Par François Jarraud
Professeure agrégée de S.E.S., Laure Le Gurun enseigne au lycée M. Berthelot de Questembert dans le Morbihan. Elle est aussi passionnée de culture bretonne et auteure d’un ouvrage sur la musique bretonne. Elle tient un blog qui fait une large place à la vidéo pour accompagner ses classes.
Votre blog propose des documents liés aux cours et de nombreux exercices. Comment articulez-vous cela avec le cours ? L’usage du blog relève-t il d’une sorte de manuel bis, de cahier d’exercices et dans ce cas comment l’utilisez vous en classe ? Ou s’agit il d’un surplus proposé aux élèves ? Ou encore tantôt l’un tantôt l’autre ?
Tantôt l’un, tantôt l’autre… à l’image des pratiques pédagogiques que je mets en oeuvre avec les élèves : le maître-mot est la diversification, dans le but de différencier les approches, mais aussi les rythmes. La création et le développement de ce blog a coïncidé avec une refonte importante de ma discipline, les sciences économiques et sociales, au moment même où le profil des élèves a évolué rapidement : le « cours » frontal, descendant, en classe entière, il y a bien longtemps qu’on l’avait au moins partiellement abandonné, dans ma discipline… mais le travail de réflexion sur documents ne fonctionnait plus vraiment non plus, les travaux maison étaient de plus en plus rarement faits, quand il ne s’agissait pas de « copié-collé-wiki ». C’est à ce moment-là que j’ai vraiment compris la profondeur des textes « Petite Poucette » de Michel Serres et les « sept savoirs nécessaires à l’éducation du Futur » de Edgar Morin. Tout est parti de là : comment mettre les élèves en situation, en action dans leur apprentissage ? Par exemple, plutôt que d’interdire le recours à l’ordinateur, il est plus intéressant d’apprendre à faire avec, d’y voir aussi un outil de travail, au sens positif du terme, ce qui n’est pas évident pour les élèves a priori.
Plus concrètement, le blog sert de mémoire de travail pour les élèves et moi (qui articule cours, exercices et manuel), mais aussi de lieu de révisions (aider les élèves à trouver les ressources qui leur conviennent plutôt que les laisser complètement démunis face à des ressources hétérogènes), d’information (chacun peut chercher la réponse à la question qu’il se pose, en orientation notamment), de communication (le contact permet aux élèves de poser une question, de proposer des contenus – que je valide – ) …En résumé le blog est bien un outil facilitant la différenciation des apprentissages.
Le blog propose de nombreuses vidéos et vous même vous produisez des synthèses vidéo très efficaces. Pourquoi ce choix ?
Là encore, il s’agit de diversifier les supports pédagogiques, ce qui veut dire que je peux par ailleurs en classe faire travailler les élèves sur un texte de plusieurs pages, parce que cela demeure une compétence très importante dans nos apprentissages. Mais la vidéo, et notamment le petit format web, est aujourd’hui un incontournable pour les élèves. C’est donc à mes yeux un moyen de les faire entrer dans des thèmes complexes, ou bien de les soutenir dans leurs révisions. J’aime bien aussi glisser dans le blog quelques vidéos nettement plus difficiles d’accès, et là, il est étonnant de voir comme les élèves peuvent y rentrer sans s’en apercevoir, alors que l’entrée par le texte aurait été beaucoup plus ardue. Je demande souvent aux élèves de rédiger un texte associant les notions étudiées en cours à ce qui a été vu dans les vidéos ; je peux aussi spécifier dans une évaluation que les vidéos visionnées sur le blog doivent servir à illustrer les raisonnements. Donc la vidéo n’est pas une fin en soi, mais un support pédagogique parmi d’autres, qui doit s’inscrire dans l’apprentissage des élèves.
