Par François Jarraud
La Biennale, c’est parti pour 4 jours de réflexion sur « la transmission » en formation et en éducation. Sur le site du CNAM, plus de 150 manifestations prévues dans lesquelles des chercheurs du monde entier (France, Suisse, Italie, Canada, Afrique, Brésil…) et de nombreux participants se croisent…
Après plusieurs années d’interruption, la Biennale 2012 renait au CNAM, dans ce lieu emblématique qui réunit « les arts et les métiers ». C’est une des plus importantes manifestations francophones consacrée à l’éducation, à la formation et aux pratiques professionnelles. Jean-Marie Barbier, président de la Biennale, a insisté à l’ouverture sur « un esprit de coopération, dans une ambiance chaleureuse, exigeante et riche » et justifie le titre paradoxal « Transmettre ? » : « la transmission est entre le savoir et l’activité » et « le point d’interrogation introduit l’idée d’un doute. Transmettre est d’abord une intention d’acteur, mais qu’en est-il du côté du destinataire ? ». Bertrand Schwartz, président honoraire de cette biennale, insiste sur l’articulation recherche et formation : « Pour poser correctement un problème et le résoudre, il est indispensable d’écouter et d’entendre ceux qui le vivent et le font vivre, car il ne peut être résolu qu’avec eux. »
Mutations du travail
Il sera bien question, au fil des journées, de s’intéresser aux situations réelles de travail de ceux qui transmettent et de ceux qui apprennent. Une des premières interventions plénières est marquante, c’est celle d’Emmanuelle Laborit, comédienne sourde qui s’exprime en langue des signes. Elle prétend avoir toute sa place ici pour montrer que la transmission peut se faire autrement que par les mots et que la langue des signes est une vraie langue.
Alain Berthoz, neurophysiologiste, professeur honoraire au collège de France, précise de quelle manière l’interaction avec autrui interfère dans les apprentissages et la transmission. Il voit deux grands types d’attitude du maitre vis-à-vis de l’élève : la sympathie, qui consiste à essayer d’entrer en résonnance avec l’autre, l’empathie en est l’autre, qui requiert un bouleversement complet de son propre système de pensée pour entrer dans celui de l’autre, voir le monde à travers ses yeux, tout en restant soi-même et sans éprouver pour autant ses émotions. Pour lui, c’est l’empathie qui permet au maitre de comprendre les cheminements de l’apprenant et ainsi de l’aider à trouver sa propre solution. CQFD…
Les après-midi de la Biennale
« Transmettre des pratiques, des gestes, des activités ? » est la thématique de la première journée.
Richard Wittorski, nouveau professeur au CNAM, pose la problématique de la transmission du travail, entre anciens et nouveaux. « Suffit-il de mettre ensemble un ancien et un nouveau pour qu’il y ait transmission ? Que transmet-on au bout du compte, entre objet et processus de la transmission ? » A la tribune, des points de vue de différents acteurs directement impliqués en situation de travail et des regards de chercheurs vont se croiser, se répondre ou se contredire.
Les témoignages du directeur Formation, Etude et recherche des Compagnons du devoir, d’un chef d’entreprise et d’un apprenti compagnon ouvrent le bal. Ils disent que pour eux la transmission est naturelle. « Etre compagnon, c’est s’engager à transmettre. Ce que je sais, c’est quelqu’un qui me l’a donné. Je l’ai reçu et je me dois de le transmettre à mon tour. Je suis dépositaire de quelque chose au-delà de moi. Quand on transmet, on transmet beaucoup plus qu’un geste ou une technique. On transmet des valeurs, on transmet un métier, on transmet une certaine compréhension du monde. » L’apprenti ajoute : « Cette façon de me faire confiance m’a permis de grandir ». Il y a des mots et des visages qui transmettent des émotions…
Les chercheurs à la suite vont ramener le propos sur le registre de la raison. Paul Boulet analyse les formes de tutorat en entreprise, s’interroger sur les rapports entre transmission et acquisition puisque l’un transmet pour que l’autre apprenne. Philippe Maubant, de l’université de Sherbrook, s’intéresse à la transmission des formateurs dans le métier d’enseignant de formation professionnelle et dit combien c’est difficile d’expliciter la transmission, surtout lorsqu’elle est vécue comme un allant-de-soi. « On s’intéresse au produit de la transmission, rarement à son processus ». Yves Schwartz, de l’université de Provence, replace le cadre de la transmission au travail et par le travail, interroge la « fusion entre apprendre et s’imprégner » et dit qu’on ne peut pas modéliser la transmission.
Patricia Remoussenard retourne quelques questions aux chercheurs et à la salle qui vont engager des discussions : « La transmission serait-elle le « devenir ensemble », tournée à la fois vers le passé et l’avenir ? Cette logique de recevoir et donner, cette générosité sont-elles compatibles avec les conceptions spéculatives de la société actuelle ? »
Une fois les débats terminés, la soirée se poursuite par une performance de danse contemporaine « Impromptus empruntés » qui entraine à la façon de Pina Bausch des danseurs et des regardeurs dans la même ronde de la communication entre les êtres, des interactions qui nous rendent plus riches et de l’action qu’on ne peut réaliser qu’avec les autres. La déambulation se fait dans l’église du musée des Arts et Métiers, autour du pendule de Foucault qui se balance sous la voute pour toute éternité. Le temps s’est arrêté…
Isabelle Lardon
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