Dans cette seconde partie, Rémi Brissaud analyse la période qui va de Chevènement à Luc Chatel. Comment, selon lui, de mauvais choix officiels ont entrainé la baisse du niveau en maths pour les écoliers. Règlement de comptes avec 4 anciens ministres…
Le basculement de 1986 : un fiasco impossible à empêcher
J.-P. Chevènement et le basculement de 1986 : un malentendu
Remarquons tout d’abord qu’au niveau politique, ce basculement résulte d’un malentendu complet. En effet, c’est alors que Jean-Pierre Chevènement est ministre de l’Éducation nationale qu’est publié le premier texte institutionnel qui accompagne ce basculement. C’est la circulaire sur l’école maternelle dans laquelle on lit : «Progressivement, l’enfant découvre et construit le nombre. Il apprend et récite la comptine numérique ». Le ministre pensait évidemment que ce changement s’effectuait dans le bon sens, lui qui est l’inspirateur du mouvement des enseignants « républicains » : enfin, on allait se remettre à enseigner les nombres à l’école ! Il était loin d’imaginer qu’enseigner le comptage à l’école selon la pédagogie de sens commun, c’était importer en France la culture pédagogique des premiers apprentissages numériques qui prévaut aux États-Unis. Il était encore plus loin d’imaginer que cela produirait un effondrement du calcul chez les écoliers français. Il est vrai que Jean-Pierre Chevènement n’a fait qu’initier un processus : dans les instructions et textes d’accompagnement qui ont suivi, les enfants devaient apprendre à compter-numéroter toujours plus tôt, toujours plus loin. Il faut en tirer une leçon, valable pour tous les champs didactiques : un ministre ou ses conseillers les plus proches n’ont pas intérêt à ignorer la culture pédagogique de leur pays concernant l’enseignement de tel ou tel contenu. Au risque d’agir à rebours de ce qu’ils croient faire.
Dans l’Education Nationale : la pensée unique
Vu la façon dont fonctionne l’institution Éducation Nationale, il était pratiquement impossible de s’opposer à ce basculement. En effet, ce fonctionnement est presque entièrement au service de la diffusion de ce que certains pensent être les « bonnes pratiques pédagogiques » et il ne favorise pas les échanges et les débats qui pourraient permettre d’apprécier les points forts et faibles de telles ou telles pratiques pédagogiques. Le basculement de 1986 en est une illustration typique.
Au départ, donc, il y a la volonté politique d’un enseignement plus précoce, volonté qui rencontre les travaux d’une équipe de mathématiciens de l’INRP travaillant dans des GS de maternelle. Dans l’introduction de l’ouvrage connu sous le titre Ermel GS (1990), une Inspectrice Générale résume ainsi le projet de ces mathématiciens : « s’agissant des jeunes enfants, l’hypothèse est posée que dans la genèse du concept de nombre, le nombre pour compter joue le premier rôle et le plus important. »
D’emblée, on prend conscience d’une anomalie : une Inspectrice Générale considère comme banale cette hypothèse alors qu’elle est en rupture totale avec la culture pédagogique de l’École de la République depuis pratiquement sa création. Or, s’il y a des personnes dans l’administration de l’Education Nationale qui devraient être les garants de la mémoire de cette culture, ce sont évidemment les Inspecteurs Généraux. A sa décharge, la période 1970-1986 est largement responsable de l’oubli quasi généralisé de cette culture : quand tout comptage est banni de l’école, comment entretenir la mémoire des méfaits du comptage numérotage ? De plus, à l’époque, les défenseurs de l’activité des « boîtes nombres » mettaient en avant d’autres arguments que le travail des décompositions des nombres qu’elle impliquait ou le refus du comptage numérotage : la description originelle de cette activité, celle de Guy Brousseau (1972), est ainsi devenue un texte célèbre parce qu’il y présentait pour la première fois une façon d’analyser avec précision la progressivité, avec des phases centrées sur les actions des élèves, puis des phases de formulation de ce que les élèves ont fait précédemment ; et, enfin, des phases où l’on se met d’accord au sein de la classe sur ce qui a été appris (les didacticiens appellent ces dernières des phases d’ « institutionnalisation »). Les didacticiens insistaient beaucoup plus sur ce type d’analyse que sur le travail de décomposition des nombres qu’impliquait l’activité des « boîtes nombres ».
Les pratiques pédagogiques d’après 1970, lorsqu’on analyse ce qui se faisait en classe, ne constituaient d’aucune façon une rupture avec les fondamentaux de la culture pédagogique de l’école française, mais aucun discours les accompagnant ne le signalait. C’est ainsi que, si la réforme des mathématiques modernes n’a pas dégradé les performances en calcul des élèves, et les résultats de la DEPP en attestent, elle nous a fait oublier notre culture pédagogique des premiers apprentissages numériques qui peut se caractériser ainsi : rejet d’un enseignement du comptage numérotage pour miser sur celui des décompositions afin de favoriser la compréhension et la mémorisation. Le basculement de 1986 s’en est trouvé facilité et l’on comprend mieux que l’Inspection Générale n’ait pas eu le rôle de gardien de la mémoire de la culture pédagogique qui aurait dû être le sien. Un phénomène aggravant fut la disparition ultérieure des inspections et des inspecteurs-trices des écoles maternelles, ce qui a conduit à d’autres préoccupations les personnes qui étaient les mieux à même de nous rappeler cette culture. L’oubli s’est installé, et pour longtemps.
Quand Ermel a commencé à travailler avec l’hypothèse selon laquelle « le nombre pour compter joue le premier rôle », on aurait pu penser que l’hypothèse en elle-même aurait été testée. Mais, dès 1985, la machine est lancée : des dizaines de professeurs d’Ecoles Normales se mettent à inventer des séquences pédagogiques conformes à cette hypothèse, des dizaines d’instituteurs se mettent à les « expérimenter ». Tout ceci avec l’enthousiasme qui accompagne une telle révolution. Dès 1986, les « documents de travail » qu’ils utilisent se diffusent dans les Ecoles Normales et quand Ermel GS paraît, en 1990, quiconque est candidat au concours de professeur des écoles (qui vient d’être créé), à l’examen de PEMF ou au concours d’IEN, a plutôt intérêt à défendre des idées conformes à l’hypothèse qui est celle d’Ermel.
Là encore, pour mieux comprendre ce qui s’est passé à cette époque, et ce qui a suivi, il faut rappeler que l’enseignement du comptage « à la Gelman » est un enseignement selon le sens commun. C’est ainsi que procède n’importe quel adulte qui n’a pas été formé à l’enseignement des enfants. La métaphore du barrage dont on ouvre les vannes rend assez bien compte de ce qui s’est produit : une fois les vannes ouvertes, la vague déferle et l’eau se répand partout très rapidement. Renverser le cours des événements devient vite quasi impossible, surtout si celui qui a ouvert les vannes — et pourrait seul les refermer —l’a fait en croyant bien faire.
