marie Butey-Laborel (collège de Saint Maixent l’Ecole) : de notre côté le blog n’a pas été l’espace idéal pour une écriture collaborative. La collaboration entre les élèves a bien eu lieu mais avec un papier et un crayon en séance commune au CDI. Il me semble que le blog est un outil interactif mais pas collaboratif ; il fonctionne bien sur le principe des « Lectures partagées » où l’on donne un avis, laisse un commentaire, pose une colle, et bien moins lorsqu’il s’agit d’écrire un récit. Les utilisations diffèrent, en primaire : « aller sur le blog » est une activité très encadrée qui arrive finalement en fin de projet, au collège les élèves y allaient ou n’y allaient pas et les collègues ne l’ont pas vraiment utilisé comme outil de médiation.
Comment se manifeste sur le blog l’interactivité entre les classes qui s’y investissent ? Quels en selon vous les intérêts ?
L’interactivité a été assez réduite de fait : les différentes classes n’ont pas travaillé au même rythme, et au moment où les élèves du collège de La Crèche ont posté leurs articles critiques sur les livres communs, peu d’autres les avaient lus. Inversement, à la fin de l’année, d’autres élèves ont posté des charades, rébus… mais nos élèves étaient engagés dans une démarche d’écriture et plus du tout en phase avec les lectures. C’est un paramètre que nous n’avions pas du tout envisagé. Comme dans de nombreux projets de blogs que je peux suivre par ailleurs, les élèves y vont peu en dehors des heures de cours et ne s’approprient pas vraiment l’outil comme un moyen de communication. Nous souhaitions que les réponses des autres puissent permettre d’élaborer des critiques plus construites : pour ma part cet aspect a été raté. Je souscris !
De manière générale, quelles satisfactions tirez-vous de cette expérience : pour les élèves ? pour vous-mêmes peut-être ?
Anne De Bois : Les élèves ont vraiment apprécié de lire le travail des primaires sur le blog, de retrouver leurs propres textes, de publier sur Internet et cet outil a permis que le projet puisse durer tout au long de l’année sans s’émousser, malgré les pauses. Il est d’ailleurs encore en cours puisque les contes seront « échangés » physiquement en fin d’année avec les CM2. Ce projet a permis une vraie rencontre avec les collègues de CM2, qui sont venus avec leurs élèves au collège pour travailler ! La classe de l’école d’à côté a même passé deux heures au collège pour bénéficier du matériel informatique du CDI. Et les rencontres physiques entre les élèves ont été ressenties comme nécessaires, ce qui a rendu la liaison CM2-6ème moins artificielle que lors de visites ponctuelles des CM2.
Marie Butey-Laborel : le projet « Conte et raconte » a permis à nos élèves d’aborder un point essentiel du conte, avec la venue de Mme Quannari , l’oralité. Situation initiale, élément perturbateur, résolution, ont eu un tout autre écho auprès de nos élèves car il s’agissait bien là de raconter. Le passage par l’oral permet souvent aux enfants en difficulté de renouer avec leur langue en retrouvant un peu de spontanéité. Comme Anne, j’ajouterai qu’ils prenaient plaisir à découvrir les écrits de leurs camarades. Si l’habitude de se rencontrer était déjà prise sur le secteur de Saint Maixent, le projet a permis de renforcer le travail collaboratif entre enseignants même si les binômes ont fonctionné inégalement. Et, finalement, l’ouverture du blog a d’autres projets que « Lectures partagées » a relancé son utilisation ; les collègues du 1er degré ont très envie, pour l’année 2013/2014, dans le cadre de « Lectures partagées » de mieux s’approprier cet espace.
Quels conseils donneriez-vous à des collègues tentés de se lancer dans une aventure similaire ?
Bien préparer le « calendrier » commun des activités, pour favoriser l’interactivité via le blog, tout en maintenant une certaine souplesse permettant à chacun, élève et enseignant, de prendre sa place dans le projet. Maintenir un vécu commun entre les classes impliquées : ici, la rencontre avec la conteuse et son approche de l’invention d’un conte, et une visite commune du « Nombril du Monde », lieu de contes par excellence ! Favoriser les rencontres entre classes assez proches, pour que la rencontre physique soit possible et régulière (au moins 3 fois dans l’année). Essentiel ! S’accorder tous ensemble sur les compétences visées et les consignes de travail : cela n’a pas toujours été le cas, et il est alors un peu compliqué de rattraper. Ne pas se forcer à rassembler beaucoup de classes, « par principe » : les échanges, dans le cadre du projet d’écriture, fédèrent 2 classes finalement.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Le blog Tulali & Kilitou :