Pour Bruno Suchaut, chercheur associé à l’IREDU, URSP (Vaud), la décision de report de la réforme des rythmes scolaires est une mesure adéquate. Loin de plomber la refondation elle permettra d’en assurer les bases.
L’annonce du Président de la République lors du congrès des maires de France, qui prévoit de donner la possibilité aux collectivités locales de ne rendre effective la semaine scolaire de quatre jours et demi qu’à la rentrée 2014, est sans aucun doute la décision la plus adéquate qu’il fallait prendre sur le plan politique. Face aux inquiétudes des communes sur leur capacité à mobiliser les ressources nécessaires, face également aux interrogations, voire à la réticence du monde enseignant pour ce projet de réforme encore peu défini, il fallait rapidement apporter une réponse qui peut donner une certaine marge de manœuvre aux décideurs dans les négociations en cours. Si cette décision peut en effet à court terme rassurer momentanément les acteurs, elle ne change rien sur le fond et le dossier des rythmes scolaires et plus généralement de la réforme de l’école primaire reste ouvert et peu nourri en termes de propositions effectives pour une véritable refonte de l’école.
Il est frappant de constater que le débat sur les rythmes scolaires et le passage à la semaine de quatre jours et demi a absorbé tous les autres questionnements sur la réforme de l’école. Tout se passe comme si ce seul changement de répartition du temps dans la semaine pouvait, indépendamment de sa répartition dans l’année, et surtout indépendamment d’une évolution de l’organisation pédagogique des écoles et des pratiques, résoudre les sérieux problèmes de qualité et d’inégalités dont souffre notre système scolaire, et cela très tôt dans les parcours des élèves.
Tous les travaux de recherche au niveau international montrent clairement que le temps, s’il est bien la ressource de base nécessaire aux apprentissages des élèves, ne peut être pensé que dans sa dimension quantitative, en termes de volume (nombre d’heures) et de répartition dans l’année, la semaine ou la journée. Les pays qui prescrivent le plus d’heures d’enseignement au fonctionnement de leur système éducatif ne sont pas forcément ceux qui ont les meilleurs résultats. Les études françaises qui ont comparé plusieurs organisations du temps dans la semaine n’ont relevé que peu de différence au niveau des acquisitions des élèves en raisonnant « toutes choses égales par ailleurs » (milieu social notamment). Bien sûr, à un niveau beaucoup plus micro, et quand on se limite à la répartition du temps dans la journée, certains constats sont indéniables : la vigilance des enfants est faible en début de matinée et en début d’après-midi suivie d’une augmentation au cours de chaque demi-journée. Par ailleurs, l’augmentation de cette vigilance influence positivement les performances intellectuelles alors que parallèlement, les contraintes biologiques deviennent plus faibles (fatigue, tension artérielle etc.). Une organisation du temps qui tiendrait compte des résultats des recherches dans ce domaine limiterait donc le temps d’enseignement à une vingtaine d’heures jusqu’au CE2 avec des journées moins longues. Cela aurait donc pour conséquence d’organiser la semaine sur 4 jours et demi ou 5 jours et de réduire la durée des congés d’été d’une ou 2 semaines. Les séquences d’apprentissage devraient être placées à des moments où les élèves sont les plus réceptifs, il faudrait aussi prévoir une mise en route progressive des activités en début de matinée et les débuts d’après-midi devraient être consacrés à des activités non scolaires.
C’est donc bien sur ces principes que la réforme de l’organisation du temps scolaire doit se baser mais cela ne suffit pas en soi pour atteindre les objectifs qualitatifs visés. Encore une fois, la répartition du temps d’enseignement doit être envisagée comme un moyen et non seulement comme une finalité au risque de mobiliser des moyens et de l’énergie sans que les effets escomptés n’apparaissent. L’idée de penser l’application de la réforme en deux temps (pour les rentrées 2013 et 2014) ne fait pas l’économie de propositions concrètes et ambitieuses pour améliorer la situation actuelle des élèves et des enseignants en donnant à ceux-ci des conditions meilleures pour remplir leurs missions, notamment en ce qui concerne la prise en charge et le traitement de la difficulté scolaire. Une nouvelle organisation du temps implique une coordination étroite entre les acteurs éducatifs au niveau local et l’Education nationale pour mieux articuler les temps scolaires et périscolaires. Elle doit aussi permettre d’organiser l’école de manière plus efficace avec des regroupements d’élèves à faibles effectifs sur plusieurs périodes de la semaine, c’est la condition principale de la lutte efficace contre la difficulté scolaire. Cela ne pourra se faire que si une synergie plus forte existe dans les interventions des différents adultes (enseignants et intervenants municipaux) dans un projet global qui prend en compte l’ensemble des activités proposées aux élèves au cours de la semaine.
A un mois des congés de Noël, il reste encore beaucoup à faire, au-delà des annonces, pour parvenir à élaborer un cadre législatif à la réforme de l’école qui ne doit pas se limiter au passage à la semaine de quatre jours et demi. L’engagement d’une mise en place progressive du changement des rythmes scolaires ne donne pas davantage de temps au Ministère pour parvenir à faire accepter par la communauté éducative des propositions concrètes qui touchent aux différents aspects associés à la question des rythmes scolaires : horaires d’enseignement, modalités de l’aide aux élèves, temps de service des enseignants… La réforme souhaitée est ambitieuse et, au-delà de meilleures conditions d’apprentissage des élèves, elle se doit aussi de fournir de meilleures conditions de travail aux enseignants dans un partenariat plus grand avec les intervenants des collectivités.
La diversité des contextes locaux nécessitera de fait la possibilité de déclinaisons en référence à des grands principes nationaux. Le fait que certaines communes disposent de davantage de temps pour penser, prévoir et planifier les nouveaux besoins en matière d’encadrement des élèves, ne dispense en rien les décideurs d’élaborer, dès maintenant, un cadre national à le fois ambitieux et suffisamment souple pour que la réforme atteigne ses objectifs. On ne pourrait en effet guère envisager que la rentrée 2014 se fasse dans des conditions différentes que la rentrée 2013… Cette annonce de mise en place progressive ne relève pas d’une expérimentation qui ferait l’objet d’ajustements ultérieurs mais bien d’une vraie réforme applicable progressivement au niveau des territoires et dont les modalités demandent à présent à être annoncées elles aussi et soumises à la concertation.
Bruno Suchaut