Feu de paille ou vrai ras le bol ? Le mouvement de grève parisien contre la réforme des rythmes scolaires est-il un mouvement d’humeur localisé ou le début d’une opposition ferme des professeurs des écoles ? Est-il dirigé contre la mairie de Paris, le ministère ou le ministre ? Vise-t-il à faire échouer la refondation ou à l’améliorer ? S’agit-il d’une nouvelle manifestation d’un immobilisme enseignant hostile à tout changement ? D’un chantage pour obtenir une revalorisation ? Rien de tel pour le savoir que d’aller partager, lundi 21 janvier, le déjeuner des enseignants…
Dans cette école du nord-est parisien, que nous ne nommerons pas, sept professeurs des écoles, six femmes, un homme. Leurs parcours sont divers et les opinions syndicales également. La majorité de ces enseignants n’est pas syndiquée. Les trois syndiqués se répartissent entre le Snuipp, le Se-Unsa et FO. Mais tous sont grévistes mardi 22 janvier et l’école sera fermée le jour de la grève.
« J’ai envie que ça bouge« , nous dit d’emblée David. « Je trouve normal que les rythmes de l’enfant soient respectés. Je ne suis pas pour le statu quo. Mais j’ai le sentiment qu’il y aune précipitation dans la mise en place de la réforme des rythmes. Les discours de Vincent Peillon me font du bien », poursuit-il, »après des années où la pédagogie était maltraitée ». S’il n’y a pas d’opposition frontale à la réforme en cours, celle-ci pose quand même des problèmes suffisamment épineux pour que les enseignants se mobilisent.
Le mercredi matin travail en plus ou pas ? Si tous reconnaissent que le nombre d’heures de travail est inchangé, la perception des cours du mercredi matin est diverse. Sur les 7 enseignants , 6 habitent en banlieue et la plupart passent 1 heure à 1heure un quart dans les transport pour rejoindre Paris. Cette contrainte pèse aussi en fin de soirée. « On avait cru qu’il y aurait un allègement de la journée », explique Marie-Noelle. « Mais les enfants vont sortir aussi tard et nous aussi ». Les enseignants sont persuadés que la mairie de Paris va allonger la pause méridienne qui durerait de 11h30 à 14h15. La mairie assure que ce n’est qu’un projet, mais son existence même inquiète. « S’il y avait eu une revalorisation on aurait accepté plus facilement », estime Jeanne.
« Une majorité d’enseignants est opposée à la suppression de la coupure du mercredi » , affirme le tract distribué aux parents. Il se trouve que trois enseignantes ont connu des rythmes différents en France ou à l’étranger. Et que leurs appréciations divergent. Jeanne se rappelle qu’en travaillant le mercredi matin, les élèves étaient très fatigués le vendredi. « On perdait le vendredi après -midi », assure-t-elle. Mais Aurélie a vécu cela comme élève. « C’était super. On avait un grand week end en famille ». Une autre enseignante a connu ce système à l’étranger est le juge aussi positivement.
Quelle qualité du travail ? La décision de la ville de Paris d’appliquer la réforme dès 2013 impacte aussi les activités éducatives portées par la ville. A Paris, des professeurs payés par la municipalité interviennent dans les classes pour faire l’EPS et des activités artistiques. « On va perdre ces bons moments en classe », craint David. « On va se retrouver avec des pressions plus fortes pour ne faire que du scolaire . Ce n’est pas cela le métier ». Les enseignants craignent de perdre des moments sympathiques de classe. Ils craignent aussi que les professeurs de la ville de Paris qui enseignent l’EPS et les arts se retrouvent à faire de l’animation.
Quelle qualité pour le périscolaire ? La perte de qualité de l’enseignement ils la craignent aussi avec le développement du temps périscolaire. La ville a beau promettre que ce temps sera utilisé pour sortir les élèves, les emmener visiter des lieux parisiens et effectuer des activités passionnantes, les enseignants craignent plutôt de voir arriver des animateurs très peu formés pour encadrer tous les enfants. « Faute de place il faudra bien que les enfants restent en classe. Alors même si on leur fait faire quelque chose , c’est toujours de l’attention, de l’immobilité. Cela prolonge la journée de classe et la fatigue. Où est le gain pour les enfants », lâche Emilie. Son fils est scolarisé en banlieue où l’école a plus de place et où on laisse aussi les enfants jouer et rêver. « Dans quel état va-t-on retrouver les enfants après une large pause méridienne où ils auront été parqués », se demande David.
Faut-il consulter les enseignants ? Les enseignants se plaignent d’avoir peu d’information. Ils naviguent au gré de leur expérience qui n’a pas toujours été positive avec la ville de Paris. « On ne comprend pas qu’ils osent balancer ce projet de pause méridienne sans nous consulter », dit Aurélie. Oui mais faut-il vraiment consulter les enseignants ? Tout le monde parait pour. Mais ce n’est pas si simple. « Dans le passé on nous a consulté sur les cycles et finalement ça n’a abouti à rien » , se rappelle Julie. « Quand on consulte trop on arrive au blocage », confirme une collègue.
Que la réforme est loin ! C’est dire que ces enseignants sont prêts à bouger. Mais la réforme est loin ! Ils voudraient savoir où on va. L’effort pour le primaire, le plus de maîtres que de classes, pour le moment, ils ne le voient pas. « J’ai 27 élèves en CP. Je ne peux pas faire plus que ce que je fais », affirme Aurélie, sans crainte d’être contredite par ses collègues. « Avant on était considéré comme des cadres, ce n’est plus le cas aujourd’hui », lâche Emilie. « Avant le salaire des enseignants et le niveau de vie étaient plus élevés ». Leur réticence et leur méfiance s’adresse-t-elle au changement ou à une institution qui ne les a pas ménagé ces dernières années ? Mais déjà il est l’heure de reprendre le travail. Cette après-midi, toute l’équipe se partage tous les enfants en ateliers. Le plaisir d’enseigner est encore là…
François Jarraud