Pour le Groupe Reconstruire la Formation des enseignants (GRFDE), la formation à cheval sur la fin de M1 (admissibilité) et la fin de M2 (admission), telle qu’elle est proposée pour le concours de juin 2013 par le ministre, n’est pas souhaitable. Le GRFDE, qui regroupe de grands noms de la recherche, comme E Bautier, P Rayou, P Meirieu, JY Rochex, R Brissiaud, R Goigoux, F Dubet ou encore A Ouzoulias, craint que l’initiation à la recherche soit sacrifiée sans que pour autant la formation professionnelle soit de bon niveau. Le GRFDE demande que le concours soit installé au niveau L3 et soit suivi de 2 années de formation aboutissant à la délivrance d’un master.
Le ministre de l’Éducation nationale, Vincent Peillon, a annoncé qu’une deuxième session de concours serait ouverte en 2013. Les épreuves écrites d’admissibilité auront lieu en juin 2013 et seront ouvertes aux étudiants de Master 1 au moins. Les épreuves orales d’admission, professionnelles, auront lieu en juin 2014 pour les étudiants admissibles au concours et inscrits alors en Master 2.
Après l’effondrement des viviers de candidats aux concours, consécutif à la désastreuse réforme de la masterisation, on comprend que ce dispositif constitue un moyen d’encourager les étudiants à se présenter de nouveau aux concours pour devenir enseignants et de « réamorcer la pompe » dès l’année 2012-2013 . Un concours plus précoce (une admissibilité en M1 plutôt qu’en M2), un calendrier plus cohérent avec les rythmes universitaires (des épreuves d’admissibilité en juin plutôt qu’à l’automne), une rémunération (même modique) pour les admissibles, une formation alternée annoncée, autant d’éléments susceptibles en effet de trouver un écho favorable auprès des étudiants.
Cependant, un dispositif qui placerait de manière pérenne des épreuves d’admissibilité en M1 et des épreuves d’admission en M2 ne nous semble ni souhaitable ni même viable.
Il n’est pas souhaitable pour de multiples raisons
• Il soumet les étudiants à la pression de la préparation d’un concours durant les deux années de master, ce qui est à la fois anxiogène et dissuasif pour les étudiants.
• Il est contre-productif du point de vue des apprentissages et de la formation propres à un diplôme de master. Un tel horizon de compétition sélective par concours durant ces deux années ne permettra pas aux étudiants de progresser dans leur travail d’apprentissage, d’analyse et de prise de recul critique. Les effets de normalisation exercés par les épreuves de concours sur les formations sont très importants et bien connus. Plutôt que d’approfondir leurs capacités de réflexion et d’autonomie, les éventuelles prises de risque intellectuel, toujours fécondes, les étudiants avisés essaieront surtout de se mettre en conformité avec les attentes supposées des jurys de concours. On est très loin des attendus d’un diplôme de master.
• Le programme des masters sera, une fois de plus, beaucoup trop lourd et incohérent. Focalisés sur les épreuves de concours, quelle disponibilité les étudiants auront-ils pour s’investir à la fois sur la préparation de leurs stages, pour réellement progresser dans la partie à la fois disciplinaire et professionnelle de leur formation ainsi que pour s’initier à la recherche ? Les deux années passées ont montré à l’envi combien la multiplicité d’injonctions contradictoires exerçait une pression intolérable sur les étudiants, notamment en année de master 2. Faut-il étendre aux deux années du master ces tensions perpétuelles, instaurer une sorte de darwinisme à mille lieux d’une réelle formation universitaire ? Le concours national de la fonction publique est le mode de recrutement le plus égalitaire qui soit, il confère un statut aux lauréats. Par sa nature sélective, il implique que les candidats se consacrent pleinement à sa préparation. Il ne peut cependant devenir l’alpha et l’oméga d’une formation universitaire, surtout en master.
