Le ministre de l’éducation nationale a appelé les recteurs à signaler les « incidents éventuels » qui surviendraient dans les établissements sous contrat suite à une déclaration du Secrétariat général de l’enseignement catholique (SGEC) appelant les établissements scolaires catholiques à ouvrir des débats. Entre respect du « caractère propre » des établissements et obligations contractuelles liées à la loi Debré; entre tutelle catholique et autorité académique les chefs d’établissement catholiques sauront-ils à quel saint se vouer ?
La lettre de V. Peillon. C’est en rappelant les risques de dérapages homophobes dans les établissements que Vincent Peillon demande aux recteurs de se montrer vigilants dans une lettre adressée le 4 janvier. « Je vous appelle à la plus grande vigilance à l’égard des conditions du débat légitime qui entoure le mariage pour tous… notamment dans les établissements privés sous contrat d’association », écrit le ministre. « Le caractère propre de ces établissements ne sauraient leur permettre de déroger au strict respect de tous les individus et de leurs convictions ». V Peillon rappelle une « prévalence du suicide chez les jeunes homosexuels plus de 5 fois supérieure que chez les jeunes hétérosexuels » pour rappeler que « l’Ecole doit être un lieu de protection et préserver les sensibilités.. de tous les jeunes. Il convient donc d’appeler à la retenue ». Il demande aux recteurs de l’informer « des incidents éventuels et de toute initiative contraire à ce principe » et de diffuser largement la campagne de communication su rla ligne azur ouverte aux jeunes en questionnement sur leur orientation sexuelle.
La position du SGEC. Le 18 décembre, le SGEC avait diffusé un communiqué rappelant qu’il est » en désaccord avec une évolution législative ouvrant le mariage et la parentalité aux couples homosexuels » et que » l’Enseignement Catholique.. appelle chaque membre des communautés éducatives des 8 500 écoles catholiques à prendre part, en conscience et avec clairvoyance, au débat qui doit enfin s’ouvrir. Le SGEC est l’émanation de la conférence des évêques de France. Il les représente auprès de l’Etat et coordonne les établissements catholiques qui ont la structure juridique d’associations indépendantes dotées de chefs d’établissements nommés par l’évêque local. Cette organisation résulte des compromis issus de la loi de 1905 qui ont eu pour conséquence de faire passer l’enseignement catholique du contrôle des ordres religieux, souvent transalpins, à celui d’évêques français. Parallèlement, dans une lettre envoyée aux chefs d’établissement, le SGEC invite chaque établissement à « prendre les initiatives qui lui paraissent localement les plus adaptées pour permettre à chacun l’exercice d’une liberté éclairée à l’égard des choix envisagés par les pouvoirs publics ». Et il précise : « ces initiatives peuvent être éventuellement le fait des parents d’élèves ». Justement l’association unique de parents d’élèves du privé, l’APEL a pris position contre le projet de loi…
Jusqu’où le caractère propre ? La loi Debré qui régit le contrat d’association avec l’Etat reconnait aux établissements catholiques « un caractère propre » mais il leur impose aussi le respect de la liberté de conscience et il réglemente l’enseignement religieux prodigué dans l’établissement. Représentant de l’autorité académique dans leur établissement mais nommés par une tutelle religieuse, les chefs d’établissement doivent associer ces deux logiques. Ils sont tenus au respect de la liberté de conscience des élèves. Les enseignants depuis la loi de 1985 ne sont plus tenus à promouvoir le caractère propre. Mais, si l’Enseignement catholique a su se comporter en véritable associé avec l’Etat, rapprochant ses enseignements et son fonctionnement pédagogique avec le public, il a su aussi faire sentir sa puissance à l’Etat, par exemple en 1984.
Une question religieuse ou politique ? Dans tous les pays catholiques où la loi sur le mariage a évolué l’Eglise catholique l’a combattu. Le débat a commencé avec la question du genre dans les manuels de SVT. La France a la particularité d’avoir de puissants établissements d’enseignement catholiques qui scolarisent près d’un élève sur cinq. Mais elle a aussi la particularité d’avoir des établissements très intégrés au système éducatif public. Seule une petite minorité de leurs parents est attachée au caractère religieux des établissements et la majorité de leurs élèves navigue entre public et privé. Le discours de l’Eglise, s’il est légitime sur le plan religieux, risque d’avoir une audience limitée. Mais ce discours a aussi une fonction interne. L’enseignement catholique est en train de redéfinir ses fondations et la question du mariage pour tous est aussi un élément des rapports de force internes.
François Jarraud