Les Français peuvent-ils se rassembler sur l’Ecole ? Comment changer l’Ecole s’il n’y a pas unanimité pour ce changement ? On a tourné autour de ces deux questions le 11 mars lors de la première journée de débat à l’Assemblée nationale sur la loi Peillon. Le ministre de l’éducation nationale a lancé un vibrant appel au rassemblement avant de lancer des flèches à son prédécesseur. C’est Benoist Apparu, député UMP, qui a offert l’autre grand moment de la journée avec une critique acide de la loi. Surtout son discours a obligé la majorité à sortir du bois et à annoncer déjà l’étape suivante de l’après loi : oui on est bien parti pour une « révolution pédagogique ».
La compétitivité en premier
Première surprise de la journée : Vincent Peillon n’inscrit pas d’emblée sa loi sous les auspices des pères fondateurs, ce sera pour plus tard. Il met d’abord en avant la recherche de compétitivité nécessaire au pays. La réforme de l’Ecole est d’abord la solution pour sortir le pays de ses difficultés économiques et du scepticisme. « Les mêmes défis sont devant nous depuis des années : le défi de la croissance, celui de la compétitivité, celui de l’emploi, celui de la cohésion sociale et territoriale de notre pays, et celui de la justice. Aucun de ces défis ne pourra être relevé avec succès si nous ne sommes pas capables de redonner à notre école la fierté et l’efficacité qui furent les siennes au cours de notre histoire, lorsqu’elle a assuré les plus belles réussites de notre nation…. C’est de l’école, de notre rapport au savoir, à la connaissance, à la transmission de valeurs, que nous devons attendre la capacité de surmonter cette crise d’avenir, cette crise d’identité.
».
Parce que les valeurs c’est le thème privilégié de V Peillon. Il mobilise les fondateurs de la République, affirme qu’il y a toujours eu un lien étroit entre la République et l’Ecole (une affirmation un peu aventurée en ce qui concerne la 1ère et la 2de République) et fait de l’Ecole la base de tout redressement et de toutes les autres réformes du gouvernement.
Les trois bases de la refondation
V Peillon rappelle que « les performances scolaires de nos élèves se détériorent année après année » et en présente les causes. « Nous n’accordons pas la priorité au primaire, nous ne formons pas nos enseignants, nous ne donnons pas de temps aux enfants pour apprendre ». Voilà présentée rapidement une loi « qui n’est pas peu de chose » : le ministre rappelle les 60 000 postes, la formation des enseignants, le conseil pédagogique école collège, le service public du numérique éducatif. « C’est pourquoi je tiens à souligner devant vous l’importance de la création du service public du numérique éducatif. Ce n’est pas tous les jours que l’on crée un nouveau service public dans notre pays. Ce sera, de surcroît, un vrai service public, c’est-à-dire gratuit et respectant les principes fondamentaux des services publics à la française : égalité d’accès de tous au service, continuité et qualité du service. Ce sera aussi un important vecteur de réduction des inégalités scolaires ».
La question des rythmes n’est pas éludée. « Même si elle ne relève pas de la loi, la modification des rythmes scolaires devra être conduite dans la durée. Elle doit bien entendu concerner l’école élémentaire. Chacun convient en effet que la semaine de quatre jours n’a pas été une bonne chose. Mais il faudra aussi penser aux collégiens et aux lycéens, pour lesquels les journées sont souvent inutilement lourdes et l’année trop déséquilibrée. Nous ne pouvons pas nous plaindre à longueur de temps de la détérioration de nos performances scolaires, de l’accroissement des inégalités entre les jeunes Français et du trop grand nombre de jeunes qui sortent du système scolaire sans diplômes ou qualifications et ne rien vouloir changer, alors même que les causes de ce déclin sont clairement identifiées par tous, très au-delà des polémiques et des clivages partisans ».
L’école ou le déclin
Vincent Peillon revient en fin de discours sur le déclin français. « Vous voulez une France capable de vaincre le chômage : l’école doit mieux former la jeunesse et la préparer aux métiers de demain. Vous voulez une France capable de renouer avec la prospérité, la confiance, la compétitivité : il nous faut élever le niveau d’instruction, de qualification de la jeunesse, lui donner force et confiance, parce qu’elle est notre meilleur atout. Vous voulez une France où chacun pourra avoir sa chance et où la justice ne sera pas une hypocrisie : alors nous devons transmettre nos valeurs, qui sont généreuses, nobles et fortes. Nous devons instruire, éduquer et faire grandir. Si nous faisons l’économie de cette tâche, si la paresse, le cynisme ou l’esprit partisan reprennent le dessus, on pourra toujours chanter la même chanson : la France ne se redressera pas, elle continuera son lent déclin ».
La « déception » de Benoist Apparu
« Quand je lis le texte de loi et le rapport annexé, je ne retrouve ni les éléments de cette ambition ni la refondation que vous évoquez », répond le député Benoist Apparu pour l’UMP. Durant 20 minutes il va porter des flèches acérées sur la loi Peillon. La réforme des rythmes ? « Vous pouviez travailler sur une réforme des rythmes scolaires à condition de l’appliquer en même temps à l’année, à la semaine et à la journée, ou en commençant par l’année scolaire ». Faute de l’avoir fait, prévient B Apparu, quand vous allez passer de 36 à 38 semaines de cours « en réduisant les vacances scolaires, vous allez mécaniquement allonger le temps de travail des enseignants de deux semaines soit cinquante-quatre heures de travail, ce qui équivaut à 18 000 ETP, autrement dit à 18 000 postes. Cela coûtera 750 millions d’euros. Je doute que Bercy vous donne 750 millions d’euros pour pouvoir financer l’allongement du temps de travail des enseignants ! » D’ailleurs, « qu’on m’explique comment parvenir à réduire le déficit public, comme nous le souhaitons tous, sans toucher au ministère qui occupe un fonctionnaire sur deux avec le premier budget de la nation ! »
Les 60 000 postes ? En fait il n’y en aura que 7 000 en plus dans les classes. « Si je comprends bien, avec 7 000 postes en cinq ans, vous allez faire une révolution pédagogique pour 255 000 classes en France. Il y a une vraie différence entre l’incantation « priorité au primaire » et la réalité »…. La réforme de la formation des enseignants ? « Les ESPE, c’est un peu la politique du rétroviseur, dans le sens où l’on crée quelque chose qui a déjà existé…. »
Benoist Apparu plaide au final pour la réorganisation de l’Ecole en deux parties : école du socle regroupant école et collège d’un coté, bac -3 à bac +3 de l’autre. Il veut réformer le statut des enseignants et accorder l’autonomie de gestion de leur dotation horaire aux établissements.
« C’est ce que nous allons faire »
C’est à Yves Durand , rapporteur de a loi et à Vincent Peillon qu’il revient de lui répondre. L’école du socle ? « C’est ce que nous faisons ! » annonce Y Durand. La réorganisation ? « Nous la ferons » . Vincent Peillon prévient que « à vouloir aller trop vite on crée des blocages ». Il en sait quelque chose…
L’opposition avait déposé deux rejets du texte, tous deux écartés par l’Assemblée. L’examen du texte reprend le 12 mars avec les premiers articles. Mais déjà le ton est donné. L’opposition attend que la refondation aille plus loin. Justement c’est aussi le vœu de certains députés de la majorité. On risque d’avoir des surprises.
François Jarraud