L’un des biais de l’étude menée par les mathématiciens de Ermel est qu’ils ont élaboré des séquences pour la GS, certes, mais pas pour la PS ou la MS. Ils observent évidemment des enfants qui se trompent quand ils comptent. Alors, quand ces enfants ne respectent pas la correspondance 1 mot – 1 objet, par exemple, ils préconisent d’organiser une sorte de débat avec les enfants à propos de cette erreur. L’enseignant peut le faire en animant une poupée qui compte « à la Gelman » mais qui se trompe parce qu’elle ne repère pas le dernier mot prononcé ou parce qu’elle effectue mal la correspondance 1 mot – 1 objet : à un moment, elle saute un objet ou bien elle dit 4-5 en pointant le même objet, par exemple. La tâche des enfants est de repérer l’erreur de la poupée (Gelman elle-même avait utilisé cette façon de faire à des fins de recherche). À aucun moment, les mathématiciens d’Ermel n’envisagent qu’une autre façon de parler les premiers nombres en PS et en MS, basée sur les décompositions de ces nombres, diminuerait considérablement ce type d’erreur parce qu’il permettrait que l’apprentissage du comptage à l’école soit d’emblée celui du comptage dénombrement, c’est-à-dire un apprentissage guidé par la compréhension plutôt qu’un apprentissage de règles dont l’enfant ne maîtrise pas les raisons.
En psychologie, dès cette époque, la théorie de Gelman commençait à être critiquée aux États-Unis et, m’appuyant sur ces travaux critiques et certains textes des pédagogues « anciens », j’ai rédigé divers articles invitant à la prudence dans la réhabilitation du comptage. Ils s’intitulaient par exemple : « Compter à l’école maternelle ? Oui, mais… » (1989b), « Le comptage en tant que pratique verbale : un rôle ambivalent dans le progrès des enfants » (1995a) ou « Calculer et compter de la petite section à la grande section de maternelle » (1990). Le titre de la réponse à ce dernier texte, rédigée par deux des principaux animateurs de l’équipe Ermel, suffit presque pour en appréhender le contenu : « Calcul ou comptage ? Calcul et comptage ! ». Je défendais l’idée que l’enseignement du comptage numérotage fait obstacle à l’accès au calcul et qu’un mode d’expression compatible avec le calcul le facilite, et ceci dès la PS. Eux plaidaient de façon diplomatique pour que les enseignants acceptent toutes les procédures utilisées par les élèves. C’était habile : entre Ermel GS qui s’ouvrait par l’aphorisme de Bachelard : « L’enfant n’est pas un vase qu’on emplit mais un feu qu’on allume » et une mise en garde appelant à la méfiance vis-à-vis d’un comportement courant et semblant aller de soi (le comptage numérotage), il n’y a pas eu photo.
Toujours pour comprendre ce qui s’est passé , il faut insister sur le fait que, pour les mathématiciens de Ermel, compter « à la Gelman » leur apparaissait naturel. Leur problématique était donc la suivante : quelles situations devons-nous inventer pour rendre les élèves plus performants dans leurs comptages (numérotages). Ils cherchaient par exemple à ce qu’ils découvrent des raccourcis tels que compter à partir d’un nombre donné plutôt que tout compter depuis le début, ce qu’on appelle aussi le « surcomptage », qui peut être utilisé pour déterminer une somme quand on ne sait pas la calculer. À l’époque, grâce à des travaux de psychologie interculturelle, il était possible d’avoir plus de distance vis-à-vis du caractère « spontané » du comptage numérotage. C’est ainsi que Fuson (Fuson & Kwon, 1992), après avoir étudié pendant près de quinze ans comment les enfants états-uniens découvrent de nouvelles stratégies de comptage pour résoudre des problèmes d’addition et de soustraction, observe chez des enfants coréens un cheminement très différent, fondé sur l’usage de stratégies de décomposition-recomposition. Or, ce cheminement s’avère autrement plus rapide : les enfants asiatiques ont, pour l’essentiel, mémorisé les résultats des additions élémentaires en fin de CP ; les enfants vivant aux États-Unis, un an et demi à deux ans plus tard (Geary et col, 1992). Karen Fuson écrit en 1992 : « Les stratégies utilisées par les enfants trouvent toujours leur origine dans des pratiques culturelles, qu’elles soient propres au contexte scolaire ou qu’elles proviennent de l’environnement social plus global de l’enfant ; ces stratégies ne surgissent pas d’un vide culturel ou expérientiel. Il est très important que nous nous interrogions sur les méthodes qu’il convient de favoriser plutôt que d’accepter systématiquement celles qui sont découvertes par les enfants parce qu’elles seraient naturelles » (p. 163). Les mathématiciens d’Ermel ne connaissaient pas ces travaux.
C’est la même équipe Ermel, élargie à d’autres didacticiens des mathématiques qui, en 2002, a rédigé des programmes conduisant les élèves d’école maternelle à compter encore plus tôt, encore plus loin, sans jamais distinguer l’enseignement du comptage « à la Gelman », d’une autre façon de l’enseigner. Quiconque n’était pas d’accord avec ces préconisations était ignoré des responsables de la préparation des programmes.
Et dans la recherche en psychologie ?
Du côté du discours institutionnel, donc, la « pensée unique » régnait. Et dans le domaine de la psychologie ? Bien qu’il fût possible à l’époque de s’appuyer sur quelques travaux pour critiquer l’enseignement du comptage numérotage (ceux de Karen Fuson, notamment), il était encore loin d’être facile de défendre un autre point de vue que celui de Gelman. Cette période est celle où, en quelques années seulement, l’enseignement de la psychologie à l’Université se transforme profondément : la perspective piagétienne, auparavant hégémonique, est très critiquée et la psychologie cognitive, elle, s’affirme conquérante. Ces périodes favorisent généralement l’engouement pour la perspective nouvelle : on croit que le nouveau paradigme va permettre de mieux comprendre le monde, on fonde de grands espoirs dans les applications pratiques qui seront les siennes, notamment dans le domaine de l’éducation. Cela conduit souvent à un certain scientisme.
De plus, ce sont des périodes où les travaux sont souvent interprétés à travers la grille de lecture que constitue l’opposition entre l’ancien et le nouveau paradigme. Dès la publication de « Comment les enfants apprennent à calculer » (1989a), certains psychologues se sont intéressé à ce que j’écrivais alors ; ils s’y intéressaient donc quelque temps avant qu’en 1997, je sois devenu maître de conférences en psychologie cognitive (après avoir été professeur de mathématiques pendant 20 ans en École Normale puis en IUFM). En 1995, un chercheur en psychologie commentait ainsi l’un de mes écrits : « R. B. passe en revue les approches théoriques et les observations empiriques afin de faire apparaître les faiblesses de la théorie de Gelman et l’intérêt de procédures sollicitant les décompositions-recompositions. S’il faut concéder que les travaux de Gelman ont probablement privilégié abusivement le rôle du langage, il convient également de rappeler que cet abus a succédé à un autre qui, lui, a consisté, pour Piaget, à n’accorder aucune fonction au langage dans la construction des notions arithmétiques. »
Or, mettre l’accent sur les décompositions, ce n’est d’aucune façon considérer que Gelman accorde trop d’importance au facteur langagier, ce n’est pas non plus absoudre Piaget pour son étude insuffisante du facteur langagier, c’est souligner l’ambivalence de ce facteur : le langage crée des obstacles au progrès lorsqu’on enseigne le comptage « à la Gelman » alors qu’il favorise ce progrès lorsqu’on privilégie la signification cardinale des mots-nombres avec l’emploi de décompositions. En enseignant le comptage numérotage, on oblige les enfants à un apprentissage implicite des nombres et du calcul alors qu’en décrivant les nombres à l’aide de décompositions, on en favorise un apprentissage explicite. Certaines idées, parce qu’elles s’insèrent mal dans la grille de lecture dominante du moment, s’avèrent difficiles à apprécier pour ce qu’elles sont.
