La loi Peillon peut-elle redresser l’Ecole française ? Toute cette semaine, l’Assemblée nationale examine la loi de refondation de l’Ecole. Elle fait suite aux lois de 1989 et de 2005 qui se sont révélées incapables d’empêcher la glissade vers le bas des performances du système éducatif. Précédée d’une large concertation, elle n’échappe pourtant ni à la contestation par des syndicats enseignants, ni au manque d’enthousiasme de certains maires, ni aux critiques de l’opposition de gauche et de droite. Est-ce le signe d’une vague réformette ou d’une vraie loi de refondation ?
« Sur quelles fondations s’appuie le système éducatif français, sinon sur le statut des personnels et sur celui des établissements ? Or ce projet ne touche ni à l’un, ni à l’autre. Ce n’est qu’un « ripolinage », un coup de pinceau passé sur le système scolaire. Les experts sont d’ailleurs unanimes pour estimer qu’il n’y a rien dans ce texte ». S’exprimant devant la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, le député UMP Benoit Apparu a dénié à la loi Peillon toute portée réelle, en faisant une vague réformette. Effectivement, et sans doute le regrette-il, la loi ne touche ni aux statuts des enseignants ni à l’autonomie des établissements. Pour autant la loi Peillon se fixe l’objectif de changer réellement l’Ecole et met en place quelques outils pour cela.
Une réforme lourde de la formation des enseignants
C’est dans le domaine de la formation des enseignants que la loi de refondation est la plus crédible. Même si certaines mesures sont critiquées, comme le montrent les tribunes du GRFDE dans cet Expresso et de JL Auduc dans une récente édition. Il reste que Vincent Peillon établit une formation professionnelle des enseignants. Sa suppression par Xavier Darcos avait permis de supprimer des postes. Mais elle avait mis d’emblée les nouveaux enseignants en difficulté et créé chez eux un sentiment de grande défiance envers l’institution dès leur entrée dans le métier. Avec la loi, la France regagne la normalité des pays développés qui consacrent un temps souvent long à la formation professionnelle de leurs enseignants.
Les écoles supérieures du professorat et de l’éducation crées dès la rentrée 2013 par la loi Peillon mettront en place « des enseignements communs permettant l’acquisition d’une culture professionnelle partagée » avec les autres professionnels de l’éducation. Elles délivreront « des enseignements disciplinaires et didactiques mais aussi en pédagogie et en sciences de l’éducation ». Cela peut paraitre curieux mais c’est la première fois que l’expression « sciences de l’éducation » est utilisée dans une loi pour traiter de la formation des enseignants. De la même façon, la loi mentionne l’initiation aux usages pédagogiques des TICE. Cette formation est appelée à remplacer le C2i2e. Certes bien des interrogations subsistent sur les maquettes des concours ou la mise en route des Espe dans un délai aussi court. Même si la loi prévoit, suite à une intervention de la commission, que les ESPE reprennent le personnel des IUFM il faudra certainement du rodage justement pour la mise en place de structures réellement nouvelles.
Il n’en reste pas moins que 27 000 postes sont consacrés aux ESPE, 26 000 pour les nouveaux enseignants en formation et 1 000 pour de nouveaux professeurs dans les ESPE. Dans le contexte budgétaire actuel cet effort est énorme.
Priorité au primaire
V. Peillon prévoit d’y injecter 14 000 emplois sur le quinquennat. Il est persuadé que l’écart entre els élèves se creuse dès le primaire. C’est d’ailleurs ce que montrent les évaluations internationales (TIMMS etc.) ou nationales (CEDRE). Cet écart se creuse ensuite davantage au collège. D’où l’idée d’intervenir massivement au primaire. C’est d’autant plus nécessaire que la France a un nombre d’élèves par enseignant très supérieur à la moyenne des pays de l’OCDE et qu’elle dépense peu pour le primaire.
3 000 postes seraient réservés à la scolarisation avant 3 ans que le président précédent à fait diminuer de moitié. L’ouverture de nouvelles classes de petite section se ferait ne priorité en zone sensible ou rurale. Il s’agit en même temps de revoir la pédagogie appliquée en maternelle. Sous Darcos et Chatel les nouveaux programmes ont privilégié les apprentissages cognitifs en maternelle aux dépens du non cognitif qui est pourtant essentiel pour asseoir le cognitif. L’école maternelle doit redevenir un « lieu de réussite, d’autonomie » où se développe l’estime de soi.
7 000 postes iraient au « plus de maîtres que de classes ». Il s’agit d’une vieille revendication syndicale : disposer de maitres surnuméraires capables d’intervenir sur des apprentissages clés. D’après la loi ils iraient en priorité en zone sensible ou rurale. Il s’agit de mettre des moyens sur les élèves les plus en difficulté. D’autres solutions étaient possibles comme par exemple un transfert de postes des centres villes vers les banlieues comme le souhaitait Piketty. Le ministre a préféré une solution conforme aux demandes des syndicats.
