Interroger les élèves sur leurs apprentissages est une des activités les plus signifiantes du métier d’enseignant A l’oral, à l’écrit, pour simple vérification, pour contrôle des connaissances noté, pour certifier ou diplômer. Si cette activité est ressentie comme importante, elle aussi parfois perçue comme une corvée : élaborer un dispositif d’interrogation, le mettre en oeuvre et le corriger sont parfois présentés comme étant le plus pénible du métier, selon la forme prise par l’interrogation. Il est donc légitime de se demander si le numérique ne pourrait pas simplifier ce travail, voire l’automatiser. Au moment où les ENT semblent être en passe de se généraliser, on peut penser qu’interroger les élèves serait un des volets de cet outil.
Mais au fait pourquoi parler d’interroger et non pas de noter, d’évaluer, de contrôler, de mesurer…? Parce que l’expression restreint la question à une activité centrale dans l’activité de l’enseignant, mais finalement peut codifiée, et surtout qu’elle traduit une action que l’on voit souvent proposée par des outils logiciels anciens et nouveaux. Mais si l’on compare la multiplicité des pratiques d’interrogations en classe et celles proposées par ces outils, on est souvent amené à constater que le numérique n’est pas très novateur dans le domaine. Vieux comme l’informatique scolaire, l’exerciseur, vit toujours une belle vie. Tout logiciel qui entend servir à l’enseignement se doit d’en avoir un. Car au delà de ces exercices, il est quasiment impossible d’automatiser réellement l’interrogation, et surtout la gestion des réponses à ces interrogations de manière plus ou moins automatique.
Questionnaires à choix multiples, appariements, tris, classements, exercices à trous, etc… sont des types d’activités quasi ancestrales, aussi bien dans l’enseignement que dans les milieux qui ont besoin d’interroger rapidement des personnes ou des groupes de personnes. Si on appelle cela pompeusement évaluation, il s’agit le plus souvent d’une simple activité « industrielle » et « économique » de vérification ou d’obtention d’informations. Avec le numérique c’est la même chose, de 1980 à aujourd’hui on retrouve toujours ces fameux exercices d’interrogation. Ce n’est pas en soi un problème, sauf quand on fait passer cela comme une innovation pédagogique. Le fameux « Bled » à l’instar de ses concurrents a montré le chemin depuis longtemps, il n’y a donc aucune raison que l’on ne continue pas et l’outil informatique fournit une plateforme qui permet d' »automatiser ».
Les vendeurs de TBI/TNI dépités par le faible degré d’interactivité de leur produit du coté des élèves ont même développé une offre de « boitiers » de réponse aux interrogations de l’enseignant. Enfin le cours deviendrait interactif, puisque un dialogue par exercices automatiques interposés peut-être mené en classe. Mais là on augmente l’interactivité machinique à défaut d’améliorer la procédure d’interrogation. Car la question est aussi de savoir ce que l’on peut faire de ces résultats obtenus avec les machines et leurs logiciels. Un certain nombre de logiciels pour l’enseignement à distance (type LMS) offrent une gestion complète : banque d’exercices (questions), dispositifs de passation, intégration dans des parcours pédagogiques, et surtout compte rendu des notes obtenues (enrichi d’autres informations éventuellement) autrement dit la gestion complète de la chaine d’interrogation.
Ce qui est très surprenant dans l’évolution du numérique en éducation c’est que celui-ci a tendance à embarquer, à chaque fois, de manière récurrente au travers du temps, le modèle skinnerrien et comportementaliste de l’interrogation et de l’interactivité. Si vous considérez les logiciels de portfolio ou de gestion des compétences, ils ne parviennent pas à l’automatisation complète de la chaîne d’interrogation. Certes, comme les logiciels de notes, les logiciels de suivi des compétences n’ont pas réussi à étendre leur action en amont, au moment de la conception, la réalisation et le suivi (en termes de correction) de l’interrogation de l’élève. Les dernières évolutions du modèle de l’exerciseur ont amené à un nouveau discours, devant les limites de ce type d’interrogation en termes qualitatifs : ce type d’activité est surtout formative ou auto-évaluative.
Des travaux anciens ont pourtant montré que l’on pouvait envisager des outils d’automatisation « intelligents« . Mais alors la conception par l’enseignant des contenus d’interrogation est tellement sophistiquée qu’il demande une grande compétence et prend du temps. Voyant cela, certains concepteurs de logiciels ont poussé la sophistication de leur produit vers l’automatisation des exercices : fournissez un texte, il vous donnera les exercices prêts à être passés. Mais là, la simplification est extrême et l’on perd le sens même (la maîtrise du sens) de l’interrogation.
Le monde scolaire est pourtant assez attiré par ces produits, même s’il les utilise finalement assez peu. Il préfère souvent interroger plus finement les élèves dans une interaction humaine plus traditionnelle. Pourquoi alors que chacun connait les limites de ces modes d’interrogation sont-ils présents sur la plupart des produits qui s’intéressent à l’enseignement. Récemment un concepteur d’ENT pour le primaire était content d’évoquer la future présence d’un tel outil de conception dans son offre. Or pour ceux qui ont connu les logiciels auteurs des années 1980, il y avait déjà de tels outils. Il est probable que la présence de ce type d’outils tient au fait qu’ils sont les seuls « automatisables » dans la chaîne d’enseignement aidé par le numérique. Dans une vision quantitative des apprentissages, cela suffit probablement au décideur, même si le pédagogue a vite fait de repérer les limites de ce produit. Car finalement la qualité d’une interrogation repose sur quelque chose que la machine ne sait pas faire et qui ressemble au pari ancien de faire une machine qui soit capable de questionner comme un humain, mais surtout aussi de traiter les réponses… comme un humain. Et là on est loin du compte…
Bruno Devauchelle
Les chroniques de B. Devauchelle