Rappelons quand même que Rochel Gelman soutenait que les jeunes enfants comprennent de manière innée ou presque, ce qu’elle appelait les « principes du comptage », y compris le « principe cardinal » (pour elle : le dernier mot prononcé désigne le nombre). Pour quiconque a travaillé avec de très jeunes enfants, cette thèse aurait dû d’emblée apparaître peu crédible. À l’époque, cependant, la plupart des chercheurs en psychologie qui étaient critiques vis à vis de la thèse de Rochel Gelman, avaient pleinement conscience que Piaget n’avait pas suffisamment étudié le comptage. Alors, pour eux, la vérité devait se trouver dans un entre-deux qu’ils n’arrivaient pas à définir. À l’époque, par exemple, s’il fallait construire un outil diagnostic pour évaluer ce que sait un enfant dans le domaine du nombre, le psychologue y mettait quelques tests piagétiens et puis… il vérifiait le respect des principes du comptage « à la Gelman ».
Il faut le dire : la timidité avec laquelle, à l’époque, un grand nombre de chercheurs en psychologie se sont démarqués de la thèse de Rochel Gelman, peut servir d’excuse aux mathématiciens de l’équipe Ermel et aux responsables de l’éducation nationale qui ont promu leurs travaux.
De même, dans les années 90, nous n’étions, à ma connaissance, que deux chercheurs dans la psychologie francophone à lier fortement la mémorisation des résultats d’additions élémentaires à l’usage de stratégies de décomposition-recomposition comme : 8 + 7 = 8 + 2 + 5 ou 9 + 4 = 9 + 1 + 3. Il y avait Jean-Paul Fischer (1992) qui a développé une théorie générale de la mémorisation et qui, pour argumenter en faveur de cette théorie, s’est appuyé de manière privilégiée sur l’exemple de ces stratégies de décomposition-recomposition, et moi-même. Dans mon parcours de chercheur, cette conviction que l’usage de stratégies de décomposition-recomposition et la mémorisation ont partie liée, résultait de l’étude de la façon dont des enfants sourds profonds mémorisent les relations numériques : j’avais eu la surprise d’observer quelques enfants qui, grâce à l’usage de ce type de stratégies, mémorisaient mieux les résultats d’additions que la plupart des enfants entendants (Brissiaud, 1995b). Mais elle résultait surtout de ma connaissance des textes des anciens pédagogues. En 1989, j’utilisais souvent l’expression « calcul pensé » pour parler des stratégies de décomposition-recomposition et je défendais de la façon suivante l’usage de telles stratégies comme alternative à l’apprentissage par cœur des tables, pour mémoriser les résultats d’addition (Brissiaud,1989a) : « La mémoire n’est pas un sac dans lequel sont retenues des informations isolées et statiques ; il convient mieux de se la représenter comme un réseau où les informations sont reliées entre elles par des liaisons complexes, structurées et organisées de manière dynamique et plastique. C’est ainsi que la détermination d’un résultat par un calcul pensé est l’occasion de construire de telles liaisons. Cette pratique du calcul pensé est en elle-même un élément du processus de mémorisation. La mémorisation ne suit pas, elle accompagne et, peut-être même, résulte. » C’était une tentative pour reformuler avec les mots disponibles à la fin du siècle dernier, ce que les pédagogues du début du même siècle, exprimaient avec les leurs.
Dans les années 90, la théorie de Jean-Paul Fischer, comme cette façon de décrire la mémorisation, trouvèrent très peu d’échos. Il n’est pas anodin de remarquer que Jean-Paul Fischer est lui aussi un ancien professeur de mathématiques en Ecole Normale devenu ensuite enseignant chercheur en psychologie. C’est donc la capacité de la psychologie à intégrer des problématiques venues de l’éducation qui est en cause.
Nous verrons dans la prochaine section qu’aujourd’hui, le paysage théorique de la psychologie cognitive a beaucoup changé. Mais avant de le montrer, il faut absolument souligner que je ne suis pas dépourvu de responsabilité dans les conséquences du basculement de 1986 en termes d’échec scolaire. Et cela, même si je peux invoquer des circonstances atténuantes : on trouvait dans mon ouvrage de 1989 un grand nombre de signaux d’alerte, on y trouvait la première présentation de la distinction fondamentale entre comptage numérotage et comptage dénombrement (à l’époque j’opposais comptage numérotage et dénombrement, ce qui était moins explicite). On peut même considérer que le souci d’éviter l’enseignement du comptage numérotage était le fil conducteur de l’ouvrage. On y trouvait l’explication, qui vient d’être rappelée, du fait que les stratégies de décomposition-recomposition favorisent la mémorisation des résultats d’additions élémentaires. Mais il faut avouer que j’étais loin d’anticiper l’ampleur des conséquences de ce basculement et j’ai commis l’erreur de recommander l’usage d’une file constituée d’une suite de cases numérotées. On parlera dans la suite d’une « file numérotée » (les pédagogues parlent souvent de « file numérique » alors qu’elle est loin de toujours fonctionner de manière numérique) Or, la seule présence d’une file numérotée en classe, conduit de nombreux élèves au comptage numérotage, avec des conséquences défavorables au progrès.
Ainsi, depuis 1986, et non auparavant, les enseignants utilisent couramment cette file numérotée pour apprendre aux enfants de GS et de CP à retrouver l’écriture chiffrée d’un mot-nombre à partir de son écoute. Dans une telle situation, et s’il s’agit de « huit », par exemple, l’enfant dispose au départ de la sonorité de ce mot (on vient de le lui dicter, par exemple) et il voudrait savoir comment se dessine le chiffre correspondant. Il peut alors prendre une file numérotée commençant par « 1 » et en compter les cases jusqu’à entendre « huit » : il voit alors un petit rond dessiné au-dessus d’un plus grand ; c’est le chiffre 8. Mais ce que l’enfant retrouve ainsi, c’est la case numéro « 8 » ; s’il s’était arrêté avant, ça aurait été « la 7 ». C’est donc la signification numéro qui fonctionne dans un tel contexte. De plus, certains enfants deviennent dépendants de l’usage de cette file et les gestes graphiques leur permettant d’écrire les chiffres résultent alors systématiquement de cette copie des dessins figurant dans les cases de la file numérotée. Ils l’effectuent tantôt d’une façon, tantôt d’une autre et, pour chaque chiffre, ils ne mémorisent pas la trajectoire du geste qui, de façon stabilisée, leur permettra leur vie durant d’écrire le chiffre correspondant. Or, de nombreuses recherches récentes conduisent à penser que la mémorisation de cette trajectoire participe grandement à l’apprentissage de la lecture-écriture des chiffres (Fischer, 2010 ; Labat et col., 2010).
