Joëlle Gonthier est un personnage, une personne pleine d’idées et d’imagination. Elle nous le prouve chaque année avec la Grande Lessive et son fil qui n’en finit plus de s’étendre tout autour de la terre. Elle le manifeste aussi chaque fois qu’elle intervient en conférence, quelque soit le public, quelque soit le lieu. Venir écouter Joëlle Gonthier est une promesse de rires, de réflexions, la certitude d’un bon moment instructif et plein de bonnes surprises. Son bâton de pèlerin, elle l’emprunte sans relâche pour un thème qui lui tient à cœur : la reconnaissance de l’enseignement artistique comme une urgence pour l’école et la société. Son bâton de pèlerin, c’est tout un tas d’objets étranges posés sur une table qui lui servent à illustrer ses propos : des os, un canard, un gant de toilette grenouille… Alors, on s’installe et on l’écoute donner à l’enseignement artistique une saveur tout en reliefs.
L’enseignement artistique souffre d’un mal profond : il contient dans son nom le mot « artistique ». Comment alors être pris au sérieux ? Le mot enseignement est remplacé par activité et ce qu’on retient, c’est que ça détend, ça relaxe mais qu’on n’apprend pas forcément quelque chose lors de ces activités, en un mot, c’est récréatif.
Pour nous prouver le contraire, Joëlle Gonthier emprunte les trucs et les ficelles d’un sérieux conférencier. En préambule elle nous offre la maxime du jour « portable éteint donne bon teint ». Elle attend les retardataires que le vent violent aura sans doute cloués dans leur tentative d’avancée, en commentant la maxime d’un ton docte. Une fois les portes closes, elle commence son exposé, ses propos reflètent fidèlement le contenu du texte projeté à l’écran. « Le rôle d’un conférencier est de vérifier que les auditeurs savent lire ce qui est écrit » nous explique t’elle. Et pour faire encore plus sérieux, elle « objective ses données » par des « sondages qui le démontrent », avec des données abstraites…
C’est normal nous dit elle, l’enseignement artistique nous apprend à utiliser des images, à réaliser de l’abstraction et à observer les effets sur les autres. Alors elle nous propose une autre technique : celle de la leçon de natation. Oui de natation car « enseigner les arts plastiques a l’école c’est comme enseigner la natation sans eau. » Pour enseigner la théorie des mouvements natatoires, nul besoin de maitresse en maillot de bain (non cela se mérite, doit rester dans le domaine du fantasme). La représentation du réel nécessite un tabouret, des gestes et des paroles imagées.
Et l’enseignement artistique dans tout cela ? Au même titre que l’apprentissage de la natation ne formera qu’exceptionnellement des grands nageurs mais permettra d’apprendre des gestes, des coordinations, une complicité avec un élément, l’enseignement artistique n’a pas pour objet principal de former des artistes. Accéder à une culture artistique c’est accéder à des apprentissages indispensables pour d’autres disciplines.
Qu’apprenons-nous lorsque nous apprenons, côtoyons l’art ? On apprend à regarder, transposer, reconnaitre, on apprend à décrypter le monde dans lequel on est, à repérer quand on est manipulé. On apprend aussi à se représenter. L’enseignement artistique sert aussi à faire le lien entre les époques, entre les disciplines. Joëlle Gonthier nous parle de cette main dans l’argile que les enfants réalisent à l’école maternelle, cette petite main que les parents gardent précieusement et se donnent un mal fou pour y reconnaitre la main désormais géante de leur petit dernier. Cette main n’est pas une simple main, elle n’est pas uniquement une relique affective d’un lien transformé, elle existe aussi dans la lignée de toutes les mains peintes à commencer par celles dessinées sur les grottes aux temps de la préhistoire. Et cette dimension permet de faire le lien avec des références. La main du petit dernier entre dans une succession artistique.
L’enseignement artistique entraine à regarder l’étrange, se demander « c’est quoi ce truc », aiguiser notre curiosité. Il participe de notre appropriation du monde en laissant émerger des questions. « L’art nous regarde. L’élite s’est approprié l’art à une époque » nous dit Joëlle Gonthier mais l’art est à tous, l’art est à nous. Elle nous encourage à apprendre de l’art quelque soit notre âge, apprendre à regarder, à être sensible à ce que l’on voit. « Apprendre demande du temps » précise t’elle comme pour apprendre à lire ou à écrire. On apprend à discerner les différences et les ressemblances, tisser des liens. On apprend sur la présence et sur l’absence. On apprend des gestes, des modes opératoires adaptés. On apprend à accepter l’accident, l’erreur.
Alors que l’heure presse vers le chemin du retour, alors que le vent fait mine d’emporter la verrière à l’extérieur, Joëlle Gonthier nous confie dans un souffle léger : « si on reparlait de l’humain de ce que nous sommes, si nous parlions vraiment de refondation ». Dans cette acception, l’enseignement artistique aurait une place centrale, chacun apprendrait à son rythme, à sa façon, mais tout le monde à la fin aurait acquis les connaissances essentielles. En une heure 30, en passant du rire au sérieux, Joëlle Gonthier a dessiné une éducation ouverte, où regarder c’est aussi agir.
Monique Royer