On demande souvent au système d’information de décider de choses humaines. Il est souvent pris comme exemple de pilotage par le haut. Or, si « on peut s’interroger sur les pilotages multiples en matière de système d’information, mais le niveau de l’établissement reste, qu’on le veuille ou non celui de la plus proche réalité de l’action éducative. En effet une fois la technique passée, il reste l’humain, or l’humain est d’abord local et c’est ce qui est le plus difficile à gérer. » C’est la nouvelle tribune de Bruno Devauchelle
Selon que l’on regarde l’information du coté de l’informatique ou du coté de l’humain, le système d’information, au sein d’une organisation est une prérogative d’un technicien ou d’un manager. Parce que les définitions sont différentes pour un même terme, la confusion qui règne facilite beaucoup les incompréhension, pouvoirs locaux et surtout les conflits entre ces deux visions. Cette chronique parle du système humain d’information, supportée par un système technique de gestion de l’information numérisée, mais pas exclusivement. Il est aussi dangereux de nier la dimension informatique (digitale) que d’écarter la dimension humaine (analogique). De plus il est absolument indispensable d’envisager aussi la communication « entre » qu’elle soit elle aussi technique ou humaine. Le système d’information de l’établissement est donc un ensemble de dispositifs qui articulés entre eux permettent aux acteurs des échanges (au sens humain du terme) variés et multiples d’informations (au seins numérique du terme). Ne pas articuler ces deux dimensions est un manque de vision globale et peut avoir d’importante conséquences pour l’organisation.
Les flux d’information au sein d’un établissement scolaire sont l’essentiel de la « marchandise » qui circule. Sur support analogique, numérique ou sans support, ces flux sont au coeur d’une activité dont l’essentiel repose sur l’idée de « transmission » d’abord, de « partage » ensuite, de « construction » enfin. Dans un établissement scolaire on peut résumer ces flux d’informations aux éléments qui circulent entre tous les acteurs impliqués, qu’ils soient internes ou externes à l’établissement. de la cours de récréation voire de la chambre de l’élève, au bureau du ministre de l’éducation, les informations circulent. Une analyse des flux circulants est éclairante pour repérer le fonctionnement global de l’établissement, et à l’échelle de la nation, éclairante pour percevoir le type de management informationnel qui est lié à l’activité « enseignement ».
Les flux d’information peuvent être découpés en cinq continents : les flux liés à la gestion/administration, ceux liés à la vie scolaire, ceux liés à l’information documentation, ceux liés à la communication interne et externe et ceux liés à l’activité enseignement. Longtemps séparés, voire étanche, ces flux s’entremêlent de plus en plus en ce moment. Si en 1990 la société IBM proposant dans son document sur l’école du futur une séparation radicale entre la gestion des informations organisationnelle et celle de l’activité enseignante, aujourd’hui les distinctions sont de moins en moins évidentes. L’arrivée des ENT, à partir de 2003 a signalé le démarrage de la convergence et de l’interopérabilité. Autrement dit ces cinq continents gagneraient, dans l’idée de certains à être mis en commun : l’information technique a fait alliance avec l’information humaine, en d’autres termes les managers ont passé un accord avec les responsables informatiques. Mais cela ne va pas de soi, sur le terrain car ils ont souvent oublié les usagers, les usages et surtout la culture des acteurs. Tenter d’imposer une gestion rationnelle (donc informatisée ?) des flux d’information ne signifie pas que les acteurs soient prêts à y adhérer.