• Si la préparation aux concours occupe les deux années de master, quelle partie de la formation sera sacrifiée ? Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que c’est d’abord l’initiation à la recherche qui sera passée par pertes et profits. Confrontés aux exigences d’un concours et aux nécessités pratiques de la préparation de 6 heures d’enseignement hebdomadaires en responsabilité devant élèves en M2, les étudiants seront contraints de hiérarchiser rapidement leurs contraintes – car on ne peut guère parler de choix dans une telle situation. Mais qu’est-ce qu’une formation au métier d’enseignant sans pratique de la recherche ? Il ne s’agit pas de former des répétiteurs mais bien des concepteurs de leur enseignement. Que seront des masters sans réelle initiation à la recherche ? Des sous-diplômes bientôt sans valeur. Les étudiants auront été trompés.
• Mais s’ils donnent aussi la priorité aux épreuves du concours sur la préparation et l’exploitation de leurs premières expériences d’enseignement, ils n’en seront pas mieux formés au métier. Comment qualifier en effet une institution de formation des professeurs qui les encouragera alors à un demi-investissement dans leur travail auprès des élèves ? Ce ne sera ni formateur, ni responsable à l’égard des élèves et de leurs parents.
Pour toutes ces raisons, nous pensons qu’il n’est pas du tout souhaitable que les épreuves de concours soient étalées sur le M1 et le M2.
Un tel dispositif n’est pas non plus viable
• Il ne règle pas la question des reçus-collés : que deviendront les étudiants reçus à leur M1 mais collés au concours (80 % des effectifs en toute logique) ? Il faudrait prévoir non plus des passerelles mais des autoroutes de réorientation à la fin du M1. De plus, la décision d’un jury national de concours ne peut s’imposer au jury d’un diplôme d’université et tenir lieu de filtre à l’entrée en M2. Même si une sélection est établie par un jury universitaire souverain entre le M1 et le M2, celle-ci sera moins sévère que celle d’un jury de concours, et des étudiants reçus à leur M1 mais collés au concours s’engageront en M2, sans pour autant pouvoir passer les épreuves d’admission, tout en représentant sans doute les épreuves d’admissibilité, et en obtenant finalement un diplôme de master mais sans être nécessairement reçu à un concours… Les situations les plus complexes et les plus ubuesques ne peuvent que se multiplier, sources de frustrations et d’incohérences. Prenons le cas des étudiants admissibles en fin de M1 qui échoueraient aux épreuves d’admission en fin de M2. Devraient-ils recommencer leurs épreuves d’admissibilité au niveau du M1 et attendre l’année suivante pour retenter les épreuves d’admission ? Après une première séquence de concours étalée sur deux ans (sans échec à l’admissibilité), en cas d’échec à l’admission, ces étudiants devraient donc se relancer dans deux années supplémentaires de préparation au concours.
En cas d’admissibilité obtenue seulement au deuxième essai, puis d’un échec à l’admission, c’est-à-dire au terme d’une première séquence infructueuse de trois ans, un candidat se relancerait-il dans une nouvelle séquence de deux ou trois ans pour retenter le concours ? On voit que la situation devient absurde, que la préparation au concours excèderait très vite le cadre du diplôme de master (mais offrirait un marché pour les boîtes à concours), et que le dispositif serait tout à fait dissuasif pour les étudiants désireux d’enseigner. Il serait normal qu’ils se détournent de cette profession ou soient enclins à revendiquer un recrutement contractuel sur la base de leur diplôme de master enseignement. Ce que M. Grosperrin et la majorité UMP n’avaient pas réussi à obtenir, un gouvernement de gauche le mettrait-il en place ?
• Envisageons une variante, que les candidats puissent garder le bénéfice de l’admissibilité pendant plusieurs années. Sans même tenir compte des inégalités entre candidats issus de plusieurs sessions d’admissibilité et se présentant aux épreuves d’admission (les barres d’admissibilité variant selon les années) et même s’ils sont déclarés admissibles à un rang identique (autres formes d’inégalité), leur nombre accumulé pèsera sur le nombre de places offertes à l’admissibilité aux candidats issus du M1 et une sorte d’embouteillage se créera, car le nombre de postes au final ne sera pas augmenté en proportion identique.
Certains diront peut-être : ce dispositif est certes très imparfait mais il n’est que transitoire. Mais comment être certain qu’il n’esquisse pas la direction dans laquelle le ministre compte aller avec la réforme en préparation ? Nous n’oublions pas que les dispositifs transitoires ont souvent tendance à se perpétuer. Il est clair que, si le concours a lieu entièrement en fin de M1, les principales contradictions que recèle le dispositif transitoire ne seront pas dépassées.
