Changer le travail en équipe par le choix du multi-âge.
Yves Scanu enseigne à St Etienne, il dirige une école qui a été école d’application avant que son équipe ne soit « remerciée de ses bons et loyaux services de formateurs en mai dernier ». Il revient avec nous sur son parcours, fondateur aussi hors l’éducation nationale en ce qu’elle lui a appris à travailler en équipe, jusqu’au choix de composer dans son école exclusivement des classes multi-âges. Il vient présenter cette expérience à Nantes, l’un de ses vœux les plus chers est d’entrer en contact avec d’autres collègues qui partagent aussi cette expérience du multi-âge.
Pouvez-vous nous décrire rapidement votre parcours, le choix (ou pas) de vous établir en zep, et le choix d’enseigner en maternelle et puisque votre projet est très lié à l’équipe qui le porte faites-nous les présentations ! :
Je suis enseignant depuis septembre 1993 ; j’ai enseigné uniquement en zone d’éducation prioritaire : quelques années en cycle 3 et depuis 1997 en école maternelle. Une première année en tant qu’adjoint à l’école maternelle GOUNOD puis j’en suis devenu le directeur. J’ai travaillé dans toutes les sections de l’école maternelle (de la toute petite section à la grande section).
En 2006, notre école a été transformée en école d’application ,et nous avons été remerciés de nos bons et loyaux services de formateurs à la carte scolaire de mai dernier. Avant d’être enseignant, j’ai travaillé dans l’éducation spécialisée, l’animation et j’ai également été infirmier de secteur psychiatrique. Il me semble important de signaler ce parcours hors éducation nationale car c’est dans ces expériences là que j’ai appris à travailler en équipe. D’ailleurs, l’un des chocs importants de mon intégration dans l’éducation nationale a été la solitude de l’enseignant seul face à sa classe. Je ne peux m’empêcher également de présenter mes collègues qui ont participé à l’élaboration de ce projet. Tout d’abord Jean-Marc : nous avons été mutés tous les deux la même année à l’école maternelle Gounod. Tous les deux étions victimes d’une fermeture de classe, tous les deux exercions en cycle trois et notre arrivée en école maternelle n’était qu’un choix par défaut.
Notre première année commune, dans cette école où toute l’équipe éducative se renouvelait a été le fondement de l’équipe que nous constituons aujourd’hui. En effet, à l’issue de cette année, bien que l’un et l’autre nous étions plutôt attirés par l’école élémentaire, nous avons alors choisi de nous installer ensemble dans cette école maternelle pour poursuivre le travail commun déjà engagé. L’année suivante ce fut l’arrivée de Ghislaine. Elle quittait un cours préparatoire et venait à l’école maternelle avec l’ambition de mieux préparer les élèves à l’école élémentaire (au vu de ce qu’elle avait vécu jusque là en temps qu’enseignante de cours préparatoire). Un point de détail l’a beaucoup frappée lors de son arrivée : on ne lui a pas attribué la classe que personne ne désirait comme le veut « la tradition ». Cela a été pour elle un signe fort. Il y eut, bien plus tard, l’arrivée de Nadine et Sylvie à qui nous avons présenté ce projet de classes multi-âges et auxquelles elles ont pleinement adhéré malgré la précarité des postes qu’elles occupaient. Ce fut ensuite au tour de Sandrine de rejoindre l’équipe. Le contexte de son arrivée fut très difficile. Bien qu’ayant fait le choix de notre école par adhésion au projet, elle arrivait dans une équipe meurtrie par le départ contraint de deux collègues. Malgré ce début compliqué, Sandrine est aujourd’hui le catalyseur de l’équipe, celle qui amène du « sang neuf ». Pour finir, Delphine la dernière arrivée à très rapidement adhéré à notre projet, elle fait partie à part entière de l’équipe pédagogique.
Sur le projet retenu, cette question du choix du multi-âge qui bouleverse le travail en équipe, pouvez-vous nous préciser la situation, le moment décisif, l’expérience de classe qui vous a conduit à faire ce choix :
Travailler en équipe cela a été la réalité de mes premières expériences professionnelles.
J’ai essayé de la transposer dans le monde de l’école quand j’ai obtenu une direction d’école.
