Par Robert Delord et Marjorie Lévêque
Le coup de vieux d’Alix l’a rajeuni ! ou de l’usage de la bande dessinée dans le cours de Langues et Cultures de l’Antiquité
La star de la rentrée, qui nous a inspiré ce dossier, c’est bien évidemment la bande dessinée « Alix Senator », dont le tome 1 «les Aigles de Sang », tiré à 60 000 exemplaires, est sorti le 12 septembre. D’après l’oeuvre de Jacques Martin, disparu en 2010, ce premier opus est scénarisé par Valérie Mangin et dessiné par Thierry Démarez, deux noms déjà souvent (heureusement) vus dans le monde de la bande dessinée antique. Le pari de l’éditeur de Casterman est gonflé, mais le résultat est très réussi.
On retrouve ainsi Alix en l’an 12 avant notre ère, âgé de 54 ans, aristocrate désormais sénateur, et père de Titus, qu’il élève avec Khephren, le fils d’Enak. La proximité qu’Alix entretient avec l’empereur Auguste le mène à enquêter sur des meurtres…
On est maintenant bien loin de la rigidité de la série d’origine, largement ringardisée depuis quelques années. La nouvelle équipe choisie pour orchestrer la renaissance d’Alix a su profiter de ce contexte historique radicalement différent où se promène désormais un homme mûr, pour nous faire passer un cours d’Histoire qui ne prend jamais la place du récit. De nombreuses vignettes reconstituent superbement Rome, abordent les us et coutumes et les rapports sociaux du début de l’empire, à la manière de la Série Rome d’HBO, mais le scénario prime là-dessus. La barre a été mise très haute, au moins au niveau de Murena et des Aigles de Rome.
Si cette sortie saura charmer les amateurs de bandes dessinées, peut-elle réjouir les enseignants de langues et cultures de l’antiquité qui eux aussi pourraient en tirer des bénéfices ?
Le mini-site web mis en ligne pour accompagner la sortie de l’album permet de découvrir l’album à travers de courtes bandes annonces vidéos centrées sur plusieurs personnages : l’empereur, l’augure, les enfants, et Alix, bandes annonces qui peuvent servir en classe à réfléchir sur la place/ le rôle dans la société antique de ces différents personnes.
Mais bien évidemment, la grande nouveauté de ce support nous laisse libre de tout inventer. Pour cela, revenons sur quelques utilisations récentes de bandes dessinées en cours de culture et langues de l’Antiquité et quelques autres supports récents.
Utiliser la Bande Dessinée en Classe : quelles BDS ?
Si vous en êtes resté à Astérix, ou à Murena, sachez que vous avez loupé pas mal de sorties…(environ 2 à 3 par mois, avec de véritables pépites ! )
On trouvera un outil très pratique, apparu pendant l’été, pour le professeur de langues anciennes à la recherche d’une BD à exploiter en classe : un catalogue PDF de plus de 300 pages, recensant plus de 750 bandes dessinées qui montrent l’antiquité sous de multiples facettes, avec des listes par date de sortie, mais aussi par période abordée ou par type (historique, comique, parodique, pédagogique…) sur le site Latine Loquere :
http://www.ac-grenoble.fr/lycee/diois/Latin/spip.php?rubrique49
La BD est un outil cher, que l’on ne peut acheter en série pour chaque élève. Certaines bandes dessinées utilisables en cours de français ou d’Histoire ont eu le droit à des éditions moins onéreuses (on pense notamment à la collection « Folio BD » ou aux titres parus dans la collection « classiques & contemporains » de Magnard) , mais du côté de la BD historique antique, rien… Le professeur devra donc se contenter d’utiliser quelques pages, quelques vignettes, dans le respect bien évidemment des droits à l’image, ce qui cantonne toujours la bande dessinée à être un support illustratif.
Toujours sur Latine Loquere, sont proposées au téléchargement des bandes dessinées entières en espagnol dont on pourra facilement tirer profit :
http://www.ac-grenoble.fr/lycee/diois/Latin/spip.php?rubrique157
Le site « Latinitas Viva », qui s’est donné pour objectif la promotion du latin vivant propose quant à lui des extraits de quelques bandes dessinées publiées en langue latine : http://www.latinitatis.com/latinitas/nubecula/nubecula.htm
Comment utiliser la bande dessinée ?
Ce n’est pas nouveau, le professeur de langues anciennes est de plus en plus encouragé à utiliser de nouveaux supports en classe, parmi lesquels la bande dessinée.
