Alain Van Sante, Conseiller TICE du Recteur de l’académie de Rennes a organisé le mardi 20 novembre une journée dense et complète autour du thème de l’enseignement et de l’apprentissage avec le numérique. A la suite du temps de travail organisé en septembre à Plescop qui avait posé les questions principales que la région voulait soumettre dans le cadre de la refondation de l’école, ce premier séminaire a permis aux 300 participants de réfléchir ensemble aux fondements même de cette question.
L’ouverture de la journée par la vice présidente du conseil régional de Bretagne a été pour elle l’occasion de rappeler l’engagement de la région dans le développement des ENT mais surtout dans le déploiement d’une maintenance de qualité. La région a identifié combien la question de la maintenance était vive et s’est engagé dans un programme audacieux, dont on peut s’étonner qu’il n’arrive que maintenant. Au delà de ces questions, la région est engagée dans une réduction des inégalités liées au numérique, aussi dans un accès pour tous à ces technologies par l’accompagnement et la formation et enfin à rechercher un rapprochement entre les populations par le numérique.
Le recteur de l’académie, Alexandre Steyer a présenté cette journée comme une étape supplémentaire dans l’initiative académique. Pour lui, le numérique n’est plus une question, mais une évidence, une réalité avec laquelle il faut composer. Développer le travail collaboratif, mettre le numérique au service de la pédagogie, utiliser le numérique pour améliorer les liaisons école/collège et lycée/enseignement supérieur.
La journée a été organisée principalement autour de trois intervenants principaux. Ayant pour vocation de dresser un état des lieux. A partir de la psychologie cognitive, avec Alain Lieury, il a été question de l’efficacité du numérique dans la mémorisation. Alain Lieury a d’abord rappelé que l’influence du numérique sur les compétences scolaires était très faible, en s’appuyant sur une étude de la DEPP auprès de 30 000 élèves. Il a ensuite abordé la question de l’opposition habituelle entre auditif et visuel, et il nous a montré que cette distinction n’était pas opérante comme le sens commun peut le laisser croire. Tout d’abord l’image n’a pas de potentiel de mémorisation supérieur au son en particulier dans l’apprentissage des mots. Alain Lieury a ensuite montré qu’on pouvait tout à fait apprendre avec du « bruit » autour de soi. Par contre il a démontré que si ce sont des paroles et non plus du bruit les performances baissent significativement. En se basant sur la théorie du double codage, il nous a permis de comprendre l’importance du codage verbal qui s’effectue même à partir d’images. Ce qui est particulièrement important pour Alain Lieury c’est le choix des types de supports (textes, audio, visuel, audiovisuel), leur pertinence en regard de l’activité, en prenant soin d’éviter toute surcharge. La fin de son exposé a permis de mettre en évidence les risques de l’hypertexte comme pouvant « gêner » l’apprentissage et la mémorisation. En synthèse, on peut dire que le chercheur a mis le doigt sur la nécessité de sortir des allant de soi sur l’efficacité supposée du numérique pour la mémorisation et s’appuyer sur des travaux qui permettent aux enseignants d’éviter de commettre des erreurs qui nuiraient aux élèves.
Dans une vision anthropologique, Pascal Plantard de l’université de Rennes 2, a éclairé la question des fractures numériques qu’il renomme d’ailleurs inégalités numériques en nous invitant à entrer dans l’ère de la banalisation, à la suite de celles de l’innovation et de la massification. Définissant l’usage comme « un ensemble de pratiques socialisées », il nous a fait prendre conscience que à cette massification correspond une augmentation des compétences en informatique en lien avec l’intensification des pratiques. Le bémol qu’il a apporté concerne les plus jeunes, qui manquent de repères et de confiance par rapport au numérique, peu aidés en cela par des parents qui méconnaissent souvent les soucis de leurs enfants face au numérique. Pour Pascal Plantard on peut nommer le développement des usages à partir des 3B : Braconnage, Bricolage, Butinage. C’est pourquoi, à l’instar de Lucien Sfez, il invite les enseignants à faire « avec, par et dans » le numérique. On ne peut pas faire comme si le numérique n’existait pas a-t-il conclu en invitant à l’émergence d’une « ingénierie pédagogique ». En rappelant les travaux qu’il mène avec le GIS Marsouin, Pascal Plantard nous a fait prendre conscience que l’éducation au numérique concernait toute la population, SDF, handicapés, isolés sociaux etc… compris. Il a d’ailleurs mis en évidence l’importance de ce facteur de l’isolement social comme corrélé avec la difficulté face au numérique. Ainsi quand quelqu’un dit : « je ne vois pas pourquoi, dans ma situation sociale, j’utiliserai le numérique » il faut l’analyser comme un indicateur de perte de socialité complémentaire de l’isolement général. L’engagement dans une lutte contre les inégalités numériques passe donc aussi par l’école, mais pas seulement par l’école