Je commence à réaliser des vidéos parce que c’est un vieux rêve ! J’ai beaucoup apprécié le travail des autres et je souhaite contribuer à ce travail collaboratif planétaire : c’est aussi un message que je souhaite transmettre implicitement aux élèves : le web nous donne beaucoup… si chacun s’inscrit dans une logique de don / contre-don plutôt que de gratuité consumériste.
Comment est il-perçu par les parents et les collègues ?
Je n’ai pas beaucoup de retour de la part des parents, probablement parce que j’enseigne en lycée. Mais c’est un point sur lequel je souhaite progresser, notamment en présentant le blog lors de la prochaine journée Portes-Ouvertes de mon lycée. Côté collègues, dans mon lycée et ailleurs, je pense que beaucoup d’entre eux surestiment le travail que cela représente, probablement parce que la barrière informatique rebute encore. Pourtant aujourd’hui on peut créer un blog tout à fait correct en quelques clics, avec une interface très intuitive… Quant au temps que cela représente, il est largement compensé par celui qui est économisé par la mémoire de travail que cela permet. Lequel d’entre nous n’a jamais eu le sentiment de tout recommencer perpétuellement ? Hé bien le blog permet de toujours recommencer…mais à partir d’une trame existante. Le blog matérialise le travail des enseignants, à leurs yeux comme à ceux de leurs élèves et de leur famille. C’est valorisant pour tout le monde. Mais je sens que les lignes bougent et nous pensons créer dans notre établissement un groupe volontaire de partage sur la diversification des approches pédagogiques. La tenue d’un blog fera sûrement partie des discussions !
A vos yeux est ce une extension normale du métier ou un exercice gratuit ?
C’est une extension normale et même inévitable du métier. Les individus que nous avons en face de nous ont changé, parce que nous, parents et adultes en général, les avons éduqués de façon différente !…Nous devons accompagner cette évolution, tout en ne cédant rien, bien au contraire, sur nos ambitions de transmission de savoirs et de savoir-faire. C’est la base de notre métier de pédagogue. Le blog comme je l’ai dit n’est qu’un moyen parmi beaucoup d’autres, qu’André de Peretti et François Muller décrivent dans leurs travaux. Et de toutes façons, il est question ici d’expérimentation au long cours… Le blog évoluera au fur et à mesure de celles-ci, et peut même être mis en suspens si cela s’inscrit dans mes priorités pédagogiques du moment. Par exemple, je souhaiterais à l’avenir plus d’implication directe des élèves dans la production de contenu pour le blog….JJe suis aussi très intéressée par les implications pédagogiques des résultats de la recherche en neuroscience (S. Dehaene). Enfin j’étudie aussi avec attention les expériences de « classe inversée », que je souhaiterais mettre en pratique ponctuellement : le blog jouera alors un rôle fondamental.
Vous êtes aussi spécialiste de la musique bretonne. Ces activités participent-elles de votre enseignement ou de votre métier ?
Je fais des recherches sur la culture bretonne et son histoire depuis aussi longtemps que j’enseigne les sciences économiques et sociales, probablement parce que cela tourne toujours autour de la culture au sens anthropologique du terme : comprendre l’homme dans sa totalité. Dans mon enseignement, il s’agit de permettre aux élèves de situer, et probablement de revaloriser, leur appartenance à une culture rurale et bretonne et française et européenne et planétaire…parce que chacun a besoin de s’identifier à une culture pour s’inclure dans le groupe. Le souci de beaucoup de mes élèves réside dans le manque de repères pour s’adapter. Rappeler que la langue bretonne est plus ancienne que la langue française, cela permet de sortir des clichés sur les Bretons et les crêpes… et cela permet de parler d’histoire, de sciences politiques, d’économie aussi. C’est pour cette raison que j’organise avec mes élèves une sortie en Bretagne, durant laquelle on commence par évoquer l’histoire de la Bretagne et l’on finit par l’art contemporain.
Propos recueillis par François Jarraud
Le blog de L Le Gurun
Sur le site du Café
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