Jeudi 10 janvier, c’est à Brest que Vincent Peillon a présenté, en situation, sa réforme des rythmes scolaires. Le lieu se voulait symbolique : depuis des années, la ville de Brest innove par la mise en place d’un Projet Educatif Local très dynamique ; depuis des années, l’école que le Ministre a choisi de visiter expérimente la semaine des quatre jours et demi. Vincent Peillon a ainsi pu rencontrer tous ceux qui mettent en œuvre ces dispositifs et, à leur lumière, justifier et éclairer ses propres choix. Cela suffira-t-il à convaincre les différents membres du Conseil Supérieur de l’Education qui ont rejeté le décret pour des raisons diverses et parfois contradictoires (financières, organisationnelles, pédagogiques …) ? L’enjeu pour le Ministre était en tout cas de montrer par l’exemple comment tous les acteurs de la cité peuvent travailler ensemble au service de l’éducation.
Brest ville-pilote contre vents et marées
La visite commence par une table ronde qui autour du ministre réunit tous les partenaires, institutionnels, associatifs, citoyens, parents …, engagés dans la mise en œuvre à l’école Sanquer de la répartition du travail scolaire sur 9 demi-journées. « La municipalité brestoise a toujours été favorable à la semaine de 4 jours et demi », déclare d’emblée François Cuillandre, le maire de Brest. D’où aussi le choix d’adopter cette organisation dès septembre 2013 dans toutes les écoles brestoises. Marc Sawicki, adjoint à l’éducation et « cheville ouvrière » du Projet Educatif Local, rappelle la naissance dès 1999 de cette « boîte à liens » qui a acquis une certaine aura puisque tous les deux ans la ville accueille les rencontres nationales des PEL. En 2008, l’annonce « brutale » par le Ministère du passage à la semaine de 4 jours a conduit à une large concertation : plus de 60% des conseils d’école se sont alors prononcés pour les 4 jours, 40 % pour les 4 jours et demi, 90% ont demandé un moratoire d’une année pour « construire ensemble une semaine plus adaptée aux enfants ». Suite au refus du Ministère, Brest a dû se conformer au modèle des 4 jours : le bilan à la fin de l’année suivante s’est avéré très négatif, particulièrement pour les enseignants (« rythme peu adapté », « journées longues », « difficulté à boucler les programmes », « enfants fatigués » …). D’où l’organisation d’une consultation : le Conseil d’une école, l’école Sanquer, vote à l’unanimité le désir d’expérimentation ; 51% des parents expriment leur adhésion au projet et 49% sont réticents ; la motivation forte de certains et la collaboration du Patronage laïque voisin permettent le lancement de cette organisation singulière. « Aujourd’hui on a essaimé, puisque plusieurs villes, Angers, Nevers, La Roche-sur-Yon, Lyon, se sont lancées, avec un suivi commun de l’expérimentation. »
Le ministre contre inquiétudes et réticences
« Dans deux ans, tous les enfants de France seront aux 4 jours et demi », annonce Vincent Peillon. Un argument, selon lui balaie tous les autres : c’est l’intérêt des élèves, et l’intérêt des enfants doit prendre le pas sur tout le reste. Les chiffres sont éloquents : la France, rappelle-t-il, est le seul pays au monde où a été instituée la semaine de 4 jours ; notre moyenne, c’est 144 jours de classe pour les enfants quand la moyenne européenne est de 187 ; la semaine est ici de 4 jours quand elle est de 5 ou 6 en Allemagne … D’où des journées extrêmement chargées : 6 heures, auxquelles s’ajoute l’aide individualisée, « alors que nous savons qu’un enfant de CP au-delà de 4 heures et demie n’a plus de possibilité de vigilance ». Autrement dit, « nous organisons sciemment sur le dos des enfants un échec que nous nous permettons après de leur reprocher ». La réforme apparaît dès lors aux yeux du Ministre absolument nécessaire, pour les enfants et donc pour le pays. Il ne s’agit pas d’ailleurs selon lui de revenir au schéma antérieur puisque « nous allons raccourcir la journée de classe ». Le ministre veut rassurer la chronobiologiste Claire Leconte qui a suivi l’expérimentation de l’école Sanquer et qui, dans une lettre ouverte publiée par le Café pédagogique, a récemment exprimé sa déception face au projet annoncé : la réforme « change la journée », celle-ci sera « au maximum » de 5 heures et demie, la moyenne sera de 5 heures et quart en moyenne ; ceci doit permettre de diversifier l’offre pédagogique en proposant d’autres activités qui constituent une ouverture culturelle, mais aussi de mettre en place l’aide scolaire, et ce à l’intérieur même de l’école, par les maîtres eux-mêmes. La réforme présente aussi selon lui l’intérêt d’obliger à travailler ensemble : la collectivité locale, le tissu associatif, les parents et les enseignants au sein du Conseil d’école, la CAF … L’enjeu, c’est la « coéducation », c’est que tout le monde se réunisse autour de l’école, c’est la conviction à faire passer que « l’école appartient non pas à l’Education nationale, mais à toute la nation ». D’où, dans ce souci de mettre en œuvre des synergies, le ministre, en réponse aux réticences de certains syndicats, souligne que dans le décret le choix a été justement fait de demander l’avis à la fois du Conseil d’école et des élus. Il conclut son intervention en rappelant que cette réforme ne suffira pas à elle seule à résoudre toutes les difficultés de l’éducation en France, et qu’elle s’accompagne de la reconstruction de la formation des enseignants, de la priorité donnée au primaire (on y trouve « le plus bas taux d’encadrement de l’OCDE !»), de la refonte du service d’orientation…