Concernant l’apprentissage du calcul, les conséquences sont pire. Même si, à l’époque, j’incitais à utiliser la file numérotée avec beaucoup de précautions, je suis convaincu aujourd’hui que toutes les précautions possibles n’empêcheront pas que cela retarde le progrès vers le calcul. En effet, quand une file numérotée est affichée au-dessus du tableau, les élèves l’utilisent également pour retrouver le résultat d’une addition telle que 8 + 5. Ils procèdent presque comme le faisait l’élève « mal débuté » qu’évoquait Henri Canac : 8, 9, 10, 11, 12, 13. Avec cet outil, ils n’imaginent pas 5 doigts mais ils comptent 5 sauts de 1 case et ils recopient le numéro de la case d’arrivée. Cette file numérotée n’apparaissait d’ailleurs dans aucun manuel ou fichier de CP d’avant 1986, elle n’était jamais affichée dans les classes et les élèves calculaient bien mieux.
Aujourd’hui, des raisons d’espérer
Des recherches en psychologie qui confortent la culture pédagogique francophone
Depuis Gelman, donc, le paysage théorique en psychologie cognitive a beaucoup changé. Les recherches publiées ces 30 dernières années vont toutes dans le même sens : il faut être beaucoup plus strict dans les critères comportementaux que l’on utilise pour considérer qu’un enfant commence à comprendre les nombres.
Pour Gelman, il suffisait que l’enfant répète le dernier mot d’un comptage pour qu’elle considère que l’enfant comprend ce nombre (on a vu que de nombreux enfants ne le font pas précocement). Dès les années 80, de nombreuses recherches ont invalidé ce point de vue. Une recherche récente met particulièrement bien en évidence l’erreur commise par Gelman. Deux chercheuses, Sarnecka & Carey (2008) étudient les compétences numériques d’enfants qui ont entre 2 ans 10 mois et 4 ans 3 mois ; elles leur demandent combien il y a d’objets dans une collection de 10 objets. Sur les 67 enfants interrogés, 53 comptent correctement les 10 objets et répètent le dernier mot prononcé : « dix ». Or, plus d’un tiers de ces 53 enfants, face à un stock de cubes, échouent la tâche « Donne moi 5 cubes » ; ils en donnent une poignée au hasard, par exemple (certains échouent lorsqu’on leur demande de donner 3 cubes !). Les enfants sont donc susceptibles de répéter le dernier mot d’un comptage alors qu’ils n’ont pas compris les tout premiers nombres : ils se comportent ainsi parce qu’ils ont perçu que répéter le dernier mot est ce qu’attendent les adultes ; ils utilisent une « règle du dernier mot prononcé », sans faire de lien avec le nombre (Fuson, 1988). La tâche « Combien y a-t-il de… » étant surentraînée, certains enfants se comportent conformément aux attentes des adultes, y compris en répétant le dernier mot de leur comptage numérotage, alors qu’ils ne font pas de lien avec le nombre. Ils sont en tout cas incapables d’une quelconque généralisation et on comprend que des pédagogues du milieu du 20e siècle comme Henri Canac aient qualifié le comptage, dans ces cas, là de « mécanique ».
On remarquera cependant qu’aux États-Unis, quand un enfant sait donner 5 objets, il sait généralement en donner autant qu’il sait compter. Par exemple : quand un enfant sait donner 5 objets, il sait donner 10 objets pour peu qu’il sache compter verbalement jusqu’à 10. C’est la raison pour laquelle, depuis plusieurs années les chercheurs qui travaillent avec Susan Carey (professeure à Harvard) considèrent qu’un enfant comprend les nombres lorsqu’il sait donner jusqu’à 5 objets de façon fiable.
Mais, de manière encore plus récente, Davidson & col (2012) s’adressent à des enfants qui ont entre 3 ans 4 mois et 5 ans 3 mois et qui savent tous donner 5 objets (de plus, ils savent tous compter verbalement jusqu’à 9 au moins). Au sens de Carey, donc, ces enfants devraient comprendre les 9 premiers nombres. Or, lorsqu’on leur demande de dénombrer une collection de 4 objets et qu’ensuite l’expérimentateur ajoute 1 autre objet en interrogeant : « Et maintenant, il y a 5 objets ou 6 objets ? », un grand nombre de ces élèves ne répondent pas mieux qu’au hasard. Cela s’explique ainsi : la tâche « Donne moi… » n’est pas autant entraînée que la tâche « Combien y a-t-il… », mais elle l’est également et, bien entendu, certains enfants apprennent à se comporter conformément à l’attente des adultes dans cet autre contexte, sans pour autant comprendre réellement les nombres. La théorie béhavioriste rend très bien compte de tels apprentissages associatifs par répétition !
On notera que la recherche de Davidson nous rapproche d’une définition acceptable de la compréhension des nombres : comprendre le nombre 5, c’est au minimum savoir que 5, c’est 4 et encore 1 (compréhension d’un comptage dénombrement jusqu’à 5). Et quand l’enfant sait que : « 5, c’est aussi 2 et encore 2 et encore 1 », quand il sait que « 5, c’est 3 et encore 2 »…, on peut considérer que cet enfant comprend encore mieux le nombre cinq. Les chercheurs en psychologie en arrivent donc aujourd’hui à considérer que comprendre le nombre cinq, c’est avoir compris la phase d’étude de ce nombre telle que la décrivait Henri Canac et ses prédécesseurs.
Au États-Unis, le chercheur le plus influent aujourd’hui auprès du NCTM (National Concil of Teachers of Mathematics) est très certainement Arthur Baroody. En 2009, il a rédigé un article dont le titre s’inspire de celui du célèbre livre « Why Can’t Johnny Read ? » (Flesch, 1955). Rudolf Flesch était un conservateur nationaliste, mais qui avait du style. Baroody est un progressiste qui utilise un titre dont tout le monde se souvient plus de 50 ans après pour diffuser une information très différente dans la forme et dans le fond : il s’agit d’un article scientifique. Ce que Johnny échoue, dans l’article de Baroody, c’est ce qu’échouent de manière caractéristique les enfants que l’on qualifie de dyscalculiques ou, si l’on adopte un autre point de vue théorique, de « mal débutés » : ces enfants ne mémorisent pas les résultats d’additions élémentaires. L’article s’intitule : « Why Can’t Johnny Remember the Basic Facts ? » (Baroody et col, 2009).
Baroody consacre la plus grande partie de l’article au rôle joué par la connaissance des décompositions des nombres (par exemple : 8 = 5 + 3 ou encore : 7 = 1 + 6) et par l’usage de ces décompositions au sein de stratégies de décomposition-recomposition (par exemple : 5 + 8 = 5 + 5 + 3, ou encore : 9 + 7 = 9 + 1 + 6). Il considère que l’usage de telles stratégies joue un rôle crucial dans la mémorisation des résultats élémentaires d’additions et que l’absence d’usage de telles stratégies est l’une des principales explications du fait que « Johnny Can’t Remember the Basic Facts ». Il considère que l’apprentissage par cœur des tables d’addition ne peut pas se substituer à l’usage de telles stratégies parce que : « The memory network of experts may not simply involve discrete individual facts but interconnected concepts, combinations, and automatic rules or reasoning processes. » On retrouve dans cet extrait l’idée d’une mémoire qui n’est pas un sac dans lequel sont retenues des informations isolées et statiques. Tous les chercheurs états-uniens ne pensent pas comme lui, certains plaident en faveur de l’apprentissage par cœur ; il a d’autant plus de mérite que les Etats-Unis n’ont jamais connu une culture pédagogique qui invite les enseignants à se méfier du comptage numérotage. C’est seulement l’étude des donnés empiriques qui le conduit à cette position.