La deuxième partie de la journée s’est centrée sur les enseignants, les établissements et les pratiques. Quatre témoignages ont inauguré l’après-midi M. Paul du CRDP de Besançon a présenté les expérimentations qu’il mène avec les tablettes numériques. Il nous a permis de nous rendre compte que les tablettes sont un facteur de confiance, elles « rendent capable », même des personnes âgées, complétant sa présentation sur le monde scolaire par un regard plus large que lui permet sa pratique. Xavier Mercier a lui montré comment, en mathématique des situations problèmes permettent aux élèves de s’engager dans une réflexion à l’aide de logiciels de géométrie dynamique. Quand à Didier Perret il nous a montré comment les TPE en lycée étaient une des meilleurs opportunités pour engager l’usage du numérique par les élèves. Ces deux enseignants ont été suivis du proviseur du lycée professionnel Bel Air de Tinténiac, assisté du responsable du développement numérique pédagogique de l’établissement (par ailleurs professeur de lettres-histoire). La présentation a mis en évidence l’importance de penser le numérique de manière globale mais aussi de manière locale. La pensée globale évoquée ici est celle d’une impulsion du numérique au plus prés des pratiques réelles. La pensée locale c’est qu’au delà d’une architecture unifiée, il y a des mises en place différenciées des équipements en fonction des seuls besoins pédagogiques et didactiques des enseignants. En permettant aux enseignants de définir eux-mêmes les spécificités de leurs usages et donc des équipements, le proviseur a pu répondre à ce qui est essentiel dans l’établissement qui s’engage dans le numérique de façon généralisée : l’implication du plus grand nombre autour d’un projet commun.
Bruno Devauchelle, enseignant chercheur à l’université de Poitiers, a ensuite tenté de faire le point sur les pédagogies en lien avec le numérique. Constatant qu’il fallait prendre soin de la variété des contextes pour parler des usages du numériques, il a essayé de montrer combien l’action des enseignants se trouvait « gênée » par le numérique : non seulement les machines encombrent le paysage de la classe, mais aussi le numérique traverse les élèves et fait irruption dans un quotidien dont les limites ne sont plus les seuls murs de l’établissement scolaire. Sa conclusion a été de dire qu’il n’y a pas de pédagogie numérique, mais des pédagogies à l’ère du numérique. Pour développer ces pédagogies, outre les contextes, il y a aussi la nécessité d’une culture personnelle de l’enseignant qui lui permette d’accompagner les élèves, considérés ici aussi comme des jeunes, mais aussi de les aider à structurer leur environnement de vie envahit par le numérique.
Avant de finir la journée, jean Loup Burtin responsable du numérique pour le premier degré à la DGESCO nous a montré qu’il y avait la volonté de poursuivre le développement des usages, du partage d’expériences (Primtice). Cette volonté, bien que modeste en termes de moyens humains, est réelle et l’arrivée des tablettes numériques est une opportunité pour tenter d’aller plus loin. C’est en particulier dans un domaine particulier qu’il nous a présenté : l’accès aux textes littéraires par le numérique à l’école primaire. En nous montrant le potentiel des logiciels de lecture enrichie de livres numériques sur tablette au travers de quelques exemples simples, il a su nous amener à penser que des outils plus perfectionnés pourraient bien accompagner de mieux en mieux les enseignants dans cette tâche délicate et ainsi faciliter les apprentissages.
Alain Van Sante, IA IPR d’Economie Gestion et conseiller TICE du recteur de Rennes, a dressé un portrait de l’avancée qui était en cours dans le domaine du numérique. Avec honnêteté, il a permis à chacun de mesurer la complexité de la tâche (en nous montrant par exemple la montée en puissance des usages des espaces en ligne), aussi bien au niveau des infrastructures (incluant la maintenance) que de la formation des enseignants, de l’équipement des établissements et la mise à disposition de ressources. C’est sur ces quatre piliers qu’est fondé le développement du numérique en éducation dans la région. A chacun de s’engager, suite à une telle journée qui a connu un succès inattendu pour ses organisateurs, pour transformer tout cela en pratiques effectives, dans les classes au service des élèves.
Bruno Devauchelle