Enseignera-t-on un jour en géographie le syndrome de Kessler ? Ce scénario envisagé par un consultant de la Nasa commence à prendre forme au point d’inquiéter les ingénieurs de l’espace. Certes, la géographie académique n’enseigne pas l’astronomie, alors qu’il fut un temps, les globes célestes fascinaient les princes qui en commandaient aux artisans comme Louis XIV aux Coronelli. Vermeer a immortalisé cette passion pour un ciel qui n’était pas une demeure divine dans ce merveilleux Astronome du musée du Louvre. Et nos élèves ?
En ces temps où la science s’intéresse au monde par les risques, les chercheurs pourraient transmettre leurs savoirs sur les risques graves d’une pollution risquant de nous coûter très cher. Réunis fin avril 2013 à Darmstadt (Allemagne) sous l’égide de l’Agence spatiale européenne, les spécialistes des débris spatiaux semblent avoir été entendus. Après avoir été, d’après Le Monde (27 avril 2013) suspectés de vouloir freiner les lancements aux rendements si lucratifs dans l’espace…
Il semble admis désormais qu’il faut concevoir des objets spatiaux n’explosant pas durant leur fin de vie et retombant sans problème particulier sur Terre. La règle « des 25 ans » qui voyait les objets se désorbiter n’est pas totalement appliquée par des industriels qui rechignent à ces surcoûts. A Darmstadt, on a raconté l’histoire des Chinois voulant épater la galerie des grandes puissances en tirant sur un de leurs satellites, provoquant cette fameuse réaction en chaîne crainte par Kessler. Résultat : 3 000 débris qui ont fait beaucoup de dégâts. L’année suivant, une réplique américaine « propre », c’est-à-dire sur un satellite en orbite basse a permis de montrer qu’on pouvait faire tomber des débris et débarrasser la « banlieue » spatiale de la Terre.
Il a fallu l’accident entre un satellite de la constellation Iridium et un satellite russe Cosmos en 2009 pour rendre encore plus tangible le danger. Du fait de cette collision, 2 000 débris ont rejoint l’enveloppe déjà consistante d’objets, estimée à 170 millions de plus de 1 millimètre en orbite. A 5 ou 10 km/seconde, ce sont des bolides qui compromettent sérieusement l’action spatiale.
« Ces modèles convergent vers la nécessité d’aller chercher cinq à dix gros objets par an dès aujourd’hui pour pouvoir continuer à exploiter l’espace, note Christophe Bonnal, du CNES, interrogé par Le Monde. Si rien n’est fait, entre 2050 et 2100, l’orbite basse, en particulier entre 700 et 1 100 km d’altitude, la plus utile, ne sera plus accessible ».
Les experts ont modélisé la capacité de perte de mission sur des satellites aussi importants que Spot 5 sur orbite depuis onze ans : 5% ! De ce fait, le coût de production des satellites incorpore maintenant l’accident possible et les parades pour y échapper.
Pour procéder à « l’ébouage spatial », les agences et les industriels doivent mettre en œuvre des technologies pour cibler certains types de débris comme les satellites ou les étages de fusées. Depuis un an, l’ESA ne parvient pas à désorbiter le satellite Envisat installé en 2002. Huit tonnes errent à 800 kilomètres d’altitude et personne n’en a vraiment le contrôle. Les manœuvres d’évitement deviennent de plus en plus nombreuses.
La NASA suit plus de 16 000 débris spatiaux dont 88 satellites seulement sont d’origine européenne. La facture géopolitique est salée pour la Russie (un peu plus de 6200 débris), les Etats-Unis (près de 5000), la Chine (3700) et la France (près de 500).
Tout l’enjeu est aujourd’hui de transformer ce nettoyage spatial en le versant dans l’économie de marché qui permettra de trouver les financements ad hoc. En attendant, c’est la prime à l’innovation qui s’empare de l’ingénierie spatiale : faut-il des tirs laser ? Des chasses aux satellites par des engins armés de bras, de harpons ou de filets ? Des kits de désorbitation qui exporteraient les débris dans la haute atmosphère où ils se désintégreraient ? Pour cela, il faut que les juristes trouvent à qui appartiennent ces débris spatiaux. Et ensuite, déterminer qui doit payer : les Etats, les usagers, les agences ? La taxe pollueur- payeur peut-elle s’appliquer ?
Une manière de faire une géographie qui montrerait le coût environnemental des nouvelles technologies possédées par les élèves..
Gilles Fumey est professeur de géographie culturelle à l’université Paris-Sorbonne et à l’IUFM de Paris. Il a animé les Cafés géographiques jusqu’en 2010. Il est le rédacteur en chef de la revue La Géographie.