Ainsi, en liant fortement la mémorisation des résultats d’additions élémentaires à l’usage de stratégies de décomposition-recomposition, Baroody conforte le point de vue qui est celui de la culture pédagogique française entre 1923 et 1986. D’autres recherches permettent d’argumenter dans le même sens. Ainsi, de nombreuses recherches interculturelles montrent que l’absence d’irrégularité dans la façon de nommer les nombres s’accompagne systématiquement de bonnes performances des élèves en mathématiques (Finlande, Hongrie, pays asiatiques…). En français, un exemple typique d’irrégularité est « onze, douze, treize… » pour désigner des nombres qui se disent « dix-un, dix-deux, dix-trois… » dans les langues des pays précédents, plus transparentes. A l’évidence cette régularité langagière favorise l’usage des stratégies de décomposition-recomposition et, donc… le progrès en calcul. Toutes ces constatations vont dans le même sens quant au rôle fondamental des stratégies de décomposition-recomposition dans la maîtrise du calcul.
Une meilleure connaissance de différences culturelles cruciales
Mais il est important de souligner que la perspective théorique d’un chercheur comme Baroody, par exemple, a encore des limites : il vit dans un pays qui n’a pas d’école maternelle ; il est donc loin d’imaginer que lorsque de très jeunes enfants, entre 2 et 5 ans, fréquentent une école, cela leur offre la possibilité de parler les très petits nombres autrement que dans leur famille ; il n’imagine pas que, selon la façon dont l’adulte parle lors d’un comptage, il facilite ou non l’interprétation de ce qu’il fait : ajouter successivement des unités tout en exprimant à chaque fois le nombre total résultant de cet ajout ; il n’imagine pas que cela pourrait influer de manière décisive sur le développement des compétences numériques. On ne trouve donc pas dans les recherches menées aux États-Unis la distinction entre deux façons de parler les nombres avec les très jeunes enfants, ni de distinction entre deux façon d’enseigner le comptage : le comptage numérotage et le comptage dénombrement. L’absence d’école maternelle et, donc, de réflexion sur les pratiques professionnelles qui doivent y être développées, est une première explication de cette absence. Mais il y en a une autre, très importante : la langue anglaise favorise mieux que la langue française l’accès à la signification cardinale des mots-nombres.
La polysémie du mot « un » dans la langue française
En français, le mot « un » a deux significations, ce qui n’est pas le cas en anglais. L’expression française « un chat », par exemple, se traduit en anglais soit par : « a cat » (lorsqu’on parle d’un chat quelconque), soit par « one cat » (lorsqu’on veut exprimer que le nombre de chats est réduit à l’unité). Il n’est pas difficile de comprendre que lorsqu’une langue dispose de deux mots différents pour deux notions différentes, cela facile la compréhension des enfants qui rentrent dans le langage.
Dans une PS ou une MS, on n’a aucune difficulté à repérer des moments où la polysémie du mot « un » dans la langue française est source de difficulté. Par exemple : l’enseignant montre une image à des enfants sur laquelle il y a 1 ours en peluche, 2 ballons et 3 camions et il leur demande de compléter la phrase qu’il amorce : « Sur l’image, il y a un… ». L’enseignant s’attend à ce que les enfants disent : « un nounours » parce qu’il y a deux ballons et trois camions mais immanquablement, lors des premières rencontres avec cette tâche, il y a des enfants, dont l’attention a été attirée par l’un des camions, par exemple, et qui s’exclament : « Y a un camion là ! ». C’est l’autre « un », l’article indéfini, que cet enfant fait fonctionner. Un pédagogue anglophone disant : « There is one… » n’aurait pas eu cette difficulté parce le mot « one » fonctionne par exclusion des mots « two » and « three ». Il suffit d’ailleurs que le pédagogue francophone commence son interrogation par : « Il y a trois… », puis : « Il y a deux… » et enfin : « Il y a un… », pour que le mot « un » fonctionne par exclusion et que la difficulté soit supprimée.
Par ailleurs, l’existence du féminin pour le mot « un » crée une autre difficulté pour accéder à l’idée d’unité. Celle-ci s’exprime tantôt avec « un », tantôt avec « une » en français alors qu’elle s’exprime toujours avec « one » en anglais.
Dénombrer, c’est tout à la fois construire mentalement des unités, les énumérer et utiliser un système symbolique pour en exprimer la totalité (Brissiaud, 2007). La construction des unités est l’opération de base, celle sans laquelle rien n’est possible. Quand une langue ne favorise pas la construction mentale de ce qui est « un », elle est un obstacle important au dénombrement.
Le pluriel des noms qui, le plus souvent, ne s’entend pas
Une dernière difficulté due à la langue française doit être évoquée ici : le pluriel qui s’entend en anglais et non en français. L’enfant anglophone a la possibilité de contraster « one cat » avec « two cats » et « several cats » parce que les noms portent une marque orale du pluriel (ici la consonne [s] finale), alors que l’enfant francophone n’a cette possibilité que pour quelques cas exceptionnels comme « un cheval/deux chevaux ». Quand le pluriel s’entend dans une langue, cela aide les enfants à comprendre que les mots-nombres désignent des pluralités, cela les aide à accéder à leur signification cardinale.
Il n’est donc pas étonnant que Hodent et col. (2005) aient pu montrer qu’à 2-3 ans les enfants francophones comprennent moins bien les 3 premiers nombres que les enfants anglophones. Il n’est pas étonnant non plus que ce soit en contexte francophone que la distinction entre comptage numérotage et comptage dénombrement ait été avancée : jamais les pédagogues anglophones ne se sont méfiés du comptage comme ce fut et comme ce devrait être le cas chez les pédagogues francophones. Une meilleure connaissance de toutes ces difficultés, aujourd’hui, est évidemment une raison d’espérer que les enseignants les intégreront dans leurs choix pédagogiques.
Et un rapport d’inspecteurs généraux
Enfin, une dernière raison d’espérer est la publication récente d’un rapport sur l’école maternelle (octobre 2012). Dans sa partie pédagogique, il est l’œuvre de deux IG : une Inspectrice Générale que l’on qualifierait presque « des Ecoles Maternelles » si cette mention existait toujours, Viviane Bouysse, et le doyen de l’IG, Philippe Clauss. Ils notent que : « les apprentissages « culturels » que symbolise l’omniprésence de la suite numérique ont pris le pas sur le traitement des quantités et la relation entre nombre et quantité ». C’est une façon d’exprimer que la compréhension des nombres est insuffisamment présente dans les classes et c’est une invitation à mettre en œuvre des pratiques pédagogiques qui favorisent mieux cette compréhension. Des changements sont donc en vue.