Reconstruire vraiment le recrutement et la formation des enseignants.
Plutôt que de bâtir une « usine à gaz », il est nécessaire de régler la question du recrutement par concours national de la fonction publique d’État – auquel nous sommes attachés – par un dispositif simple et lisible par tous, à commencer par les étudiants.
C’est pourquoi nous pensons que le concours ne doit pas s’insérer dans le diplôme de master qui doit avoir sa cohérence propre pour assurer, sous la responsabilité universitaire, dans le cadre des ÉPIA-FDE que nous proposons de créer (voir notre texte du 19 septembre), une articulation entre formation disciplinaire et professionnelle, un va et vient entre formation universitaire et pratique de terrain et être fermement adossé à la recherche, disciplinaire et en éducation.
La place du concours (qui ne signifie pas la fin de la formation) se situe donc avant le master métiers de l’enseignement et, dans le cas où des étudiants auraient déjà un master ou l’équivalent d’un master par des dispositifs divers (notamment la VAE), un concours doit leur donner accès directement à un M2 enseignement.
Des prérecrutements doivent compléter le dispositif et sécuriser les parcours pour que tous les étudiants qui le souhaitent puissent se préparer au professorat.
Selon le Ministre Vincent Peillon, il serait impossible de promouvoir un tel dispositif, car il ferait revenir le niveau de recrutement du master à la licence, ce qui serait vécu comme une régression par les enseignants. C’est confondre là, d’une part, le concours d’entrée dans l’école universitaire et dans le master enseignement (ici, en début du master) et, d’autre part, le niveau de formation et de recrutement du fonctionnaire (en fin de master et même à M + 1, avec l’année de fonctionnaire-stagiaire). Dans le cas des études médicales, au prétexte qu’ils sont admis dans le cursus à l’issue de l’année PACES, M. Peillon dirait-il que les médecins sont recrutés en L1 ? On peut également regarder du côté des ingénieurs ou des infirmiers-ières, que leurs écoles « recrutent » en L 2, ou encore des contrôleurs aériens — ils sont fonctionnaires —, qui passent le concours d’entrée dans leur école en L2 et reçoivent ensuite trois ans de formation. Avec quel autre système que celui que nous proposons (entrée dans l’école et le master enseignement après le L3), l’État employeur pourrait-il se donner de telles garanties quant à la qualification de ses enseignants ?
En fait, aux yeux de certains, le principal défaut de ce dispositif ne serait-il pas plutôt son coût ? Pourtant, la rétribution des lauréats des concours comme élèves-professeurs pendant deux ans (dans le cas d’un concours à l’entrée du master) ou pendant un an (dans le cas d’un concours donnant accès au master 2) pèse-t-elle beaucoup plus lourd que la rétribution de toute une promotion d’admissibles pendant un an ? Nous croyons surtout que l’investissement dans la formation des enseignants est la clé de la construction d’une école de l’égalité. Ce doit être la priorité des priorités. Négliger la qualité de la formation des enseignants qui travailleront ensuite dans les écoles, les collèges et les lycées durant 40 années, c’est sacrifier durablement la qualité du service public d’éducation. Et c’est au bout du compte affaiblir notre société, notre pays, sa démocratie et son économie.
Le dispositif pour lequel nous plaidons, à la fois simple, lisible, souple et ajustable aux besoins divers des multiples métiers de l’enseignement et aux problématiques particulières des diverses disciplines universitaires est le seul capable de résorber rapidement la crise du recrutement. La qualité scientifique des masters et leur adossement à la recherche sont sauvegardés, on n’engendre pas des milliers de reçus-collés. La formation professionnelle, dégagée du stress et de la névrose du bachotage, peut se développer dans la sérénité, en faisant appel à l’intelligence et à la motivation des futurs enseignants en formation.
Au final, quelle que soit la diversité des parcours, les professeurs auront été recrutés par concours de la fonction publique d’État et seront également titulaires d’un master, sans perspective de décrochage.
GRFDE
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