Le réseau Ophris, rassemblant des chercheurs issus de différentes universités et institutions, se mobilise sur la question de l’école inclusive. Il ouvre ce 19 mars, à l’Ifé-ENS, à Lyon, le 5ème colloque international école et handicap « Quels savoirs professionnels pour des pratiques inclusives ? Effets des contrats et systèmes sémiotiques ». Serge Thomazet, enseignant chercheur à l’université de Clermont Ferrand, en montre les enjeux. Pour lui, » la mise en œuvre de l’école inclusive nécessite des adaptations structurelles, mais aussi organisationnelles et pédagogiques. L’école inclusive n’est donc pas de l’ « intégration poussée », elle conduit à une transformation en profondeur de l’école ».
Pour vous quels sont les objectifs de ce colloque ?
Le réseau OPHRIS est constitué par des chercheurs qui s’intéressent à la scolarisation des élèves en situation de handicap du point de vue des savoirs, des pratiques et des disciplines scolaires. Cette année, le thème du colloque organisé notamment par Teresa Assude et Jean Michel Perez est « l’accessibilité des savoirs ». Ce thème correspond parfaitement aux enjeux actuels que Jean François Chossy résumait dans son rapport de 2011 avec la formule « passer de la prise en charge à la prise en compte ».
Quel est votre propre objet de travail ?
Avec Corinne Mérini du laboratoire ACTé (université Blaise Pascal), nous menons une série d’études sur les liens entre « partenariat » et « école inclusive ». Le partenariat et l’école inclusive sont deux champs de recherche importants mais relativement disjoints alors que le partenariat nous semble un outil majeur de la construction de l’école inclusive. Nous avons donc entrepris une série d’études « au croisement » des deux champs. Nous menons une recherche sur la manière dont les politiques publiques évoquent le travail collaboratif. Une autre a été menée sur « le maître E dans ses rôles de partenaires »(en réponse à une demande de la Fédération Nationale des Maîtres E). Et dernièrement nous avons entrepris une étude sur l’activité collaborative des néo-titulaires.
Quels contenus allez-vous développer lors de l’atelier que vous animez avec Corinne Mérini ?
Nous présenterons les premiers résultats de notre étude sur l’activité collaborative d’enseignants néo titulaires. Nous avons pu mettre en évidence que les activités collaboratives sont souvent « cachées », les néotitulaires ne les évoquent pas spontanément, alors qu’elles constituent un pan important de l’activité des enseignants : rencontrer les parents, discuter de situations difficiles en récréation, etc. Il s’agit d’un aspect du métier, mal reconnu car il n’est pas de l’enseignement et il est souvent informel. En analysant l’activité des néotitulaires, nous avons aussi pris conscience des compétences nécessaires pour passer de dispositifs collaboratifs « basiques » comme celui qui consiste à « confier » à l’enseignant spécialisé certains élèves pour des séances d’aide à un véritable partenariat. Cette compétence partenariale devrait évidemment pouvoir être travaillée en formation initiale et continue. Dans le cadre de ce projet de recherche nous élaborons un outil de formation qui devrait aider les enseignants comme les formateurs.
Vous avez récemment écrit un texte fort avec le directeur de l’association de parents Trisomie France que le Café a publié. C’est presque un manifeste.
« Pas plus qu’il viendrait à l’idée d’obliger un enfant sur fauteuil roulant à monter un escalier, il n’est possible de demander à un enfant présentant un handicap mental de recevoir un enseignement qui n’est pas adapté à ses besoins. L’école que nous appelons de nos vœux doit être accessible à tous. »
Quelles sont vos croyances en matière d’école inclusive ?
L’école inclusive est avant tout un principe, celui de l’accès à l’école ordinaire pour tous les élèves, quels que soient leurs besoins. La mise en œuvre de l’école inclusive nécessite des adaptations structurelles, mais aussi organisationnelles et pédagogiques. L’école inclusive n’est donc pas de l’ « intégration poussée », elle conduit à une transformation en profondeur de l’école. Notre crainte, c’est que la réforme en cours ne permette pas de mettre en œuvre les évolutions nécessaires à la réussite de tous les élèves, ceux en situations de handicap bien sûr, mais aussi ceux, beaucoup plus nombreux, en grande difficulté scolaire. C’est pour tous ces élèves dits « à besoins éducatifs particuliers » que l’école doit se transformer de l’intérieur, en repensant les rythmes scolaires, l’organisation des classes, le fonctionnement en groupes de besoins, etc.
Comment rendre les savoirs accessibles à tous les élèves ?
Redoutable question… Pour les élèves présentant un handicap sensoriel ou moteur, sans troubles associés l’accessibilité des établissements et des classes est déjà largement chose faite dans le cadre d’un parcours en intégration. Quand l’école devient accessible, les savoirs le deviennent. Le problème auquel l’école ordinaire est confrontée et qui justifie la mise en place de l’école inclusive, est la scolarisation des élèves présentant des troubles des fonctions cognitives, ou un handicap mental. L’accueil de ces élèves nécessite un double processus : d’un part repenser les enseignements pour répondre aux besoins de ces élèves et, d’autre part, mettre en place les adaptations nécessaires dans un cadre ordinaire. Les enseignants ne peuvent pas répondre à cette demande dans les cadres actuels. De mon point de vue, une classe ne peut être inclusive, c’est l’établissement au complet qui doit le devenir en adoptant une organisation qui permette de répondre à des besoins diversifiés et en accueillant des professionnels aux compétences complémentaires.
Avec quels partenariats ?
La fonction d’enseignant spécialisée doit être maintenue, avec des missions repensées au niveau de l’établissement scolaire. Nous avons besoins de professionnels spécialisés pour aider tous les enseignants à évaluer les besoins des élèves et trouver des réponses pédagogiques à la fois adaptées et que l’on peut mettre en place en milieu ordinaire. L’appui sur le secteur médico-social est aussi fondamental. Nous avons besoin des professionnels du soin et de l’éducation spécialisée pour l’accompagnement en milieu ordinaire des élèves à besoins particuliers. Jusqu’à présent le monde de l’école et le secteur médico-social cohabitaient, le rapprochement est nécessaire. Le rapport de Jean Yves Hocquet nous incite à aller dans ce sens. Le partenariat est tout aussi nécessaire avec les familles, le projet personnalisé de scolarisation n’est qu’une composante du projet de vie et l’ensemble doit être travaillé en cohérence.
Et les AVS ?
Un gros chantier est en cours pour faire des métiers de l’accompagnement de vrais métiers. Nous avons besoins d’AVS pour accompagner certains élèves dans des tâches matérielles ou techniques. Mais ne nous leurrons pas, les adaptations de la scolarité des élèves à besoins particuliers ne peuvent pas se limiter à des dispositifs « ajoutés », sans changer le fonctionnement ordinaire des établissements.
Propos recueillis par Isabelle Lardon