L’Assemblée nationale a terminé samedi 16 mars l’examen de la loi de refondation. Au terme d’un marathon épuisant, les députés ont très peu modifié le texte gouvernemental. Ces petites victoires renouvelées de Vincent Peillon aboutissent à un texte qui va lui laisser les mains largement libres pour prendre les décrets et les circulaires qu’il a en tête. L’Assemblée adoptera le 19 mars le texte maintenant défini par ses travaux.
« Je remercie l’ensemble des députés, sur tous les bancs de cette assemblée : vous avez contribué à la refondation de l’école de la République. Vous l’avez fait en permanence avec votre cœur et votre intelligence. Si vous y avez consacré tant de temps, c’est que cette école est la vôtre. J’ai senti dans cet hémicycle, quels qu’aient été les débats, toujours de bonne qualité, que l’école de la République peut nous rassembler et nous permettre de nous dépasser pour une cause plus grande que chacun d’entre nous ». Certes seuls les députés socialistes et écologistes applaudissent ces derniers mots du ministre. Et jusqu’au petit matin du 16 mars l’opposition aura contesté l’idée même de la « refondation ». Mais V Peillon aura su batailler sans écraser l’opposition. Il aura réussi aussi à résister aux différents courants de la majorité sans frustrer.
Les ténors de l’Assemblée
Ce résultat il le doit beaucoup à son talent personnel du débat même aux petites heures du matin. Le ministre est toujours là et il sait montrer de la considération aux uns et aux autres, même au delà de son camp. Il a une grosse dette aussi envers Yves Durand, rapporteur de la loi. Assez cassant en commission quand il refusait d’y expliquer ses décisions; le rapporteur de la loi a appris à faire patte douce dans l’Assemblée pour mieux garder le cap. Jusqu’à la fin il soutient les options gouvernementales même quand il se dit défavorable à un amendement gouvernemental comme rapporteur de la loi tout en votant l’amendement comme député…
Dans l’opposition, deux députés alsaciens sortent du lot. Tous deux ont aidé B Apparu dans les premiers jours et l’ont remplacé dans les derniers. Frédéric Reiss, ancien professeur de mathématiques, a déjà dix années d’exercice à l’Assemblée. Plus remarquable est la prestation d’un petit nouveau, Patrick Hetzel. Ancien recteur et conseiller éducation de F Fillon, il a bataillé jusqu’au bout contre la loi Peillon. Ainsi sur les Espe où il bataille jusqu’au bout pour que les universitaires ne soient pas contraints de passer par les Espe et de suivre une formation continue. On voit l’un et l’autre relever chaque incohérence dans l’attitude de la majorité, souligner ses divergences, défendre leur conception de l’Ecole et multiplier les interruptions de séance pour des rappels au règlement. Après avoir joué longtemps l’obstruction au point de consacrer trois journées à la seule acceptation du premier article, ils ont joué le jeu du débat et permis le respect du calendrier parlementaire.
Résister à sa majorité
Mais le grand exploit de V Peillon et d’Y Durand c’est d’avoir su résister à leur majorité. On l’ a vu par exemple dans le débat sur les langues régionales. Vivement critiquées par la chevénementiste M-F. Bechtel, qui veut « un usage modéré et maîtrisé des langues régionales », Vincent Peillon et Yves Durand font passer une rédaction qui rend le texte constitutionnel (« les professeurs peuvent recourir » aux langues régionales « après accord des représentants légaux des élèves ») et qui satisfait les députés alsaciens, fort attachés aux avantages accordés à l’alsacien et à l’allemand dans l’éducation nationale. Ceux-ci sauront retirer un amendement et éviter un clash sur la morale civique, sujet cher à Vincent Peillon. De la même façon ils savent contrer les ambitions des députés écologistes Pompili et Attard, par exemple sur l’exception pédagogique ou sur la notation. Ils bloquent aussi en douceur les pressions de Mathieu Hanotin pour l’éducation prioritaire ou de S Mazetier sur l’école maternelle.
Dernière victoire personnelle de Vincent Peillon, il a bénéficié jusqu’au bout du soutien des autres membres du gouvernement. Trois autres ministres ont fait le déplacement dans l’Assemblée pour défendre son texte. George Pau-Langevin a pu remplacer V Peillon sur certaines questions. Geneviève Fioraso est largement intervenue pour défendre les ESPE. Aurélie Filipetti est venue défendre le parcours d’éducation artistique et culturel et afficher une complicité avec l’éducation nationale sans aucun doute plus présente à l’Assemblée que sur le terrain… V Peillon retombe là aussi sur ses pattes. » Jules Ferry voulait une éducation libérale. Cela signifiait que tous les enfants, quel que soit leur milieu d’origine, devaient pouvoir accéder à ce qu’on appelait à l’époque les arts libéraux, c’est-à-dire le meilleur de la culture. Nous devons être capables, et c’est la mission de l’éducation nationale, d’enseigner à chacun la lecture – lire c’est penser –, l’écriture et les apprentissages fondamentaux. Mais nous devons toujours veiller à ce que tous les enfants de France aient accès au meilleur de notre patrimoine. Nous promouvons une définition de l’homme complet : sensibilité, esthétique et intelligence ».
Savoir présenter comme traditionnelle et équilibrée une loi « de refondation » de l’Ecole n’est pas le plus mince des exploits de Vincent Peillon. Au final, la loi fixe des grands caps. Elle lui laisse une large opportunité de réaliser les décrets et les textes réglementaires de son choix. L’opposition parle de transfert de pouvoirs au gouvernement. De fait, en écartant toute rédaction contraignante pour lui, le ministre a la possibilité de faire passer ses convictions.
François Jarraud