Depuis les séquences d’étude des Adelphes de Térence, ou de la Mostellaria de Plaute, dans les manuels de 4ème et 3ème de 1997 chez Hachette (par Mireille KO) entièrement appuyées sur l’adaptation en bande dessinée par l’allemand Orst dans les annes 70, aucun manuel n’a fait une place plus importante qu’illustrative et presque anecdotique à la bande dessinée, formidable outil limité à du visuel, ou à un support de découverte d’un sujet ou de civilisation. A noter néanmoins, les nouveaux manuels de collège ont su tirer partie des publications récentes de bonne facture, ne se limitant plus à quelques vignettes par ci-par là d’Astérix ou d’Alix pour compléter un dossier.
Quelques publications récentes à la rescousse
Une page sur eduscol, dans la rubrique « langues et cultures de l’antiquité au collège » est d’ailleurs là pour nous aider à trouver des idées d’utilisation :
http://eduscol.education.fr/lettres/pratiques/ticlaclg/110811527[…]
Mais rien de nouveau sous le soleil, puisque les deux liens proposés nous renvoient vers un site sur Asterix (certes bien documenté, mais franchement le sujet n’est pas nouveau…), et une exposition de la BNF sur les maîtres de la BD européenne (exposition de qualité, mais qui donnera très peu de pistes à un professeur de langues anciennes).
On attend avec impatience les actes du colloque international « la bande dessinée historique » qui s’est tenu des 23 au 26 novembre 2011 à Pau, sous la conduite de Julie Gallego, et où la question de l’utilisation pédagogique de ce support a été largement abordée. Toutefois, le site de l’université propose de nombreuses pages détaillant le programme, avec les interventions des invités et des bibliographies très complètes.
http://crphl.univ-pau.fr/live/Bande-dessinee_historique_2011
« Bande dessinée et enseignement des humanités »
Un des invités de ce colloque, Nicolas Rouvière, a depuis publié chez Ellug, « Bande dessinée et enseignement des humanités » (collection « Didaskein »), une bible de 434 pages pour qui voudrait réfléchir non pas sur le médium qu’est la bande dessinée (les publications en ce sens ne manquent pas), mais sur la place qu’on peut lui faire en classe et sur la pédagogie PAR la bande dessinée.
Les contributeurs de cet ouvrage sont pour la plupart les témoins et promoteurs de pratiques éducatives qui renouvellent l’usage scolaire de la BD, de l’école élémentaire à l’Université. Ils invitent à reconsidérer sa place dans l’enseignement des Humanités, et pointent tout le bénéfice éducatif que peut revêtir l’étude pour elles-mêmes d’oeuvres choisies.
La première partie de l’ouvrage est consacrée à un état des lieux sur la place de la bande dessinée à l’Ecole : après avoir pris la mesure des résistances culturelles et des obstacles pédagogiques à l’étude de la BD comme art littéraire et graphique, elle trace des perspectives nouvelles pour son enseignement. La seconde partie est consacrée à l’étude de la bande dessinée en classe de littérature. Quelle démarche spécifique faut-il adopter pour étudier un album intégral à l’école, depuis le choix d’un univers d’auteur, jusqu’aux dispositifs de présentation et de questionnement des oeuvres dans la classe ? La troisième partie traite des enjeux mémoriels liés à l’étude en classe de fictions historiques et propose des pistes méthodologiques pour intégrer la BD comme source documentaire dans le cadre d’une histoire culturelle et sociale des représentations. Enfin la quatrième partie de l’ouvrage est consacrée à l’étude de la bande dessinée dans le cadre des cours de langue et civilisation. Elle traite des obstacles interculturels impliqués par l’étude du médium en contexte non-francophone, et questionne les possibilités d’une approche intégrée, où la bande dessinée est davantage étudiée pour elle-même, dans sa dimension littéraire et plastique.
Malgré les interventions de grande qualité et fort bien documentées, le livre nous laissera toutefois sur un important regret : celui de ne rien y lire concernant le cours des langues et culture de l’antiquité… malgré un riche chapitre sur le thème « L’étude de la bande dessinée en cours de langue et civilisation ».
De nombreux paragraphes pourront donner des idées de démarche, mais pas d’exemples concrets… pour nous. Néanmoins et ouvrage redonnera à tous le goût d’utiliser la bande dessinée non pas comme un gagdet, mais comme un vrai support, et pourquoi pas en cours de latin ou de grec ancien !
Grand public, l’exposition « Bulles d’Antiquité – le monde romain dans l’Antiquité » ( désormais terminée) du musée de Bavay, dans le Nord, s’était largement intéressée au sujet de la bande dessinée historique, ainsi qu’à son éventuelle utilisation pédagogique.
