« C’est l’enseignement le plus politique qui puisse exister ». Emmanuel Fraisse, professeur à Paris III, démontre cette affirmation dans le numéro 61 de la Revue internationale d’éducation de Sèvres consacré à « Enseignement et littérature dans le monde ». S’appuyant sur des analyses de cet enseignement aux Etats-Unis, en Russie, en Chine, au Danemark, à Haïti, au Sénégal, au Québec et en France, E. Fraisse montre que partout l’enseignement de la littérature est un défi, une lutte entre culture nationale et ouverture, entre tradition intellectuelle et utilité, entre crainte et renouveau.
Spécialiste des questions comparatistes en éducation, la Revue internationale d’éducation de Sèvres s’attaque à un objet totalement nouveau avec ce numéro 61 : il s’agit de comparer un enseignement avec ses contenus et ses exercices dans des pays extrêmement différents, au-delà de la sphère classique de l’OCDE.
De ce voyage, Emmanuel Fraisse ramène quelques certitudes. La première c’est que partout la littérature est un enseignement important qui a des liens très forts avec les projets politiques, avec la langue et la nation. Là où c’est le plus clair c’est peut-être au Danemark où l’enseignement de la littérature est un vrai enjeu politique entre partisans d’un revival nationaliste qui ont élaboré un « canon » de textes littéraires et héritiers de 1968 qui noient la littérature dans le projet et l’instrumentalisent. Un autre exemple éclairant est fourni par l’article d’A. Elimane Kane sur l’enseignement de la littérature au Sénégal. Il montre l’évolution de cet enseignement de l’époque coloniale à aujourd’hui, comment des thèmes pan africains ou nationaux se sont imposés dans les manuels scolaires dans un enseignement qui au départ matérialisait le lien colonial.
Partout l’enseignement de la littérature semble menacé par « l’utilitarisme ». C’est « qu’une des ses principales fonctions est de contribuer à éduquer les élèves ». Si l’enseignement de la littérature transmet une culture nationale, il véhicule aussi des habiletés langagières, des techniques de communication. Cette dualité est partout présente mais s’exprime différemment. Ainsi aux Etats-Unis, l’enseignement de la littérature est devenu « les arts du langage » et les exercices proposés sont adaptés à cette définition. En même temps, une récente étude américaine montre qu’après des années de déclin la lecture d’oeuvres redémarre rapidement chez les jeunes aux Etats-Unis, preuve que la soif littéraire travaille la société.
La Revue se penche aussi sur les exercices proposés dans le monde. Partout la mémorisation d’oeuvres fait partie des exercices types. Partout l’enseignement de la littérature commence par l’a mémorisation de poésies dès l’école primaire. Le second exercice bien installé est la rédaction avec une finalité d’imitation. Partout enfin les exercices de cet enseignement ont une grande importance dans le cursus.
Enfin partout l’enseignement de la littérature est un objet d’inquiétude. Partout les enseignants ont le sentiment que c’était mieux avant. C’est que partout les nouveaux médias, Internet, interrogent cet enseignement. Pour E Fraisse, le rapport au texte est ébranlé puisqu’on peut « lire la radio ou une image » . L’universalité des nouveaux médias interroge aussi la dimension nationale de cet enseignement. A ce titre, l’enseignement de la littérature est à la pointe de la crise de la transmission. C’est à dire qu’il est aussi porteur des solutions.
Enseignement et littérature dans le monde, Revue internationale d’éducation de Sèvres, CIEP, décembre 2012, 154 pages.