Y a-t-il un pilote dans l’avion ? L’analyse de l’existant montre que dans de nombreux établissements, le système d’information est en grande partie subit. Dans certains cas il est compris. Et enfin dans d’autres cas, plus rares, il est agit, c’est à dire au moins orienté, à défaut d’être piloté. L’habileté des concepteurs des systèmes techniques c’est de laisser croire à la possibilité de pilotage, alors qu’ils laissent des marges d’action sur lesquelles, en réalité, ils ne peuvent rien faire… pour l’instant du moins. Car l’humain introduit de l’aléatoire, de l’inattendu, de l’incomplet, de l’improbable, de l' »à peu près » et que l’intelligence artificielle (ou nommée telle) à bien du mal à formaliser et automatiser cela. Lorsqu’un système technique d’information s’impose dans une organisation, il transforme, il formate un ensemble de flux d’information et transforme l’agir social : un exemple simple illustre cela aux frontières de l’école : les applications de type affelnet ou APB. Si l’on compare ce qui se passe actuellement avec les manières de faire il y a plus de dix ans, on ne peut que s’interroger sur les flux d’informations qui circulent, leur gestion. Ce qui est encore plus impressionnant dans ce cas précis, ce sont les algorithmes de traitement automatique… et leurs conséquences. On pourrait aborder de même les logiciels de conception d’emploi du temps, ou encore les logiciels d’évaluation des compétence (type LPC) etc…
La technicisation du système d’information de l’établissement suppose donc de la part de l’ensemble des acteurs d’une compréhension des intentions contenus dasn ces dispositifs et de la manière dont s’expriment ces « intentions embarquées », voire comment, techniquement, elles fonctionnent. Désormais la place de l’humain se situe en amont ou en aval du système technique lui-même. Autrement dit le numérique à « externalisé » (au sens employé par Michel Serres) un fonctionnement social d’interactions humaines et de régulation. Cette forme d’objectivation (qui n’en est pas réellement une en fait) semble garantir l’égalité de « traitement » par des procédures explicites qui freinent la subjectivité et l’arbitraire.
Certains acteurs transfèrent au numérique des responsabilités ou des arbitrages qui pourtant leur reviennent, comme dans l’élaboration des emplois du temps. Certains pensent même que les appréciations du bulletin scolaire pourraient être automatiquement générées à partir d’un algorithme savant qui prendrait en compte de multiples paramètres (coefficients ????). D’autres acteurs profitent de cette technicisation pour s’arroger de nouveaux pouvoirs, réels ou imaginaires, en s’appuyant sur ce qui est « sur écran » considéré alors comme « officiel ». D’autres enfin se désinvestissent de ces questions tant les blocages et complexifications des outils mis en place les éloignent de leurs pratiques habituelles. Par le fait il remettent en question le système d’information présent dans l’établissement scolaire.
Le système d’information est souvent perçu comme un pilotage par le haut. Qu’il soit managérial ou technique, il apporte dans sa structuration et ses fonctionnalités des contraintes qui souvent se heurtent à la culture des usagers : soit il nécessite un apprentissage lourd (la double peine d’un nouvel outil et d’une nouvelle pratique) soit il est très éloigné de la culture de l’usager, qui peut être habitué à un autre environnement numérique personnel ou qui peut ignorer totalement (mais cela disparaît progressivement) l’existence même d’un système d’information. L’observation des pratiques, en particulier des enseignants, montre de nombreux contournement du système d’information prescrit. De l’utilisation d’un matériel personnel à l’utilisation d’outils logiciels non installés dans l’établissement, ou encore l’utilisation d’autres vecteurs que ceux proposés par l’établissement pour réaliser les mêmes tâches. Ces attitudes sont des signaux à prendre en compte aussi bien pour l’évaluation des personnes que pour celle du système. le risque serait de les renvoyer dos à dos et d’éviter tout dialogue.
Le chef d’établissement, dans l’enseignement public, se trouve pris au centre d’échanges qui concernent aussi des structures externes à l’établissement (rectorat, collectivités territoriales, entreprises…) et sur lesquels il a peu, voire pas, de prise. Le chef d’établissement du privé sous contrat sera lui soumis à d’autres contraintes, en particulier économiques, mais aura plus de prise sur le système d’information. Malgré cela on ressent dans bien des lieux (de décision) des volontés centralisatrices en matière de système d’information qui font que l’échelon de décision est difficile à définir. Au final c’est dans l’établissement même que se jouent les conséquences réelles de ces décisions. On peut s’interroger sur les pilotages multiples en matière de système d’information, mais le niveau de l’établissement reste, qu’on le veuille ou non celui de la plus proche réalité de l’action éducative. En effet une fois la technique passée, il reste l’humain, or l’humain est d’abord local et c’est ce qui est le plus difficile à gérer.
Bruno Devauchelle