Aujourd’hui, des raisons d’être inquiet
Concernant la psychologie, une situation proche de celle des années 70-90
Les raisons d’espérer sont nombreuses, celles d’être inquiet le sont également. Ainsi, la psychologie est aujourd’hui à un moment de son histoire qui ressemble aux années 70-90, lors de la montée en influence de la psychologie cognitive. Mais c’est la neuropsychologie qui est maintenant conquérante. Au niveau international, l’un des plus éminents chercheurs ayant participé à en développer les méthodes et qui a obtenu les résultats les plus significatifs, est français, c’est Stanislas Dehaene, titulaire de la chaire de psychologie expérimentale au Collège de France. Cela peut être une chance : généralement, les plus grands scientifiques d’un domaine sont également ceux qui perçoivent le mieux les limites des recherches qui y sont menées. Et, de fait, Stanislas Dehaene souligne fréquemment que les neurosciences cognitives sont encore balbutiantes concernant de nombreuses questions. Mais la dynamique est telle qu’il n’est pas sûr que cela suffise.
Dans le domaine qui nous intéresse, l’apport le plus clair de la neuropsychologie est la mise en évidence du fait que l’homme, comme tous les animaux, possède de manière innée une intuition primitive des grandeurs (Dehaene, 1997/2004). Cependant, c’est la même aire cérébrale qui code indistinctement la grandeur des collections, celle des longueurs et celle des durées. Or, le comptage numérotage de N objets conduit au codage cérébral d’une grandeur appariée à N (j’ai compté loin, pas loin ; longtemps, pas longtemps ; j’ai compté une collection plus ou moins grande). Utiliser cette intuition primitive des grandeurs pour comparer divers comptages numérotages est bien sûr source de progrès.
Ainsi, aux États-Unis, Bob Siegler a étudié un jeu de déplacement sur une file numérotée qui sert de piste (The Great Race) et il montre que dans certaines conditions (il ne faut pas que la file soit circulaire, par exemple), jouer à ce jeu conduit à des progrès aux tâches suivantes : compter, associer un mot à un chiffre, comparer rapidement des collections de points, positionner un nombre sur une droite (Siegler & Ramani, 2009). Mais Fareng & Fareng (1966) ne disaient pas autre chose : « … cette façon empirique fait acquérir à force de répétitions la liaison entre le nom des nombres, l’écriture du chiffre, la position de ce nombre dans la suite des autres… ». Cependant, de nombreuses recherches permettent aujourd’hui de comprendre pourquoi ils poursuivaient : « mais le comptage [numérotage] gêne la représentation du nombre, l’opération mentale, en un mot, (il) empêche l’enfant de penser, de calculer ». Malheureusement, ce qui valait dans les années 80, vaut également aujourd’hui : ces recherches ne sont guère mises en avant parce que la préoccupation première de nombreux scientifiques est de se positionner par rapport à la neuropsychologie ; or celle-ci n’est pas entrée dans ce domaine de recherche en étudiant les stratégies de décomposition-recomposition parce que leur complexité est bien plus grande que celle du comptage.
On peut donc être inquiet : la montée en influence de ce paradigme dans la recherche en psychologie se traduit par une médiatisation importante de pratiques pédagogiques qui, aux États-Unis, améliorent seulement de manière modeste les performances des enfants. Or, ces pratiques sont des pratiques d’enseignement du comptage numérotage et elles correspondent donc à un choix très différent de celui qui vise à renouer avec la culture pédagogique des pays francophones. De nombreux arguments, dont les résultats de l’étude de la DEPP, conduisent à penser que, sur le long terme, ce second choix améliorerait bien davantage les performances des enfants. Cependant, avec le fonctionnement institutionnel de l’Éducation Nationale, la première orientation pédagogique bénéficie de toute la promotion nécessaire et il n’est pas sûr que ce soit le cas pour la seconde.
Une publication institutionnelle déconnectée de la recherche
Les seuls textes pédagogiques institutionnels qui aient été publiés sous Robien-Darcos-Chatel sont d’une part les programmes de 2008 avec leurs repères de progressivité et, d’autre part, un livre intitulé « Le nombre au cycle 2 », publié en octobre 2010 à l’initiative de deux Inspecteurs Généraux de mathématiques et qui rassemble des contributions d’auteurs différents, professeurs de mathématiques ou IEN. Les professeurs de mathématiques, sauf exception, n’appartiennent plus à Ermel, suspecté de ne pas avoir suffisamment insisté sur la mémorisation des tables et sur les « automatismes » en calcul. Ils appartiennent majoritairement à la COPIRELEM (Commission Permanente des IREM sur l’Enseignement Élémentaire).
J’ai eu l’occasion, sur le Café Pédagogique, de faire un compte-rendu critique de certains chapitres de ce livre. Le « mot vedette » de cette publication est « automatisation ». Ce mot, ainsi que ceux qui lui sont apparentés tels que « automatisé » et « automatisme », sont employés 63 fois dans un texte de 90 pages alors qu’ils n’étaient utilisés que 7 fois dans les 45 pages du document d’application des programmes de cycle 2 de 2002. Ce grand nombre d’occurrences du mot « automatisation » résulte en partie du fait que l’emploi qui en est fait est très relâché et même, parfois, erroné. Par exemple : il faudrait, d’après ce document, que l’élève de fin de cycle 2 ait « automatisé » le choix de la soustraction pour résoudre le problème suivant : : « La mariée a ajouté 24 fleurs à son bouquet. Le bouquet en compte maintenant 182. Combien y avait-il de fleurs avant ? ». Or, on est sûr qu’il ne s’agit pas d’un traitement automatisé chez les meilleurs élèves à l’entrée au cycle 3 (Brissiaud & Sander, 2010). Il n’y a pas de plus sûr moyen de décourager des enseignants que de leur assigner des objectifs impossibles à remplir.
Mais, au-delà de la difficulté des auteurs à manier le concept d’automatisation, il y a une raison de fond à leur insistance répétée en faveur de l’automatisation. En effet, lorsqu’on ne relie pas la mémorisation à l’absence d’enseignement du comptage numérotage et, conjointement, à la promotion des stratégies de décomposition-recomposition, il ne reste qu’une possibilité d’intervention : mettre l’accent sur la répétition, c’est-à-dire répondre aux questions qui étaient posées aux instituteurs de 1928, mais à rebours de ce que fut leur réponse.
La qualité générale de cet ouvrage est donc grandement sujette à caution ; qu’en est-il du chapitre consacré aux apprentissages numériques à l’école maternelle ? Ce chapitre aurait pu être écrit par l’un des auteurs d’Ermel, il y a 25 ans ; aucune des recherches menées depuis n’est mentionnée. Le dénombrement est décrit à travers les principes du comptage de Gelman, sans même que le nom de cette chercheuse soit seulement cité. Le lecteur néophyte n’a aucune possibilité de savoir pourquoi le comptage est analysé « à la Gelman » et non autrement. Les auteurs choisissent de mettre l’accent sur la correspondance 1 mot – 1 objet (comptage numérotage) plutôt que sur la correspondance 1 mot – l’ensemble des objets déjà pris en compte (comptage dénombrement), mais ce choix n’apparaît pas explicitement parce que nulle part n’apparaît qu’ils ont fait un choix. Plus généralement, le lecteur n’a aucune possibilité de savoir d’où vient le discours qui est tenu. Alors que l’on est censé être entré dans l’ère de la mastérisation, jamais un texte pédagogique institutionnel n’a été aussi éloigné des canons universitaires. Il faut le dire avec une certaine gravité : il se passe, avec la diffusion d’un tel écrit par le ministère, le pire de ce qui pouvait arriver. Alors qu’en 1986 l’enseignement du comptage « à la Gelman » était présenté comme une hypothèse de travail utilisée par les mathématiciens de Ermel, cette façon d’enseigner le comptage est présentée dans « Le nombre au cycle 2 » comme allant de soi ; l’analyse du comptage « à la Gelman » est comme naturalisée. Toute critique est exclue parce que le propos tenu se présente comme relevant de l’évidence.