Le choix du fonctionnement en classes multi-âges a eu pour point de départ la gestion d’une classe particulièrement difficile. En effet, cette classe de moyenne section rassemblait des enfants pas plus turbulents et plus instables que dans les autres classes mais l’ambiance était en permanence explosive comme si il se créait une alchimie détonante entre les différentes personnalités de cette classe. L’impact de ce fonctionnement sur le travail en équipe nous ne l’avions pas anticipé mais il s’est révélé à nous dès la mise en place du projet. Cela était pourtant prévisible, pour travailler en équipe, il faut partager des objets de travail communs. Jusque-là, nous n’avions que mené en commun quelques projets transversaux au niveau des différentes classes. Nous avions également décidé, tous les 3 ou 4 ans, de tourner sur les différents niveaux de l’école. Lors de ces rotations, les échanges étaient particulièrement riches dans la mesure où chacun transmettait tout son travail de préparation, ses programmations et la totalité de ses outils aux collègues. Tout ceci pour dire que notre équipe avait déjà des pratiques d’échanges et de mutualisation auxquelles elle tenait.
Depuis la mise en place de notre nouvelle organisation, qui nous conduit à prendre en charge chacun une classe identique regroupant les enfants des quatre niveaux de l’école maternelle, le travail en équipe a pris une toute nouvelle dimension. À présent, nous sommes interdépendants les uns des autres dans la mesure où nous avons les mêmes classes auxquelles nous proposons les mêmes situations qui sont construites par l’un d’entre nous mais à destination de tous. Mais pour arriver à mettre en œuvre des situations élaborées par un collègue, nous avons d’abord pris beaucoup de temps à construire tous ensemble chacune des situations proposées aux élèves. Cette période a été longue mais nous a permis de confronter nos options et partis-pris pédagogiques,. Parfois les échanges étaient assez durs mais ils nous ont permis de construire quelque chose qui pourrait ressembler à une politique d’école. Ce premier temps d’élaboration commun a été perturbé par les aléas administratifs de mutation des personnels qui ont fait que chaque année, depuis trois ans, l’équipe s’est modifiée. À présent, nous sommes passés à une autre étape où nous questionnons cette nouvelle organisation pour pouvoir apporter des réponses à certains fonctionnements qui ne nous satisfont pas dont je parlerai plus loin.
On voit bien ici les mutations dans votre façons de travailler, vous pouvez nous en dire plus ?
Ce projet a fondamentalement changé nos façons de travailler. Tous nos outils sont communs, d’ailleurs notre inspecteur ne trouve plus dans notre classe « notre classeur » avec nos préparations et nos programmations : il n’y en a qu’un pour les quatre classes et il se trouve dans la salle des maîtres. L’impact sur les nouveaux collègues arrivant dans l’école est énorme dans la mesure où nous proposons à chacun d’adhérer au projet et donc d’accepter de ne pas décider intégralement de ce qui se passera dans sa classe. Nous avons eu la chance ces dernières années d’accueillir des collègues ouverts qui ont accepté d’adopter ce projet qu’ils n’avaient pas choisi mais qui leur a paru intéressant Ce nouveau fonctionnement représente pour nous une plus-value importante car les différentes situations expérimentées dans chacune de nos quatre classes sont en cours d’exécution, revisitées à quatre et ainsi nous avons la conviction d’apporter des réajustements plus pertinents et plus adaptés.
On voit bien, d’autant plus du fait de l’évolution de votre équipe que vous avez du procéder à des réajustements, quels sont les obstacles que vous avez perçus et quels bénéfices tirez-vous de cette expérience ?
Ce projet a nécessité d’expliciter mutuellement nos choix pédagogiques. Au fur et à mesure des débats et des échanges, nous avons élaboré une stratégie d’école qui rassemble des projets réellement construits en commun, d’autres situations qui ont été adoptées par tous au prix de quelques concessions. Notre grande connivence pédagogique nous permet sans doute ce travail-là. Je l’ai rapidement évoqué plus haut, le mode de fonctionnement que nous avons adopté, s’il est commun en milieu rural, est rarissime lorsque que la possibilité d’une répartition par classe est possible.
