Qu’ils aient porté sur les chambres à coucher, les figures maternelles, Robinson Crusoé, les madrigaux …, les sujets 2013 de l’épreuve anticipée de français ont souvent témoigné d’un bel effort des concepteurs pour proposer, dans un cadre contraint, avec des modalités de travail que certains jugent quelque peu datées voire inadaptées, des pistes intéressantes de réflexion, d’écriture, d’analyse. Ils sont d’une certaine façon le miroir des tensions d’une discipline qui se cherche entre tradition et modernité, imitation et innovation, objet scolaire et pratique vivante.
Au baccalauréat professionnel, les candidats devaient comparer deux textes forts différents l’un de l’autre par leur nature, un extrait d’un roman de Laurent Gaudé et une chanson de Jean-Jacques Goldman, mais reliés par un thème commun qui menait au travail d’écriture argumentative suivant : peut-on construire son identité en restant dans sa famille, dans son pays, ou est-il nécessaire de partir ?
Dans les séries technologiques, la poésie, à l’honneur pour la deuxième année consécutive, invitait plutôt les candidats à garder la chambre … Ceci à partir de textes de Théophile Gauthier (support du commentaire), Max Jacob, Joë Bousquet et Vincent Van Gogh. Un regroupement très thématique, d’où sans doute, pour la dissertation, une problématique quelque peu alambiquée et « hors sol », un sujet de réflexion qui ne paraît guère avoir un enjeu crucial, ni pour un adolescent d’aujourd’hui, ni même pour la poésie en général, qui a bien d’autres chats à fouetter : « la création poétique doit-elle s’inspirer du quotidien ou bien puiser sa source dans un univers totalement déconnecté du réel ? » C’est le cas de le dire… Le sujet d’invention se voulait plus créatif : composer un poème sur la chambre de Vincent Van Gogh, décrite et dessinée par lui dans un des documents. Situation d’écriture qu’on peut difficilement considérer comme possible, vraie, stimulante, surtout quand on la confronte au sujet 2012 qui en séries technologiques liait judicieusement poésie et adolescence. La poésie, la littérature en général, n’est-elle qu’un exercice de style ou peut-elle, y compris à l’école, être pratiquée et perçue comme vivante ? « Poète, celui qui habite totalement son être », écrivait Georges Perros. On en est loin.
En S et ES, c’était la fête des mères ! Les candidats ont été conviés à plancher autour du personnage de roman. Un corpus de trois textes de Colette, Steinbeck et Giono était support du travail, particulièrement cohérent sur le plan historique (le roman des années 30-40), thématique (trois évocations de figures maternelles), problématique (la transfiguration du personnage par le regard et l’écriture du narrateur), scolaire même (la question, fixée par l’objet d’étude au programme, de la construction du personnage comme instrument d’une vision de l’homme et du monde). Le commentaire portait sur un bel extrait d’Un roi sans divertissement, la dissertation invitait à s’interroger sur la nécessité pour le romancier de faire de ses personnages des êtres extraordinaires, l’écriture d’invention proposait de mettre en œuvre ce travail de sublimation littéraire en dressant « le portrait d’un être ordinaire qui, sous votre regard, prendra une dimension extraordinaire. » Un sujet de qualité, assurément, avec une remarque-bémol : l’abondance des notes de vocabulaire est le signe d’une certaine complexité et préciosité de l’écriture dans certains textes du corpus. Le sujet révèle alors peut-être une certaine représentation de la littérature (un travail savant avec les mots, chargés d’enjoliver le monde, plutôt là encore qu’une confrontation, brutale et dérangeante, avec le réel), conception que certains jugeront datée, élitiste, ornementaliste, que d’autres diront simplement adaptée aux programmes de français et aux épreuves du baccalauréat tels qu’ils sont conçus. Questions à nous posées en effet : la nature même du « commentaire » ne force-t-elle pas à choisir des textes « commentables », par leur longueur et leur style plus que par leur enjeu ? de manière plus large, en quoi le sujet donné, malgré ses indéniables qualités, révèle-t-il et/ou entretient-il une vitalité de la littérature pour les adolescents appelés à composer ?
Pendant ce temps, les littéraires robinsonnaient ! En L, les réécritures étaient en effet au menu à travers un corpus de textes de Daniel Defoe, Paul Valéry, Michel Tournier et Patrick Chamoiseau. La question demandait de réfléchir sur les fonctions de l’écriture pour le célèbre naufragé. Si le sujet traversait les époques, il accueillait avec bonheur la littérature contemporaine : le commentaire portait sur un extrait, beau, riche et dense, de L’Empreinte à Crusoé, paru en 2012. La dissertation, classique et traitable, interrogeait sur la création littéraire : est-elle toujours, d’une certaine manière, une réécriture ? Comme en S-ES et en séries technologiques, l’invention n’était pas de type argumentatif (elle le fut longtemps au bac), mais pleinement (re)créative : les 8 premières lignes des Histoires brisées de Valéry constituaient le canevas à partir duquel broder un récit pour s’approprier et faire revivre à sa façon le mythe de Robinson Crusoé. Sujet intéressant, donc : la question de la réécriture est devenue centrale dans la culture actuelle, les élèves pouvaient s’emparer des propositions pour témoigner, on l’espère, du plaisir des connaissances et compétences acquises. À la sortie des épreuves, certains littéraires interrogés exprimaient leur bonheur d’avoir composé : puissent les correcteurs le ressentir et le valoriser !
Les sujets de l’épreuve anticipée de français proposés il y a quelques jours en Amérique étaient eux aussi de facture classique (autour du théâtre pour les S-ES, de la poésie et des réécritures pour les L), mais avec une originalité. Si en L la forme des textes proposés dans le corpus était pour le moins traditionnelle (des madrigaux), celle de l’écriture d’invention se voulait résolument moderne : « Les poèmes du corpus ont tous été publiés sur un blog du lycée ouvert aux commentaires. Deux élèves réagissent en ligne. L’un assigne à la poésie d’autres missions que l’expression des sentiments, l’autre veut lui montrer l’intérêt de ces poèmes. Vous rédigerez le débat argumenté qui se construit au fil de leurs commentaires. »
Ciel ! l’EAF prenant enfin en compte l’existence d’internet et de situations d’écriture nouvelles ! Bac de français, encore un effort si vous voulez, des élèves et du monde, être contemporain …
Jean-Michel Le Baut
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