Un dernier point mérite d’être souligné : ce chapitre paraît en octobre 2010 et nulle part dans cet écrit, on ne voit poindre les critiques figurant dans le rapport sur l’école maternelle de Viviane Bouysse et collègues, alors que ce dernier sera publié en octobre 2012, après avoir été longtemps maintenu dans les cartons.
Revenir à un « avant » mal connu, pour sauver le calcul en France
On ne comprend rien aux choix pédagogiques et politiques des ministres Robien-Darcos-Chatel et à l’action de la direction du ministère chargée de mettre en œuvre ces choix, la DGESCO, sans reconstituer, même brièvement, la façon dont ces ministres se sont forgés leurs convictions. Même si beaucoup pourrait être dit concernant les années qui ont précédé 2007, on peut commencer à raconter l’histoire en partant d’un texte publié le 23 janvier 2007 et connu comme l’ « Avis de l’Académie des Sciences sur la place du calcul mental dans l’enseignement primaire », avis qui avait été commandé par Robien. Il faut comprendre d’où vient cet avis : les plus éminents chercheurs en Sciences (mathématiques, physique, biologie…), vraisemblablement au courant de l’effondrement des performances en calcul en CM2, considèrent qu’ils ne peuvent pas rester sans réagir et ils décident d’œuvrer pour sauver l’enseignement du calcul à l’école primaire de leur pays.
J’ai eu, à l’époque, quelques échanges avec l’un des mathématiciens qui a cosigné cet avis. La solution était pour lui évidente : il fallait revenir à l’enseignement des 4 opérations dès le CP ; il ne comprenait pas que l’on puisse douter du fait que la réforme des mathématiques modernes était à l’origine de l’effondrement des performances en calcul. Et quand j’essayais d’argumenter pour lui expliquer les raisons de l’abandon de l’enseignement du formalisme de la multiplication et de la division à ce niveau de la scolarité, mes arguments n’étaient pas reçus : ses parents avaient été instituteurs en Picardie et ils enseignaient les 4 opérations au CP à des enfants d’ouvrier agricoles polonais parlant à peine le français. Si un tel enseignement était possible à l’époque, il devait le rester aujourd’hui.
De fait, on lit dans l’avis du 23 janvier que : « L’enseignement du calcul doit commencer par une pratique simultanée de la numération et des quatre opérations, une gradation en complexité se faisant entre maternelle et fin de primaire, jusqu’aux nombres décimaux et aux fractions. »
Quatre jours plus tard, le 25 janvier 2007, quelques uns de ces académiciens des sciences, vraisemblablement les plus sensibilisés à la baisse de niveau écrivent une nouvelle lettre au ministre (celle qui est évoquée au début de ce texte). Leur objectif était « d’inverser le mouvement de régression entamé depuis les années 1970 ». Par ailleurs, le premier point sur lequel ils insistent dans leur lettre à Robien est : « la nécessité de l’apprentissage simultané et progressif de la numération et des quatre opérations dès le début de la scolarité obligatoire ». On notera l’évolution de la formulation par rapport à l’Avis initial : l’idée de gradation en complexité disparaît au profit de l’enseignement des 4 opérations dès le CP. C’est ce projet que réalisait la première mouture des programmes de 2008, la mouture que nous avons été quelques uns à analyser de façon critique afin qu’elle soit changée et que les professeurs d’écoles disposent de plus de liberté. Nous avons d’ailleurs réussi, principalement parce que le Café Pédagogique et le syndicat majoritaire chez les professeurs d’écoles, le SNUIPP-FSU, ont relayé nos analyses.
L’étude de la DEPP montre que le diagnostic de ces académiciens était erroné : en 1987, les élèves calculaient encore bien ; c’est en 1986, et non en 1970, qu’un « basculement » s’est produit. Toujours est-il que sous Robien-Darcos-Chatel, les académiciens précédents et les responsables de la DGESCO étaient sincèrement persuadés que si les professeurs d’écoles revenaient aux pratiques pédagogiques d’avant 1970, les résultats s’amélioreraient ipso facto. Sauf qu’ils méconnaissaient ces pratiques, notamment à quel point le comptage numérotage était critiqué avant 1970. Certaines personnes qui défendaient le retour à ce qu’ils croyaient être les pratiques anciennes, pensaient même s’inspirer de Ferdinand Buisson : pour eux, un enseignement du comptage le plus tôt possible, le plus loin possible et un enseignement des 4 opérations dès le CP, allaient être salvateurs. Concernant le comptage, on a vu ce qu’il en est : c’est à l’opposé de la conception de Buisson. Concernant les 4 opérations dès le CP, ils méconnaissaient que, du temps de Buisson, le CP était une classe préparatoire ; l’enseignement du calcul y était principalement oral, comme cela était recommandé dans le rapport des Inspecteurs Généraux Marijon et Leconte, en 1928. Rappelons-nous leur critique de « ces brillantes opérations qui font la joie de certains maîtres et d’à peu près tous les parents ». A l’école maternelle et au CP, les enfants résolvaient des problèmes de partage avec des objets, ils ne faisaient pas de division. C’est plus tard, vraisemblablement, que l’usage du formalisme est descendu dans ces petites classes.
Dans les dernières pages des cahiers de GS des années 50, on voit fréquemment des divisions par 2 qui sont posées avec la potence, mais il ne faut pas se leurrer : l’enfant avait résolu un problème de partage en 2 avec des objets par une distribution 1 à 1 ; ensuite, la maîtresse montrait aux élèves ce qu’ils devaient reproduire avec soin sur leur cahier, elle leur expliquait comment disposer les écrits pour qu’ils « présentent » bien. Le cahier, à l’époque, fonctionnait comme un « petit théâtre » du travail scolaire (l’expression est de Jean Hébrard). Ce que l’on y voyait reflétait très mal la réalité de l’activité en classe. Il se peut que l’on puisse parler, durant les années précédant 1950-60, d’un phénomène de « primarisation » de l’école maternelle au sens où le formalisme de l’école primaire était redescendu vers l’école maternelle pour s’y afficher, sans être source de progrès ; il se peut même que la critique de cette forme de « primarisation » ait facilité la réforme des mathématiques modernes.