Au final seulement 4 000 postes seront disponibles pour les besoins non prioritaires, mais parfois urgents, du primaire comme les ouvertures de classes ou les remplacements.
Le lien école collège renforcé
La jonction école collège est repérée comme un point faible de l’école française où de nombreux jeunes perdent pied. La loi crée un conseil école collège et elle stipule que la transition entre els deux niveaux doit être progressive. Des amendements allant en ce sens seront débattus à l’Assemblée.
La lutte contre le décrochage au collège
Sur les 7 000 postes ciblés pour le secondaire, le collège devrait en récupérer le plus grand nombre. En effet 4 000 postes iront à la lutte contre le décrochage et c’est en fin de collège souvent qu’il se produit. La loi introduit aussi un parcours de découverte professionnelle pour tous les élèves et des enseignements « complémentaires » en 3ème avec des stages en entreprises. C’est une façon de concilier le refus des orientations précoces, comme le DIMA qui est annulé, et le souci d’une offre diversifiée dans le collège « unique ». Le collège récupérera également une partie des 3000 poste sprévus pour faire face à l’évolution démographique.
Quel devenir pour le socle et les programmes ?
La loi se garde bien de définir le nouveau socle commun « de connaissances de compétences et de culture ». C’est un décret que le fera. Mais la loi assure le lien avec les programmes puisque le Conseil supérieur des programmes est associé à sa rédaction. La loi maintient les objectifs de 80% d’une génération au bac et 50% dans le supérieur. Elle ajoute la division de moitié des sorties sans qualification et la baisse des écarts de niveaux en fin de cm2. Le brevet devra être aligné sur le socle. La loi crée un Conseil supérieur des programmes à composition mixte politiques et spécialistes chargé de concevoir les nouveaux programmes en lien avec le socle. Elle ne fixe pas de dates mais on sait que la réflexion sur les programmes du primaire a déjà commencé.
Le numérique aux premières loges
La loi accorde pour la première fois un titre et plusieurs articles au « service public du numérique éducatif ». Elle prévoit une éducation au et par le numérique de la maternelle à la terminale, une « offre diversifiée » de ressources numériques, la formation des enseignants. Elle instaure les bases d’une exemption pédagogique en faveur des usages en classe. Surtout elle règle la question de la maintenance du matériel en collège et lycée.
L’entrée officielle des collectivités territoriales
Et là on est déjà dans le nouveau rôle reconnu aux collectivités territoriales. Déjà actrices de fait du système éducatif, leur place est légitimée par la loi qui leur donne des attributions précises. Ainsi la loi réforme les rythmes scolaires au primaire et prévoir le développement du périscolaire en lien avec l’éducation nationale dans le cadre des Projets éducatifs territoriaux (PEDT). Les régions se voient confier la réalisation de la carte des formations professionnelles initiales et l’académie est obligée par la loi d’ne tenir compte. Elle autorise les départements et les régions à utiliser les locaux scolaires en dehors des heures de cours
Une révolution pédagogique ?
Plus que la loi elle-même, qui ne peut statuer sur la vie quotidienne des écoles et des établissements, son annexe affirme vouloir changer l’atmosphère et les pratiques dans les établissements. Elle parle d’une évolution de la notation et de l’évaluation par exemple. Elle veut une interdiction réelle des devoirs à la maison au primaire. Elle remet la décision d’orientation aux familles et aux élèves. On sait bien que l’évolution des pratiques ne se décrète pas. La formation initiale aura une influence sur elles. La formation continue dans le primaire disposera de moyens numériques et d’un horaire réaliste qui devraient permettre quelques évolutions. Pour le secondaire l’enveloppe de formation continue reste à trouver.
Le prix d’une réforme sérieuse
La loi Peillon permettra-t-elle de redresser les performances de notre système éducatif ? A vrai dire cela ne dépend pas que de l’Ecole. La situation sociale des enfants, par exemple le fait d’avoir 20% d’enfants pauvres, influe aussi sur les résultats scolaires. Le ministre s’est donné quelques moyens pour consolider les apprentissages fondamentaux à condition que les enseignants soient capables de s’emparer du dispositif du plus de maitres que de classes. Il enverra des enseignants mieux formés devant les élèves. Autrement dit c’est sur le long terme que les effets de la loi Peillon devraient se faire sentir. Beaucoup d’enseignants qui vivent des situations difficiles, beaucoup de parents qui voient leurs enfants sans enseignant une partie de l’année ne verront aps de changement en 2013 ou 2014. Changer l’Ecole a un coût en terme d’emplois : en créer 60 000 alors que l’Etat doit faire des économies est une gageure. Cela a aussi un coût en terme de temps politique : Vincent Peillon a peu de chances de bénéficier directement des effets de sa réforme.
François Jarraud