La réforme, ajoute-t-il, est difficile pour tous. Pour les collectivités : un « fond d’amorçage » de 250 millions doit aider les collectivités locales à faire cet effort dans l’intérêt des enfants, avec une part plus spécifiquement apportée aux territoires qui ont le plus de difficultés. Du côté des enseignants : leur temps de travail n’est pas augmenté, ils continueront à faire 24 heures + 3 heures par 36 semaines ; il y a une répartition différente, ils reviendront le mercredi matin, mais ils auront des journées moins chargées et moins fatigantes. « Nous avons négocié pendant plusieurs mois avec les syndicats, précise-t-il, pour permettre qu’il y ait de véritables avancées » : par exemple, il y aura sur les 3 heures moins de temps devant élèves et plus pour la formation continue, le travail en équipe, la liaison avec le collège, l’accueil d’un « enseignant en plus » … Il n’y aura pas de « compensation » comme le demandent certains, puisqu’il n’y aura pas plus de temps de travail, qu’il y aura des journées plus courtes pour les enseignants (en moyenne de 3 quarts d’heure en moins), que les conditions d’exercice du métier vont s’améliorer (plus de maîtres que de classes, remise en place d’une formation initiale des enseignants, d’une formation continue sur le temps de travail, nouvelles façons de gérer l’aide individualisée, remplacée par des activités pédagogiques complémentaires…).
Echanges
L’après-midi se prolonge par des échanges variés. Philippe Le Bihan, directeur de l’école Sanquer, explique la réussite dans son établissement de la semaine de quatre jours et demi par l’engagement de tous, par la mise en place d’un vrai projet d’école, par les nombreuses ouvertures et collaborations, notamment la convention avec le Patronage laïque tout proche (qui assure l’accueil périscolaire mais aussi des interventions d’animateurs sur le temps scolaire), par l’implication de la ville et de nombreuses structures (Océanopolis, l’école de danse …) … Rémy Jegou, président du Patronage laïque de Sanquer, souligne combien les liens avec l’école sont très forts depuis très longtemps, depuis bien avant l’expérimentation, ce qui a rendu plus facile l’organisation des activités sur la plage 16 h 15 – 17 h. « A titre personnel, je pense même que 5 jours ce serait encore mieux », ajoute-t-il, ce à quoi le ministre répond : « Je pense que Claire Leconte pense comme vous ! » Patrick Belloeil, coordinateur, précise que le projet a été mis en place entre juin et septembre (« c’est donc possible ! », renchérit le ministre), en cherchant avant tout la « complémentarité éducative » : il ne s’agissait pas de « faire l’école après l’école », mais de permettre aux enfants de s’épanouir différemment ; un système de 13 ateliers a été organisé entre 16 h 15 et 17 heures, proposant des activités sportives ou manuelles, donnant la possibilité aux enfants d’expérimenter, de voir, de toucher … ; pour compléter l’offre, il a été aussi fait appel à diverses associations de la ville (jonglage, conservatoire de musique, de danse, de théâtre, centre d’art contemporain Passerelle …). Un enfant qui éprouve des difficultés sur le temps scolaire peut ainsi se retrouver valorisé par exemple dans un atelier d’échecs. Les enseignants ont compris « l’intérêt aussi pédagogique de la chose » : ils conseillent par exemple un atelier théâtre à celui qui a besoin de reprendre confiance en lui-même …Patrick Belloeil souligne l’importance du mouvement associatif en France qui a selon lui un rôle essentiel à jouer pour accompagner ce changement sociétal. La question de la concurrence possible entre l’aide personnalisée et les ateliers est posée : Philippe Le Bihan explique qu’ils essaient de respecter le plus possible le désir des enfants. Les représentants des parents racontent comment ils ont dépassé leurs éventuelles réticences initiales : ils constatent « un vrai bien-être » chez les enfants, qui leur paraissent moins stressés et accèdent à des activités qui leur resteraient sinon méconnues ; le rapport avec les enseignants, plus disponibles, est lui-même « fluidifié », plus « apaisé ». Cette bonne entente entre la mairie, l’école, les parents, le tissu associatif … existe-t-elle partout ? la situation brestoise est-t-elle privilégiée ? s’interroge une mère d’élève : le ministre explique qu’on peut inverser le raisonnement, autrement dit que c’est peut-être aussi les nouveaux rythmes scolaires qui vont inviter à travailler ensemble, favoriser les collaborations.