Je crois que travailler réellement en équipe donne le droit à l’erreur. Je m’explique : seul dans sa classe avec cette responsabilité écrasante qui pèse sur nos épaules, faire réussir tous nos élèves, nous n’avons que le choix au « sans-faute ». Quand la responsabilité est partagée et que nous pouvons échanger sur nos difficultés on s’aperçoit alors que l’on n’est pas seul face à elles, que nos collègues en rencontrent de similaires, il devient beaucoup plus facile de les formuler.
Ensuite, résoudre des problèmes en équipe est un vrai gage d’efficacité. Malgré tous ces points positifs et les progrès que nous pensons avoir réalisés, nous regrettons que les diverses demandes d’accompagnement que nous avons formulées soient restées sans réponse. Un regard extérieur me semble absolument essentiel pour nous aider à pointer nos dysfonctionnements et améliorer nos pratiques et le dispositif mis en place.
Pour finir, bien que je l’ai déjà évoqué plus haut, un des obstacles importants à la mise en œuvre de ce projet fut d’obtenir l’adhésion des parents ou tout au moins d’éviter qu’ils ne deviennent des opposants au projet. Ce qui signifie engager un travail conséquent avec les parents pour gagner leur confiance tout en les gardant investis dans la vie de l’école. En effet, leur inquiétude était que la gestion des quatre niveaux de classes soit trop complexe pour permettre une réelle prise en compte de chacune des tranches d’âge.
Ce projet évolue au cours du temps ? Quelles suites comptez-vous lui donner ou quels prolongement dans votre activité ?
Au travers des diverses demandes d’accompagnement que nous avons formulées, il y avait, au niveau de l’ensemble de l’équipe, à la fois le besoin d’avoir un regard extérieur mais également la perspective de construire une évaluation sérieuse de notre expérience. Cette demande nous la maintenons, nous avons d’ailleurs réclamé une rencontre avec notre directeur académique pour faire le point sur ce projet.
Que constatez-vous des bénéfices de ce projet sur l’implication des enfants, des parents, du point de vue des enfants les plus jeunes, mais aussi pour les plus âgés, on peut parfois penser que pour eux, d’être ainsi responsabilisés alors que ce ne sont encore que de jeunes enfants, ce soit un peu difficile à porter… ?
L’impact sur les élèves de petite section est dans l’état actuel de notre travail celui qui est le plus flagrant. En effet, autant sur le plan du langage que celui de l’autonomie dans la classe, il semblerait que le fait de responsabiliser les petits change profondément leur comportement. La posture des grands, souvent protectrice vis-à-vis des petits, a le double effet de les responsabiliser et de les faire grandir mais aussi de prendre du recul sur leur propre apprentissage. Sur la question de l’intérêt pour les élèves de grande section votre question n’est en rien provocante car l’équipe se la pose fortement en ce moment. Notre organisation permet un travail rapproché avec les GS en début d’après-midi dans la mesure où tous les autres élèves bénéficient d’un temps de repos ce qui nous permet de libérer 3 enseignants pour les GS, le quatrième intervenant auprès des élèves du CP en co-intervention avec leur enseignant. L’autre piste que Sylvain Connac met fortement en avant est le bénéfice que les plus grand peuvent tirer pour eux même de leur action en tant que tuteur. Sur ce point là nous n’avons pas trouver de dispositif concluant. J’ai personnellement la conviction qu’il en existe, bien que suite à une inspection, notre inspectrice nous a dit douter que nos jeunes élèves puissent être en capacité de pouvoir être des tuteurs.
Nos demandes d’accompagnement avaient aussi pour objet de nous aider à trouver des dispositifs de tutorat efficients. Au niveau de notre relation aux parents d’élèves (très inquiets quand nous avons évoqué la perspective de cette nouvelle organisation), il a fallu multiplier les temps d’échanges pour expliciter et répondre aux multiples interrogations, mais la démarche a été payante car suite au travail mené depuis de nombreuses années, les familles nous ont apporté leur confiance.
Un petit mot de votre motivation à inscrire votre projet au forum de Nantes ?
Si je fouille au fond de moi-même, il y a sûrement un besoin de reconnaissance
que l’institution ne nous accorde pas, il y a aussi le plaisir intellectuel de rencontrer d’autres collègues et de parler d’école et pour finir faire connaître notre expérience et peut-être ainsi pouvoir
entrer en communication avec des collègues qui mènent des projets proches.
Propos recueillis par Lucie Gillet