Le catalogue en synthétise et complète de manière remarquablement illustrée le propos, notammant à travers des articles fouillés comme « “les idées reçues ont la vie dure …” rédigé par Eric Teyssier, Maître de conférences en histoire romaine à l’université de Nîmes, qui traite de la gladiature dans la bande dessinée ancienne et récente.
Une présentation complète de l’exposition et de son catalogue peut être lue sur le blog de la BSA de Lille III :
http://bsa.biblio.univ-lille3.fr/blog/2012/07/exposition-bulles-[…]
Le professeur de langues anciennes y piochera forcément de nouvelles idées, ou des pistes de réflexion sur les représentations erronées que quelques BDs que l’on pense de qualité peuvent contribuer à entretenir.
Webographie : quelques exemples de pratiques pédagogiques
En plus des activités (nombreuses) proposées dans les manuels, on trouve sur l’Internet de nombreux exemples de pratiques pédagogiques, donc voici une petite sélection :
Des critiques érudites, toujours très bien documentées et en liaison avec des textes antiques de diverses bandes dessinées viendront inspirer les plus curieux sur le site « PEPLUMS, images de l’antiquité »:
http://www.peplums.info/pep00front01.htm#12
– Réaliser des BDs avec les élèves :
Nathalie Blanc, Professeur au collège Oeben, Paris XII, nous explique sur le site TIC-et-NUNC comment réinvestir toutes les connaissances acquises sur les événements du 24 août 79 au terme d’une séquence consultable dans la rubrique « Séquence quatrième » par le biais de la création d’une bande dessinée tenant lieu d’exposé.
http://www.tic-et-nunc.com/monter-des-projets/ecrire/bande-dessin%C3%A9e/
Joëlle COHEN, professeur-formateur de Lettres Classiques, collège Rabelais de Saint-Maur a publié sur le site académique de Créteil une séquence pour le niveau 4ème sur « Métamorphoses ! Textes, peinture, et jeux de scène » qui a pour objectif de travailler l’écriture (en français) en résumant une métamorphose, commentant un tableau, inventant les paroles de personnages sous forme de dialogue théâtral ou de bulles de BD :
http://lettres.ac-creteil.fr/cms/spip.php?article1783
– Légender des Bds en latin :
Le site académique de langues anciennes de Nantes propose des documents pédagogiques réalisés à l’issu d’un stage disciplinaire en 2010 assuré par Cédric Legrand et Stéphane Fouénard, parmi lesquels quelques pistes pour une séquence de troisième sur le personnage de Néron, appuyée sur l’étude de quelques vignettes de Murena, de Delaby et Dufaux, en liaison avec des textes de Suétone et Tacite.
Il est par exemple demandé à l’élève de légender quelques vignettes avec des extraits des textes des deux auteurs.
http://lettres-classiques.discip.ac-caen.fr/spip.php?article71
– partir d’une BD pour élaborer un champ lexical :
Un livret intitulé « enseigner le latin en troisième » édité en 2005 par l’I.U.F.M. de Basse-Normandie, sous la responsabilité de Joceline Leparmentier expose des idées de séquences. La première séquence, consacrée à Trajan et à l’apogée de l’Empire propose une étape sur l’entrée Triomphale de Trajan racontée par Pline Le Jeune. Le texte présentant des passages difficiles, l’entrée dans le texte se fait par le biais d’une BD, les lauriers de César, qui permet d’aborder le champ lexical du triomphe.
La séquence sur les guerres puniques proposée sur le site académique de lettres de l’académie d’Amiens est réalisée par Christine Batut-Hourquebie, professeur de Lettres Classiques au collège Jules Vallès de Saint-Leu d’Esserent, inspirée d’une séquence de la MAFPEN dans la collection « Echanges réciproques des savoirs et pratiques pédagogiques »
http://lettres.ac-amiens.fr/archives_lettres/Latgrec/rencontres_[…]
Deux planches du Tombeau étrusque (Alix) servent de support pour découvrir la déclinaison de puer, les adjectifs et pronoms interrogatifs et répondre en latin à des questions sur le texte.
– Compléter la réflexion par des planches de Bandes Dessinées :
La séquence est en lien avec l’ancien programme du lycée, mais l’étude suivie de l’Âne d’Or d’Apulée, menée par Marie-Anne Lefort, Lycée H. Boucher, Thionville et proposée en archives sur le site de l’académie de Metz-Nancy, utilise plusieurs extraits de bandes dessinées :
http://www.ac-nancy-metz.fr/enseign/lettres/languesanciennes/textes/[…]
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