Aux journalistes, Vincent Peillon ajoute que la nouvelle organisation de la journée doit permettre à tous les enfants de « mieux apprendre » et d’ « apprendre des choses différentes », de favoriser leur accès à la culture et de développer leur confiance en eux-mêmes : une récente étude, « pénible pour la France », montre que « le niveau des enfants baisse » et que parmi les facteurs il y a « la perte de confiance en soi ». A Paris, Bertrand Delanoë a annoncé qu’il passait dès la rentrée 2013 à la semaine de 4 jours et demi parce que c’est selon lui « un enjeu de civilisation » : « nous sommes ici à Brest pour faire écho ». « Il n’y a pas de proposition alternative », répond-il face au rejet du décret pat le CSE, « nous, nous devons concilier tous les points de vue ». A la question posée sur la capacité du numérique à modifier les temps et modalités d’apprentissage, donc sur le rôle qu’il peut jouer pour briser certains carcans, le Ministre rappelle les ambitions nouvelles qui ont été fixées : « j’ai d’ailleurs le bonheur de vous annoncer que 150 millions d’euros des fonds structurels européens vont être ciblés pour le raccordement numérique des zones rurales, ce qui constitue un effort sans précédent » ; « dans les Ecoles Supérieures du Professorat et de l’Education, la formation aux usages du numérique sera un volet très important ». Le ministre rend aussi hommage aux Rased qui ont toute leur place dans les nouveaux dispositifs : il va s’agir de conforter les réseaux d’aide aux élèves en difficulté en dehors de la classe en les articulant avec les nouvelles modalités de travail à l’intérieur de la classe (le dispositif « plus de maîtres que de classes »), l’Inspection générale prépare d’ailleurs un travail sur cette nécessaire coordination. Vincent Peillon est enfin interrogé sur ce qui s’est passé mardi 8 janvier dans la cantine municipale d’Ustaritz (Pyrénées-Atlantiques) où une petite fille de cinq ans a été appréhendée, par une policière municipale, devant ses camarades, en raison d’un impayé : « Je dis à tous les Français et à tous les élus d’éviter de faire ce genre de choses, qui sont absolument scandaleuses. Il peut y avoir des difficultés avec les parents, jamais on ne doit s’attaquer aux enfants. Tous les enfants de France doivent être dans leur cantine et manger, et ne pas être victimes d’actes, qui, de cette nature, sont des actes de violence. Comme ministre de l’Education nationale, je désapprouve fortement cet acte. Je crois que l’ensemble des Français auront la même considération et de la peine qu’un élu puisse avoir un comportement de cette nature. »
Sonnerie
16 h 15 : c’est la fin des cours à l’école Sanquer et le début des ateliers dont il a été abondamment question. Le ministre peut ainsi visiter différentes salles où les enfants s’adonnent avec bonheur à des activités diverses pour s’initier aux échecs, au street art, au karaté … Le cap, à Brest, a été clairement fixé par Vincent Peillon : « Nous sommes venus voir en situation la réussite de toute une communauté éducative », c’est « ce que nous devons à nos enfants », c’est « ce que nous devons généraliser ». Pour l’ensemble des acteurs, il reste désormais à éviter certains écueils, à résoudre certaines questions qui ne manqueront pas d’être posées : l’expérience brestoise est-elle facilement transférable ? toutes les collectivités trouveront-elles les ressources nécessaires, financières et humaines ? comment articuler les différents temps éducatifs pour que l’école ne se referme pas sur elle-même comme une forteresse, réservant au périscolaire les plages d’ouverture, d’activité et de créativité ?…
Jean-Michel Le Baut