Il est des mots qui envahissent nos vocabulaires sans coup férir, des maux auxquels on s’habitue tel un tribut aux temps modernes, un prix à payer pour rester sur le parquet de la vie courante. « Burn out », méchant mot que l’on ne peut confondre avec burnous même en le prononçant à la hâte, s’est démocratisé. Vous, moi, votre voisine, la boulangère, le conducteur de train et le patron de la PME d’à côté, tous nous pouvons tomber dans un état de surmenage qui nous précipite dans l’épuisement, les pieds ne sachant plus mettre un pas devant l’autre, l’esprit noyé sous les flots incessants d’idées qui se télescopent.
Le syndrome n’épargne pas l’école, pourquoi le ferait il d’ailleurs ? La scolarité est investie de tant de missions contradictoires, de tant d’espoirs démesurés que les humains qui la font vivre ne peuvent se contenter de faire le dos rond. L’exigence de performance conjuguée avec les attentes sociales et parentales, augmentée du coefficient de crise fois la variation des programmes, l’opération donne une probabilité de craquer sous la pression qui ne fait que progresser. Le stress nait souvent du sentiment d’être incapable d’atteindre les objectifs assignés ou induits, réels ou interprétés. Et puis, il ya les relations humaines, les regards qui pèsent, les réflexions qui minent, les manifestations d’un mécontentement auxquels on ne sait pas faire face.
On est enseignant et un parent fait une remarque désobligeante, exigeant des résultats là où on vise la progression. On est élève et les mauvaises notes s’accumulent assorties de jugements négatifs là où justement on a fait des efforts. On est personnel de direction et les échos des bruits de couloirs négatifs arrivent à nos oreilles quoique l’on fasse. On est parent et les portes de l’école ne s’ouvrent que pour nous donner l’impression que ce monde là nous est étranger. Qui que nous soyons, nous ne voulons même pas de l’amour non, seulement du respect pour ce que nous sommes, des êtres humains tout simplement.
Le regard bienveillant est une denrée rare et pourtant c’est ce dont nous avons besoin. Et de temps aussi, un peu de temps pour souffler, pour ne pas prendre en pleine face des paroles, des mots anodins qui se transforment en rivière de remous dans notre cerveau fatigué. Le rythme de nos journées dicte aussi les pas de nos ressentis. Les petites agressions glissent sur les esprits clairvoyants. Les manifestations d’acrimonie importent peu quand on peut se ressourcer quelques instants dans le temps suspendu, celui des rêves, de la poésie, de l’imaginaire. Alors, sans doute la loi d’orientation ne nous parlera pas de ces interstices individuels où le stress nait faute de s’être vu accorder le droit à la parenthèse, le droit à l’oubli momentané. Instaurons des temps de rire, des temps de relaxation, des temps d’ennui, des temps de parole libre en mode collectif et individuel et des lieux qui les permettent dans nos enceintes scolaires. Le jour où sur nos emplois du temps, ces parenthèses seront inscrites, loin de la performance, loin de la pression, alors sans doute nous gommerons le « burn out » de notre vocabulaire.
Monique Royer