Denis Peiron a longtemps travaillé comme correspondant pour la presse écrite et la radio en Pologne, puis à Marseille. Il est aujourd’hui en charge de l’éducation, au quotidien La Croix . Gilbert Longhi lui consacre sa chronique hebdomadaire. Entre l’enseignant et le journaliste quels points communs ?
Un journaliste de l’éducation se tient à l’affût de ce qui se passe de la maternelle à l’université. Selon vous quels sont les « sujets » qui feront vos titres dans les mois à venir ?
Je me garderai de prédire l’avenir, bien qu’avec l’école, le futur présente souvent un air de déjà vu : les mêmes sujets reviennent souvent – sans véritable solution, sans vraie application des solutions évoquées – comme la ronde des saisons… Ce qui est sûr, cependant, c’est que l’on parlera beaucoup, dans les mois à venir, des réformes lancées par le gouvernement dans un contexte qui semblait très favorable et qui semble de jour en jour gagner en complexité. On suivra notamment de près la mise en place de la nouvelle formation des enseignants, censée réparer les dégâts causés par la masterisation. Mais parce que c’est sans doute le sujet le plus « grand public » en ce moment, les rythmes scolaires pourraient bien continuer pendant un long moment à éclipser les autres enjeux éducatifs.
Luc Cédelle votre confrère au Monde a déclaré récemment : un journaliste éducation ne devrait pas passer plus d’une semaine sans aller dans un établissement … Est-ce facile d’entrer dans un établissement pour faire son travail de journaliste ?
Luc Cédelle a raison. Un bon journaliste éducation doit se rendre le plus régulièrement possible dans les établissements. Il fut un temps où je tenais dans « La Croix » une rubrique hebdomadaire sous forme de reportage, « Carnets de classe », qui m’amenait donc à être sur le terrain au moins une fois par semaine. Depuis, j’essaie d’aller avec régularité à la rencontre des personnels et des élèves. Mais, notamment parce que j’assume au sein de la rédaction des responsabilités supplémentaires, je dois avouer que la fréquence de mes reportages s’est réduite. C’est un peu dommage car chacun d’eux, indépendamment du sujet traité, est l’occasion de prendre la température, de humer l’air du temps, de mieux comprendre les préoccupations des uns et des autres et d’engranger de nouvelles idées de sujet… En reprenant la rubrique Education et Enseignement supérieur, en 2007, je m’attendais à rencontrer davantage de difficultés pour pénétrer dans les établissements ou recueillir des témoignages d’enseignants qui ne seraient pas représentants syndicaux. Et j’ai été plutôt agréablement surpris. Même s’il m’est arrivé de me heurter à des portes fermées ou d’obtenir des réponses de l’administration dans des délais totalement incompatibles avec les exigences d’un quotidien…
Peut-on comparer informer et enseigner ? Le travail d’un journaliste s’apparente-t-il à celui d’un enseignant ?
Il existe effectivement beaucoup de points communs entre le métier de journaliste et celui d’enseignant. Il s’agit, pour les journalistes, d’aller chercher des informations et de les restituer à l’attention du lecteur, avec une exigence de clarté et le défi, surtout lorsque l’on aborde des thèmes très techniques, de se placer à la portée de celui qui nous lit. C’est particulièrement vrai à « La Croix », où, par culture, on a tendance à fuir les polémiques et où l’on nous demande souvent de faire œuvre de pédagogie, en décryptant les dossiers et en donnant les arguments des uns et des autres pour aider le lecteur à se forger sa propre opinion. Ce n’est pas un hasard si « La Croix » publie chaque mois, en partenariat avec « Phosphore », les « Dossiers de l’actualité », un magazine qui a pour but de rendre accessibles à un public de lycéens et d’étudiants les grands sujets du moment.
Si mon travail de journaliste se rapproche de celui d’un enseignant, amené à transmettre des connaissances hiérarchisées et mises en perspective, c’est aussi que l’un et l’autre métiers sont – ou devraient être davantage encore – placés sous le signe d’une responsabilité sociale. Journalistes et professeurs ont pour vocation de produire du sens et, dans une certaine mesurer, d’aider le lecteur comme le futur citoyen à s’engager dans le monde de façon éclairée. Cela suppose une remise en cause permanente, individuelle et collective, et une certaine forme de courage, de ténacité, de créativité. Pour ma profession, cela implique notamment d’échapper aux sirènes du « people », à la course à l’audience mais aussi à un traitement trop institutionnel de l’information. Côté enseignants, il faut arriver à surmonter les lourdeurs d’un système qui trop souvent fonctionne en vase clos et entretient un rapport infantilisant avec ses professionnels. Il faut aussi accepter, comme le font déjà beaucoup de professeurs, d’accompagner réellement les élèves en sortant du huis-clos de la salle de classe pour s’aventurer sur le terrain plus large de l’éducatif.
Quel est votre rapport personnel à l’école ? Vos propres études influencent-elles votre travail de journaliste ?
Parce qu’on a passé une vingtaine d’années sur ses bancs, de la maternelle à l’enseignement supérieur, notre rapport à l’école est forcément influencé par notre passé d’élève et d’étudiant. Mais il faut bien entendu se méfier de cette expérience personnelle et du souvenir, inévitablement partiel, souvent déformé, voire pour certains idéalisé, qu’il nous en reste. D’une part, en l’espace de quelques décennies, la situation au sein des établissements a évolué, en dépit des accusations récurrentes d’immobilisme formulées, souvent à raison, à l’encontre du système scolaire. D’autre part, et l’opinion publique l’oublie parfois, il ne suffit pas d’être – comme tout un chacun – passé par l’école pour en comprendre les enjeux. Idéalement, je dois donc prendre appui sur mon rapport personnel à l’institution scolaire et plus généralement à l’apprentissage pour me poser les bonnes questions et aller chercher les réponses auprès des différents acteurs de l’éducation, chez les « experts » comme auprès de ceux qui travaillent quotidiennement au contact des élèves. Au reste, l’image que je peux avoir de l’école et les convictions qui sont les miennes dans ce domaine sont peut-être moins liées à ma propre scolarité que mon expérience actuelle en tant que parent d’élève. Ainsi, certains de mes articles peuvent avoir pour point de départ des interrogations ou des réactions face à des pratiques, négatives comme positives, en cours dans l’école de ma fille. Un établissement qui par exemple gagnerait, comme bien d’autres, à être davantage accueillant vis-à-vis des parents.
Propos recueillis par Gilbert Longhi