Le fonctionnement institutionnel de l’ÉN s’est dégradé sous Robien-Darcos-Chatel
Les responsables de la DGESCO, donc, croyaient fermement au caractère salvateur de l’enseignement des 4 opérations dès le CP et une vaste entreprise de normalisation des points de vue et des pratiques pédagogiques s’est mise en branle sous Robien-Darcos-Chatel. Un des moyens utilisés fut d’entretenir de manière systématique la confusion entre les programmes de 2008 qui sont définis par cycle, et les repères de progressivités qui, dans deux disciplines seulement, le français et les mathématiques, sont définis annuellement. Ainsi, dans un rapport de l’IG sur la mise en place des programmes de 2008, on pouvait lire : « Un tel dialogue (entre enseignants) reste essentiel du fait de l’organisation des programmes par cycle, à l’exception du français et des mathématiques ». Ces IG considéraient donc qu’en français et en mathématiques, les repères de progressivité, situés en fin de texte, constituaient les programmes. Ceux-ci n’auraient plus résidé dans les textes qui, au début des programmes, sont rédigés par cycles, pour ces deux disciplines comme pour les autres. Si tel avait été le cas, pour la première fois depuis la création de l’École de la République, elle n’aurait plus disposé de programmes définis sur 2 ans au moins (cours élémentaires, cours moyens puis cycles), mais de programmes définis annuellement. C’était évidemment un moyen d’obtenir que tel ou tel formalisme soit enseigné en début de cycle, et non en milieu ou en fin de cycle. C’était aussi un puissant moyen pour brider la créativité pédagogique, soupçonnée de fuir les exigences des apprentissages.
La diffusion des idées et des pratiques dont la DGESCO était persuadée qu’elles sont les bonnes, procédait, si nécessaire, d’un certain caporalisme. Dans la stratégie utilisée, il fallait évidemment limiter au maximum la diffusion d’autres idées. C’est ainsi que sous Robien-Darcos-Chatel, nous sommes quelques chercheurs qui, après un article sur le Café, étions assez régulièrement avertis de la suppression de telle ou telle conférence dans telle ou telle circonscription. Le motif avancé était souvent le souci de « rester dans la ligne directrice définie dans le département ». Il ne faut pas croire que les IEN en question recevaient nécessairement des consignes venues de la DGESCO : lors des regroupements annuels, on leur avait seulement fait intérioriser qu’en matière de choix pédagogiques, il y avait une ligne à suivre. Peu importait que le propos tenu sur le Café se situe dans la légalité des textes et notamment des programmes, que l’argumentation soit scrupuleuse, qu’elle s’appuie sur des faits avérés, si la ligne défendue semblait trop hétérodoxe, certains IEN décidaient de ne pas en informer les professeurs d’écoles de leur circonscription.
Mais, bien entendu, la quasi-totalité des IEN ont refusé cet ostracisme et cela a eu, pour ce qui me concerne, un effet paradoxal : je n’ai jamais reçu autant d’invitations à faire des conférences que depuis 2007. Il faut dire que cette forte demande est aussi consécutive à la parution, cette année-là, d’un ouvrage : « Premiers pas vers les maths », petit livre de vulgarisation scientifique qui présente les idées avancées au début de ce texte. Les choix pédagogiques faits sont évidemment expliqués de façon argumentée, en se référant aux résultats des recherches scientifiques disponibles. Le niveau de lecture de cet ouvrage est comparable au présent texte. Cela n’a pas empêché sa diffusion à plus de 20 000 exemplaires, ce qui montre que des milliers de professeurs des écoles ressentent bien les problèmes que leur pose l’enseignement du nombre à l’école maternelle et sont à la recherche d’éclairages psychologiques et de pistes pédagogiques alternatives.
Il s’agit d’un texte professionnel dont la cible ne dépasse guère les enseignants de maternelle et leurs formateurs, (il paraîtrait normal que des étudiants en psychologie s’y intéressent aussi). Une fraction importante de ce lectorat potentiel l’a donc lu, sans doute grâce au bouche à oreille car l’existence de « Premiers pas vers les maths » n’est nulle part mentionnée dans les textes pédagogiques institutionnels et ne figure pas parmi les ouvrages recommandés par l’ESEN sur son site. Et, lors des conférences, il y a régulièrement des enseignants qui viennent me voir en me disant : « Ça marche » (ce qu’il faut recevoir avec circonspection, évidemment). Il n’y aura bientôt plus que les responsables de la DGESCO et ceux qui travaillent à leur contact pour ne pas savoir qu’il y a là un corps de pratiques pédagogiques dont des milliers d’enseignants considèrent qu’elles valent la peine d’être essayées.
Un IFÉ (Institut Français de l’Éducation) aussi ambivalent que l’ex-INRP
L’IFÉ (Institut Français de l’Éducation), situé à Lyon et qui a succédé à l’INRP, a lui aussi eu un rôle ambivalent pendant cette période, vraisemblablement du fait de ses liens avec le ministère. Considérons par exemple la Conférence Nationale sur l’Enseignement des Mathématiques qui s’est tenue en mars 2011 à Lyon. Il s’agissait d’une organisation conjointe DGESCO – IFÉ. Aux commandes, il y avait donc un Inspecteur Général de mathématiques et un professeur de didactique des mathématiques de l’IFÉ. Ces deux personnes m’ont sollicité pour une audition préparatoire à la conférence : ils souhaitaient que j’intervienne sur le thème des manuels scolaires. J’ai consacré beaucoup d’énergie à essayer de leur expliquer que, de façon récente, j’avais travaillé à avancer une explication à la baisse des performances en calcul. J’ai souligné qu’à ma connaissance, c’était la première explication qui était avancée d’un phénomène très surprenant (entre 1970 et 1986, on obtenait de bien meilleurs résultats en enseignant beaucoup plus tardivement !). J’ai défendu l’idée que le thème des manuels scolaires est plutôt mineur par rapport à celui-là. Ils refusèrent que je change de thème en m’écrivant : « Nous cherchons des éléments d’observation, d’analyse et de consensus, plutôt que l’argumentation contradictoire des diverses positions des chercheurs. »
On ne peut être plus clair : surtout pas de débat ; il faudrait que le consensus concernant un phénomène aussi désarçonnant (enseigner bien plus tardivement conduit à de meilleurs résultats) précède l’argumentation. Empêcher le débat à propos d’un tel phénomène, c’est faire la démonstration que l’on ne le souhaite sur aucun sujet important. C’est en composant avec le thème qu’ils m’imposaient (en le traitant à travers les manuels d’avant et d’après 1986) que j’ai pu intervenir 20 minutes devant la « commission d’experts » sur les raisons de l’effondrement du calcul en France Cette contribution n’a pas été retenue pour être présentée le jour de la conférence… et ce fut dès lors presque par effraction que le texte « Les pratiques qu’il faut éviter en maternelle et au CP : les leçons d’une expérimentation à l’échelle de la nation » fut mis en ligne sur le site de l’IFE, educmath. Y aurait-t-il un défaut dans l’analyse qui y est faite du basculement de 1986 ? Sinon, ce qu’elle met en évidence, à savoir que 1986 est la date du basculement et non 1970, ne peut laisser indifférent qui cherche à comprendre les raisons de l’effondrement des performances en calcul. Mais, pour le moment, ce texte n’a provoqué aucun écho auprès des responsables concernés. Mais tout cela se passait sous Robien-Darcos-Chatel….
Rémi Brissiaud
Demain suite et fin…